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Benoît Seguin (La Chaussette de France) : « En achetant du made in France, vous misez sur la qualité du produit »

Benoît Seguin, PDG du Groupe Tismail (La Chaussette de France)

Enseigne phare du textile « made in France » depuis 62 ans, le Groupe Tismail (5,35 M€, 50 salariés) a lancé la marque La Chaussette de France il y a 10 ans. Elle représente désormais 22 % de son chiffre d’affaires et équipe l’armée, la police, la gendarmerie et la Patrouille de France. « A travers notre chaussette, on défend notre savoir-faire, nos emplois, notre histoire », glisse Benoît Seguin, le PDG de Tismail. Dans cet entretien, il nous détaille les ambitions de son groupe et sa vision du « made in France ».

Quelles sont les prochaines étapes du développement de La Chaussette de France ?

Nous allons continuer à ouvrir des magasins en France, notamment à Troyes avec notre premier magasin d’usine. Nous réalisons 50 % de notre chiffre d’affaires dans les montagnes françaises. Notre objectif est de nous structurer pour développer une offre pour la plaine. A plus long terme, nous envisageons de déménager pour créer une usine moderne et plus grande.

Avez-vous un objectif de chiffre d’affaires pour 2023 ?

Nous visons 6 millions d’euros. Notre grosse marge de progression est importante, mais on essaie de ne pas se brûler les ailes.

Envisagez-vous de vous déployer à l’international ?

D’ici cinq ans, on a pour projet de se développer en Angleterre et aux États-Unis. Nos produits sont déjà en vente dans les pays limitrophes (Belgique, Luxembourg, Espagne, Italie, Suisse), et aux Pays-Bas.

Pourquoi avez-vous lancé la marque La Chaussette de France il y a 10 ans ?

Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Le « made in France » n’était encore pas à la mode, c’était la course à la délocalisation… De notre côté, nous étions l’un des derniers fabricants de chaussettes en France et le dernier à Troyes.

A l’époque, on trouvait dans le commerce des chaussettes avec la mention « laine mérinos » écrite en gros à côté de la photo d’un mouton. On s’est vite rendu compte qu’il y avait à peine 10 % de laine mérinos dans ces chaussettes… Ils prenaient les gens pour des imbéciles. On s’est dit qu’il y avait un créneau à prendre. On a commencé dans l’outdoor ski en raison de nos relations avec le Club des Sports de Courchevel. On a ensuite investi dans de nouvelles machines, ce qui nous a permis de faire des chaussettes très précises et fines sur le pied.

Quelle stratégie avez-vous adopté pour développer la marque ?

Pour démocratiser la marque, nous avons choisi une communication décalée qui nous a permis de construire une communauté de 30 000 personnes. On est une petite boîte d’une cinquantaine de salariés, on n’aura jamais les moyens d’une multinationale ! On a donc dû réfléchir autrement. On participe à une trentaine d’évènements sportifs par an (UTMB, marathon du Mont-Blanc, marathon de Paris, trail des hauts-forts…) pour vendre nos chaussettes au consommateur final dans nos principaux secteurs (running, trail, trek, randonnée, Ndlr).

En parallèle, on investit depuis dix ans dans la modernisation de notre outil industriel (un million d’euros a été investi entre 2021 et 2022, Ndlr). En plus de notre technologie de tricotage, nous avons incorporé des matières nobles en grande quantité. Dans des mi-bas de ski, on met 60 à 80 % de laine mérinos, de soie, de cachemire, d’alpaga… Nous mettons soit des matières nobles et naturelles, soit des matières techniques.

La marque a traversé des moments difficiles. Comment les avez-vous surmontés ?

On a connu de belles périodes avant la fin des quotas asiatiques (en 2007, ndlr). Après, ce fut la débandade. On a eu des années difficiles, on a subi les délocalisations… Mais nous n’avons jamais quitté la France. Aujourd’hui, on vit toujours dans une société de surconsommation, de « fast fashion », de production à bas coût à l’autre bout du monde. Derrière tout cela, il y a une dimension sociale et environnementale. Au moins, en France, on paie peut-être des impôts, mais on sait pourquoi.

En filigrane, il y a toujours la question du savoir-faire. On dû relancer les filières de formation qui avaient totalement disparu. Car vendre des chaussettes peut sembler facile, mais les produire est une autre paire de manches.

Comment le chiffre d’affaires de La Chaussette de France est-il ventilé ?

Il se divise en quatre pôles : les marchés publics (30%), la grande distribution/grands magasins (25%), les enseignes spécialisées (25%) et notre propre circuit de distribution (20%). Nos produits sont distribués dans plusieurs enseignes spécialisées (Slip français, Cocorico, Mise au green, Au vieux campeur, Terre de Running…). Nous sommes présents dans plus de 500 boutiques en France et dans les pays limitrophes. On est également très présent dans les stations de sports d’hiver.

Quelles relations entretenez-vous avec votre réseau de distribution ?

Nous faisons preuve d’une grande réactivité. Nous travaillons en flux tendu. Nous livrons nos clients chaque semaine du nombre de paires qu’ils ont vendues la semaine précédente. Ainsi, nos clients ne reçoivent pas des containers avec des centaines de milliers de chaussettes. En venant acheter les chaussettes chez nous, ils les payent certes plus chères, mais ils n’ont pas de stock, moins de turn-over et de soldes…

Vos produits sont désormais vendus chez Decathlon. Quel est le sens de ce partenariat avec un géant de la distribution spécialisée ?

On est satisfait, car ce type d’acteurs nous tire vers le haut. Mais on reste prudent, car leur stratégie peut changer rapidement. Après avoir délocalisé il y a 20 ans, ils font machine arrière et relocalisent une partie de leur production. C’est un mouvement de fond qu’on constate en ce moment chez les grands distributeurs.

Comment parvenez-vous à rester compétitif en produisant en France ?

Nous avons misé sur la diversification pour éviter de mettre tous nos œufs dans le même panier. Et puis, La Chaussette de France est une belle marque reconnue. Mais notre véritable force, c’est la fabrication de chaussettes à forte valeur ajoutée.

Le « made in France » est souvent considéré comme un luxe…

Le produit « made in France » ne doit pas être un produit de luxe. Tout le monde doit pouvoir accéder au « made in France ». Il est évident qu’une chaussette fabriquée en France coûte plus chère qu’une chaussette fabriquée en Asie, en raison des charges et des salaires, mais il ne faut pas que le ratio soit démesuré.

Comment limiter ce ratio ?

En réduisant le nombre d’intermédiaires. Il ne faut pas non plus oublier que vendre du « made in France » est intéressant en termes de RSE pour les entreprises.

Que répondez-vous aux consommateurs déplorant le prix trop élevé des produits fabriqués en France ?

Le « made in France » est plus cher, c’est un fait. Mais lorsque vous achetez vos chaussettes dans une enseigne de la grande distribution spécialisée en sport, vous achetez des chaussettes fabriquées par on ne sait qui à l’autre bout du monde. Elles ne tiendront pas dans la durée.

A l’inverse, une paire de chaussettes « made in France » fabriquée par l’un des cinq fabricants français, dont La Chaussette de France, vous coûtera, certes, deux ou trois fois plus cher, mais elle durera beaucoup plus longtemps. En achetant du « made in France », vous misez sur la qualité et la durabilité du produit. Ce n’est pas de la « fast fashion ».

Tout le monde ne peut pas se payer des produits fabriqués en France…

Je comprends qu’on ne puisse pas se payer du « made in France », mais c’est un achat responsable. Le problème qui se pose aujourd’hui, on le voit dans les sondages auprès des clients, c’est que le prix est le premier critère. Le « made in France » n’arrive qu’en 11ème ou 12ème position.

Certains industriels français affirment qu’il est impossible de produire en France. Que leur répondez-vous ?

Je ne comprends pas ce discours. Le textile est le secteur le plus facile à délocaliser. Pourtant, ça fait 62 ans qu’on produit des chaussettes en France. C’est donc possible ! Le gouvernement dit vouloir réindustrialiser le pays. Nous n’avons pas besoin de réindustrialiser, nous sommes industriels depuis 62 ans. Si des industries sont bel et bien parties, comme les masques et les médicaments, l’État devrait aussi penser à ceux qui sont toujours restés…

La croissance du « made in France » est-elle durable ?

Depuis l’après Covid, on voit un sursaut d’orgueil, un éclaircissement. C’est encourageant. Cela va-t-il durer ? Je l’espère. Arrive-t-on au pic de la croissance du « made in France » ? Cela risque de baisser un peu, mais l’industrie va trouver sa vitesse de croisière. Je suis optimiste sur l’avenir de notre industrie.


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