Le «cancre» de Vire met les bouchées doubles à l’international et lance un appel aux PME du secteur : «Créons des synergies à l’export !».
En reprenant la forge familiale pour la production de couverts en inox en 1948, Guy Degrenne débutait une saga entrepreneuriale qui allait révolutionner les arts de la table.
Devenue marque symbole, l’entreprise s’est forgée un destin international en préservant son ancrage local. Grâce à l’innovation et au savoir-faire de son site industriel historique de Vire (Calvados, 400 salariés), le groupe normand s’est diversifié (vaisselle de table, accessoires culinaires) et a poursuivi son expansion (rachat d’une usine de porcelaine à Limoges et en Hongrie), après la cession en 1987 par son fondateur à une holding, Table de France.
Les campagnes de communication marquantes (
dont la fameuse «publicité du cancre») et le déploiement d’un réseau de distribution (succursales, franchises, corners et détaillants indépendants) ont assis sa notoriété dans l’Hexagone. Mais, comme les autres maisons du secteur, Guy Degrenne a été distancé par la concurrence chinoise à bas coûts dans les années 90.
L’accent est mis sur l’export,
qui représente 25% du CA de 85 M€ , pour redresser l’activité arts de la table, déficitaire. D’où l’appel du président du directoire Thierry Villotte aux grandes marques françaises du secteur pour s’allier à l’international. L’apport en capital du nouvel actionnaire (Philippe Spruch, fondateur de la succes story la Cie) et l’euro faible offrent au patron les conditions idéales.
Un marché fragile
Thierry Villotte, 54 ans, a pris la présidence de Guy Degrenne dans une période incertaine, en 2008, au lendemain de la faillite de Lehamn Brothers. Pourtant, ce diplômé de l’ESCP Europe, ex-directeur financier de la holding COMIR, a accepté le défi, séduit par l’engagement des salariés.
«Lorsque l’on a un personnel aussi attaché à une marque et à son avenir, on déplace des montagnes », souligne- t-il, lui aussi tout acquis à cette griffe «haut de gamme accessible », qu’il définit comme une «bourgeoise impertinente » avec ses lignes souvent très contemporaines.
La nouvelle stratégie repose sur 3 axes :
sous-traitance industrielle (activité rentable, un tiers du CA) ; vente aux professionnels (un tiers du CA arts de la table) et vente aux particuliers (deux tiers du CA arts de la table). Le cycle de vie des collections est de plus en plus court. Nous avons placé notre bureau d’études de Vire au coeur de notre stratégie et en avons fait un outil de très haut niveau. Une trentaine de personnes y travaillent, du design au process industriel », explique le président de Guy Degrenne.
Forger des partenariats à l’international
En octobre dernier, l’industriel Philippe Spruch (fondateur de LaCie et repreneur des montres Péquignet) a pris 68% de Guy Degrenne via sa holding Diversita, participant à une augmentation de capital de 20 M€ . Ce nouvel actionnaire a permis au groupe de se désendetter et de retrouver des marges de manoeuvre pour son développement à l’international. Les arts de la table ne représentent encore, à l’export, que 15% de l’activité.
«Notre faiblesse d’hier est notre force de demain, puisque nous avons sur ce plan un champ de développement significatif. Aujourd’hui, notre CA à l’international se partage entre 40% en Amérique du Nord, 20% en Europe de l’Ouest, 20% en Asie et 20% dans le reste du monde. Nous souhaitons nous développer fortement en Amérique du Nord. Pour cela, nous avons pris le contrôle fin 2014 de la filiale commune que nous avions avec Christofle aux États-Unis », explique Thierry Villotte. Depuis 2009, Guy Degrenne a également misé sur la vente aux professionnels, avec de bons résultats : +35% de croissance et quelques beaux contrats, comme l’équipement de la première classe d’Air France. «Nous travaillons depuis plusieurs années pour être référencés dans les plus grandes chaînes hôtelières mondiales », indique d’ailleurs le patron, qui équipe notamment les groupes Pullman et Barrière. Reste la vente aux particuliers.
«4 ou 5 confrères dans le monde pèsent 1 Md€, avec une force de frappe gigantesque. La deuxième catégorie à dimension mondiale concerne des groupes de 200 à 300 M€ de CA. Ensuite, il y a les petits. Avec nos 85 M€, nous faisons partie des intermédiaires. Soit on joue local, soit on essaie de s’allier avec d’autres pour être plus gros, parce que développer l’international coûte cher », analyse Thierry Villotte, qui renchérit : «En France, nous avons des très belles marques qui réalisent 10, 15 M€ de CA et avec qui nous pourrions nous allier pour aller plus vite. L’idée, c’est de faire comme les Allemands qui chassent en meute au lieu de rester individualistes ».
Créer une filiale de distribution commune, comme avec Christofle, lancer des boutiques multimarques, partager un stand sur un salon professionnel, «tout est possible », selon le patron.
La sous-traitance en toute transparence
Outre les collections d’arts de la table, Guy Degrenne développe depuis les années 80 une activité de soustraitance pour des clients industriels du nucléaire, de l’aérospatial, de l’électroménager, de l’agroalimentaire.
Cette activité bénéficiaire, autrefois cachée, a été fortement développée depuis 2009, aujourd’hui un tiers du CA du groupe, dont 80% à l’international. Cette transformation industrielle a sauvé l’usine de Vire. «Notre usine est un bâtiment de 4 hectares qui ne faisait que du couvert. L’idée a été d’utiliser notre savoir-faire dans l’emboutissage de l’inox pour réaliser des pièces complexes pour le monde de l’industrie.
Le pari est réussi aujourd’hui puisque 80% de l’activité de l’usine sert des clients externes et 20% le groupe », explique Thierry Villotte, qui cite notamment Thermomix (fabrication de bols) ou le TGV (toilettes en inox). L’équipe commerciale et le bureau d’études sont mobilisés sur cet axe stratégique de développement qui tire l’innovation. Ce succès aidant, l’optimisme est définitivement de retour. D’ailleurs, 40 intérimaires ont déjà rejoint les équipes ces derniers mois.