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Comment SNCF Développement a bouleversé l’écosystème des start-up en France


Comment un conflit social en Haute-Marne a-t-il donné naissance à l’un des plus beaux projets entrepreneuriaux français ? Comment cet élément déclencheur a permis à plusieurs centaines de start-up françaises de trouver leur place ? L’histoire de SNCF Développement est aussi celle de son directeur général Cyril Garnier, 44 ans, qui a décidé d’aller au bout de ses rêves.    

Entreprendre - Comment SNCF Développement a bouleversé l’écosystème des start-up en France

Comment un conflit social en Haute-Marne a-t-il donné naissance à l’un des plus beaux projets entrepreneuriaux français ? Comment cet élément déclencheur a permis à plusieurs centaines de start-up françaises de trouver leur place ? L’histoire de SNCF Développement est aussi celle de son directeur général Cyril Garnier, 44 ans, qui a décidé d’aller au bout de ses rêves.
 
 

Fin 2009, le département de la Haute-Marne est secoué par un violent conflit social. La SNCF, qui doit procéder à d’importantes réorganisations, dresse alors le constat suivant : elle ne possède pas d’outils performants pour accompagner ces territoires confrontés aux destructions d’emploi et aux mutations industrielles.

Comment recréer de la richesse et des emplois dans des bassins touchés par des restructurations ferroviaires ? Et quel type d’emplois ?

Cyril Garnier, l’homme qui tombe à pic

Cyril Garnier, ingénieur de formation, rejoint la SNCF en 2007. Spécialisé dans l’informatique et les données, il est à la tête d’une filiale marketing du groupe. Mais l’homme a l’esprit d’entreprise et veut transmettre son envie de faire bouger les choses.

Au sein de la direction des ressources humaines SNCF, il participe à la réflexion autour de la mutation des territoires : « C’était bien plus qu’une simple réflexion, analyse Cyril Garnier, aujourd’hui Directeur général de SNCF Développement. Il fallait agir. Nous avons passé une année sur le terrain auprès des syndicats et des élus pour chercher comment redynamiser ces territoires si durement touchés par la crise.

Les enjeux les plus forts se trouvaient dans certains territoires comme l’Est de la France ou de nombreuses casernes avaient déjà été fermées. Les grands fourneaux aussi étaient menacés… Du coup, les activités SNCF s’étaient réduites : moins d’usines, moins de marchandises ou de personnes à transporter. Il y avait urgence. »

Innover… ou mourir

« Dès le début, avant même de lancer SNCF Développement, nous avions compris que nous devrions aller vers des projets innovants car il n’y avait pas suffisamment de ressources dans ces territoires blessés pour compenser l’impact de la crise. »

Pourtant, en 2010, qui pouvait sérieusement penser que les industries sinistrées pourraient être remplacées  par des entreprises à la pointe de l’innovation ? Pas grand-monde. Mais Cyril Garnier est obstiné. Recréer de l’emploi dans ces régions traumatisées est possible. Mais à une condition : oser, innover, inventer.

Entreprises traditionnelles et start-up

« Dès le début, nous avons voulu associer une dynamique traditionnelle de développement économique en finançant des PME locales et en favorisant les projets très innovants, raconte Cyril Garnier. En parallèle de la création de SNCF Développement, nous avons accompagné avec la direction de la communication de la SNCF le premier accélérateur de start-up français, le Camping. »

La démarche est alors jugée audacieuse, voire téméraire… Car à cette époque, les incubateurs et accélérateurs de jeunes entreprises du secteur des TIC n’existaient pas en France. Pas plus que la French Tech ou la BPI…

Mais Cyril Garnier croit dur comme fer à sa vision. Et il le répète aux sceptiques : « Aux Etats-Unis, 25 % des nouveaux emplois créés sont liés aux nouvelles technologies : à l’image de ce qu’il se passe là-bas, nous allons créer un accélérateur, trouver des porteurs de projets, leur faire gagner du temps pour qu’ils créent des entreprises digitales. Les créations d’emploi suivront. »

SNCF Développement voit officiellement le jour en 2011 pour soutenir financièrement des projets d’entreprises. L’équipe de Cyril Garnier commence alors à étudier les dossiers des premiers entrepreneurs originaires de Lorraine, Paris, Chalindrey… « En juillet 2011, nous présentons nos trois premiers dossiers aux cadres de la SNCF. Nous sommes alors prêts à mobiliser le capital de la filiale pour prêter de l’argent à des entreprises à potentiel d’emploi. »

Mesagraph, le coup de maître

Parmi les trois premiers projets retenus, deux PME industrielles et un inconnu : Sébastien Lefebvre, patron de la société Mesagraph qui affirme vouloir créer un nouveau business grâce à l’analyse des flux Twitter. « En 2011, les cadres de la SNCF ne connaissent pas Twitter mais nous donnent carte blanche : de toute façon, vous n’avez rien à perdre, foncez ».Et Cyril Garnier fonce.

L’avenir lui donnera raison. Quelques années plus tard,  Mesagraph sera la première des start-up accompagnées par SNCF Développement à rembourser son prêt. Mieux : à ce jour, elle reste la seule start-up française à avoir été rachetée… par Twitter.

Un portefeuille diversifié

En 2011, la SNCF incube

docTrackr

, fondé par Clément Cazalot. Les fondateurs de start-up commencent au même moment à trouver des structures qui leur permettent de grandir : Sillicon Sentier lance la deuxième saison du Camping, la French Tech est créée sous l’impulsion de la ministre Fleur Pellerin, les premiers espaces de coworking voient le jour… Un écosystème se met en place.

En 2012, la SNCF doit affronter la fin de SeaFrance, l’entreprise maritime qui exploitait la plus courte ligne du Pas-de-Calais au moyen de quatre navires. Cela signifie des centaines d’emplois menacés dans une région déjà frappée par le plus fort taux de chômage de France… Calais devient alors un objectif prioritaire pour SNCF Développement.

On crève, ici !

« Le 26 janvier 2012, raconte Cyril Garnier, nous nous rendons à la sous-préfecture de  Calais pour présenter notre travail. Le président de la Chambre de commerce nous écoute et nous dit : “j’aimerais que nous fassions des choses nouvelles. Parce qu’on crève, ici. ” Nous l’avons alors invité à Paris pour lui montrer un espace de coworking et un nouvel accélérateur qui émergeait dans la foulée du Camping… Il a longuement regardé ces tables autour desquelles s’affairaient des développeurs, drôles de types barbus et silencieux, et a lâché : « Oui, faisons ça à Calais ». »

SNCF Développement crée alors un espace de coworking et un accélérateur de start-up à Calais, et propose, dans la foulée, à plusieurs patrons de start-up de s’installer sur place.

500 entreprises liées à SNCF Développement

Calais, Boulogne-sur-Mer, la Seine-Saint-Denis… De fil en aiguille, le portefeuille d’entreprises accompagnées s’étoffe considérablement. Au bout de 7 ans, SNCF Développement a aidé 500 entreprises dont la moitié sont des start-up et l’autre moitié des entreprises traditionnelles.

« Cette diversification est très importante pour nous. Il est extraordinaire de travailler le matin sur le dossier d’une boulangerie qui va créer dix emplois et de réfléchir l’après-midi au financement d’une bande de gars qui veulent, via les ultra-sons, bouleverser le paiement électronique dans les pays émergents. Cela nous permet d’être accroché à la fois aux réalités de l’économie traditionnelle et aux enjeux de l’économie nouvelle. »

Unique en France, cette diversité possède de nombreux avantages, selon Cyril Garnier :  
« En général, les accélérateurs sont soit très technos, soit e-business, soit concentrés sur l’économie de proximité. Or, la diversité est essentielle. Ces entreprises de l’économie traditionnelle vont être boostées par les innovations développées par les start-up. Il est génial de pouvoir présenter à notre couple de boulangers qui va bientôt créer sa sixième boulangerie, soit 60 emplois, des outils de la Food Tech qui vont lui permettre d’améliorer sa réputation sur Facebook, de lancer des promotions sur Twitter, de mieux gérer ses recrutements grâce aux outils digitaux. »

L’objectif de Cyril Garnier n’a pas varié : créer de l’emploi. « Nous sommes avant tout un outil de prêt participatif. Nous disposons d’un fonds de 5M€ que nous faisons tourner.  Notre objectif est d’aider un maximum d’entreprises pour créer le plus d’emplois possibles. Plus vite l’entreprise est capable de nous rembourser, plus vite nous pouvons aider une autre entreprise. » 

Comment détecter une start-up à fort potentiel ?

« Au début, soyons clairs, nous devions aller à la pêche… confesse Cyril Garnier. A cette période, lorsque nous avions dix dossiers à étudier, c’était le Pérou. Nous nous appuyions sur nos réseaux de partenaires. Les incubateurs et les accélérateurs nous ont signalé leurs pépites intéressantes. Ce même réseau que nous avons contribué à créer : le

Camping

(Numa), le

Comptoir de l’innovation

. Puis d’autres partenaires sont arrivés comme

Wilco

(ex-Scientipôle) dont nous tenons en très haute estime la valeur technologique. Le bouche à oreille est très important : l’écosystème se parle. »

La veille économique  intelligente : une priorité

Entre 2011 et aujourd’hui, la situation a considérablement évolué. L’écosystème créé par les pionniers comme Cyril Garnier a permis à des centaines de start-up d’émerger.

« Au début, il fallait être fou, visionnaire ou désespéré pour vouloir investir dans les start-up digitales, sourit Cyril Garnier. En 5 ans, le monde a complètement changé. Aujourd’hui, nous devons gérer la profusion, essayer de savoir ce qui marche et ce qui ne marche pas. »

La problématique de SNCF Développement devient alors la suivante : comment noter ces entreprises et identifier celles qui possèdent un potentiel important, de façon plus systématique que le bouche à oreille ? Réponse : en se tournant vers les start-up spécialisées dans la veille économique.

« Nous avons eu la chance d’accompagner 

Early Metrics

, l’agence de notation des start-up. Ils nous apportent des notes sur des entreprises très qualifiées. Nous travaillons également avec C-Radar pour auditer les entreprises car les outils classiques manquaient d’analyse des signaux faibles.

C-Radar

y parvient avec de l’open data, du big data… Toutefois, personne ne répondait a la question suivante : comment identifier les entreprises qui possèdent une capacité d’attraction ? » En clair, une start-up encore balbutiante qui n’apparaît pas sur les radars…

L’outil n’existe pas ? Inventons-le !

« C’est en travaillant avec Olivier Dion, jeune et brillant fondateur de

Onecub

, que nous avons développé Inside OneCub, l’outil qui nous permet de repérer les start-up sur le point de percer. Cet outil n’a pas d’équivalent : il analyse la traction des entreprises digitales dans leur propre marché et permet de voir les ruptures. »

Et

Inside Onecub

s’avère vite être un outil redoutable. « Bien avant que les journalistes spécialisés n’en parlent, nous avions constaté, grâce à Inside Onecub, que Captain Train ou Airbnb montaient, que la Fnac peinait de plus en plus face à Amazon… »

Veille économique intelligente

En réalité, les équipes de Cyril Garnier utilisent aujourd’hui tous les faisceaux d’informations possibles… En croisant l’analyse business de

Early Metrics

, l’analyse marketing digital de Inside Onecub et les informations économiques données par C-Radar…

« Nous voulons continuer à travailler sur l’intelligence économique car nous sommes dans une période de grands bouleversements, analyse Cyril Garnier. Les outils comme Inside Onecub, par exemple, doivent permettre aux chefs d’entreprises d’être mieux guidés dans une économie de plus en plus instable. Dans la Food Tech, par exemple, des grands tombent, d’autres émergent. Les patrons sont souvent perdus, se demandant quelles nouvelles offres proposer… Les start-up affluent.

Qu’est-ce qui a du sens et qu’est-ce qui n’en a pas ? La blockchain, la robotique, les ultrasons : tout cela se développe très rapidement. Il faut guider les grandes entreprises, accompagner les élus, les politiques, les territoires parce que beaucoup se sentent désemparés face à ces bouleversements. »

 

Et maintenant ?

La filiale de la SNCF peut se vanter de présenter un bilan hors du commun avec 400 entreprises accompagnées depuis 2011, dont la moitié dans la nouvelle économie. « Le plus important pour nous, c’est que seules neuf start-up ont mis la clé sous la porte. 90 % de notre portefeuille d’entreprises existent toujours. Nous sommes fiers d’avoir soutenu leur croissance. En 6 ans, nous sommes passés d’une valeur zéro à un écosystème dont la valeur dépasse 300 M€ ! »

1000 nouveaux emplois par an !

Créer de l’emploi. L’obsession de Cyril Garnier qui a prévalu à la création de SNCF Développement demeure au centre du projet. « Nos paris ont été payants en la matière, confie le Directeur général. Ces entreprises ont créé 1500 emplois et elles en créeront 1500 autres dans les deux ans. Notre portefeuille d’entreprises arrivera à maturité en 2018 et aura une puissance de création de 1000 nouveaux emplois par an. La SNCF a montré quelle était prête à prendre des risques et ça a payé : SNCF Développement est passé en 5 ans de la recherche de solutions à un vrai catalogue de sociétés innovantes à fort potentiel, prêtes a se déployer partout en France et dans le monde. »

SNCF Développement : les nouveaux enjeux

L’un des objectifs prioritaires est à présent de maximiser les interactions entre les start-up. « Nous voulons que toutes ces start-up que nous avons accompagnées se parlent davantage, collaborent entre elles pour être encore plus performantes. Elles ont des solutions, elles peuvent être complémentaires. Mieux vaut avancer ensemble que seul. Nous allons les aider à se sécuriser financièrement en les mettant en relation avec les investisseurs. » C’est par exemple le cas d’I Wheel Share, le « TripAdvisor du handicap », actuellement en levée de fonds sur la plateforme de financement participatif lita.co (anciennement 1001pact.com).

Aujourd’hui, des dizaines de jeunes pousses cherchent à être accompagnées par SNCF Développement. L’enthousiasme de Cyril Garnier, lui, reste intact. Et lorsqu’on demande à ce père de cinq enfants comment il voit son avenir, il répond en souriant : « Comment savoir ? Je ferai sans doute quelque chose qui n’existe pas encore. » Le pire, c’est qu’il est sans doute sérieux.

[FIN][FIN][FIN] Coup de cœur de Cyril Garnier pour trois jeunes pousses

[FIN] Simplon

Simplon permet de former des personnes aux métiers du numérique et de pouvoir les rendre employables en 6 mois. « Les formations sont gratuites pour ceux qui viennent des professions les plus difficiles. Une vraie mission de service public. » La première promotion de Simplon, à Boulogne-sur-Mer comptait 24 personnes. Douze ont trouvé un emploi très rapidement. « Ils sont employés dans des start-up parisiennes qui n’arrivaient pas à recruter et qui ont installé leur centre de production dans le Nord, explique Cyril Garnier. Nous avons donc prouvé que nous pouvions relocaliser en France la production informatique grâce à de nouveaux formats de formation tout en permettant aux start-up de trouver des ressources. »

[FIN] 

Pollen

Magnifique start-up à l’origine d’une nouvelle génération d’imprimantes 3D révolutionnaire qui va rendre possible la fabrication d’objets finis à très bas coût et à la demande, permettant de relocaliser des emplois.

[FIN] 

BeBound

Créée en 2011 par Albert Szulman et Yazid Chir, la startup permet aux mobinautes d’accéder à Internet partout dans le monde, de rester connectés dès lors qu’un réseau est disponible, même s’il est faible ou saturé. « J’ai un vrai coup de cœur pour eux, même si SNCF Développement n’a pas encore trouvé comment les accompagner, sourit Cyril Garnier. Les deux créateurs veulent connecter des pays émergents comme la Tanzanie, l’Algérie, le Vietnam, le Bangladesh. Un projet magnifique. »

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