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L’Auvergnat Carbios lance sa première usine de recyclage plastique

Emmanuel Ladent dirige Carbios depuis le 1er décembre 2021.

Quelle est la « technologie révolutionnaire » de Carbios ?

Emmanuel Ladent : Tout d’abord, elle permet de traiter des déchets qui sont sans avenir, car ils ne peuvent pas être recyclés, comme 90 % des barquettes plastiques ou des textiles polyester. Ensuite, notre traitement est entièrement biologique, car il repose sur des enzymes qui sont des protéines, sans solvant ni produit chimique. Nous sommes les seuls au monde à maîtriser cette technologie à ce jour. Enfin, ce processus permet des économies de CO2 très significatives. En France, l’ADEME l’a estimée à 57 % par rapport à l’utilisation de plastique vierge. La généralisation de notre process peut donc se traduire par des économies représentant des centaines de milliards de barils de pétrole, l’OCDE a fait plusieurs études sur le sujet.

Pourquoi avoir choisi Clermont-Ferrand et son Centre des Matériaux Durables ?

Le groupe Michelin a reconverti son site de Cataroux en berceau pour énergies vertes avec la création d’un Centre des Matériaux Durables, mais le projet global de reconversion est gigantesque. Carbios est la première entreprise à avoir investi le centre, nous y avons nos bureaux et notre petite usine. D’autres jeunes pousses vont nous rejoindre, car les enjeux de recyclage dépassent le plastique et les textiles. Le groupe Michelin est le porteur principal de ce projet, il veut être à la pointe de ce mouvement et intégrer la technologie de Carbios dans l’avenir, car il est consommateur de polyester. Il est l’un de nos actionnaires de référence avec 3 % du capital.

Qui sont vos autres actionnaires ?

Nous avons un capital flottant important avec quelques 22 000 actionnaires, certains sont historiques comme L’Oréal (5,6 %), le groupe L’Occitane (2,33 %), Truffle Capital à un peu plus de 1 % et un family office suisse. Nous avons des fonds ESG français, allemands, scandinaves, et de très nombreux moyens et petits porteurs.

Vous avez posé la première pierre de votre usine de Longlaville (en Meurthe-et-Moselle) le 25 avril dernier. Quel est le financement et le planning de cette « première usine mondiale de dépolymérisation enzymatique » ?

Le montant global d’investissement est de 230 millions d’euros, avec l’appui des collectivités locales, de la Région, de France 2030, et un protocole d’intention signé avec Indorama Ventures. Cet industriel thaïlandais de fibre textile polyester dispose d’usines un peu partout dans le monde et est très intéressé par la technologie Carbios. Il s’agit d’un projet global qui part du terrain nu pour aboutir à la production des premiers tonnages commercialisables début 2026. De plus, nous pourrons traiter 50 000 tonnes de déchets par an dès fin 2026, l’équivalent de 2 milliards de bouteilles ou 300 millions de T-shirts pour une production de 45 000 tonnes.

Nos clients sont impatients, certains comme L’Oréal ont pris l’engagement de parvenir à 100 % d’emballages recyclés en 2026 dans la division luxe notamment, et ils ne sont pas seuls. Nous devons encore recruter 65 personnes supplémentaires pour l’usine et renforcer nos équipes commerciales à l’international.

Comment sécurisez-vous vos approvisionnements ?

Nous avons un accord avec Citeo pour les barquettes multicouches, et avons signé des partenariats avec les Allemands Landbell et Hündgen. Nous finalisons également un accord bilatéral à long terme avec le Danois Novozymes, la société qui produit les enzymes, un poids lourd du marché mondial. Carbios développe, Novozymes produit à grande échelle, notre intérêt est mutuel.

La stratégie future est-elle de passer par des contrats de licence ?

Les produits de notre usine seront vendus directement aux marques et à nos partenaires. Des industriels de premier plan qui nous soutiennent et sont de gros consommateurs de PET comme Nestlé Waters, PepsiCo, Suntory Beverage & Food Europe ont rejoint le consortium d’emballage fondé par Carbios et L’Oréal. Dans le secteur textile, Carbios a réuni Patagonia, Puma, PVH Corp., Salomon et On. Nous travaillons aussi étroitement avec L’Occitane-en-Provence et Pinard Beauty Pack pour qui nous avons créé un flacon en PET 100 % recyclé issu du recyclage enzymatique. Carbios a d’ailleurs été primé lors du dernier Salon Luxpack pour cette réalisation.

Pour d’autres zones, nous désirons licencier la technologie dans le monde industriel aux acteurs du plastique dans le monde entier. Nous avons déjà de très nombreux contacts avec le monde international de la chimie et de la gestion des déchets, intéressés par l’achat d’une licence, et plus particulièrement en Asie, Japon, Chine, Corée, Taïwan, où il y a une énorme demande sur le recyclage du déchet textile. En effet, les marques ne veulent plus fabriquer de vêtements à partir du recyclage de bouteilles, Carbios leur offre une solution en permettant de faire du « fibre à fibre », déchet textile pour nouveau textile.

Qui sont vos concurrents et où en sont-ils ?

La majorité de nos concurrents sont positionnés sur les technologies de recyclage traditionnel mécanique, un système qui présente un gros défaut, car il est très sélectif sur les déchets. Il recycle essentiellement les bouteilles transparentes, au maximum deux fois, car la qualité n’est plus au rendez-vous ensuite du fait des impuretés. Il existe également un procédé de dépolymérisation, qui permet de revenir aux composants de base via des processus chimiques à base de méthanol ou de glycol, qui exige de monter à des températures de plus de 200°.

Le process de Carbios nécessite une température de 60 à 65° et il est directement compatible avec le fabricant de plastique. Pour l’instant, nous sommes les seuls à y parvenir, mais il est probable que d’autres acteurs vont apparaître et c’est tant mieux.

Vous êtes donc optimiste pour l’avenir ?

Nous sommes une entreprise à mission, porteuse de sens, cela est dans notre ADN. L’aspect réglementaire se met en place partout dans le monde sur la recyclabilité et la circularité, une évolution très positive. Les engagements européens pour 2040 ont provoqué des mouvements chez toutes les grandes marques, avec une dynamique d’engagement ESG très puissante pour aller vers l’élimination des plastiques pétrosourcés à usage unique.

Le recyclage est fondamental. Dans les 3R, « Réduire, Réparer, Recycler », l’élément qui doit le plus progresser est le « Recycler ». Aujourd’hui, on ne recycle que 10 % du déchet plastique, et moins de 1 % du textile. Notre technologie va permettre de vraiment mieux recycler ce qui se trouve dans la poubelle jaune, qui doit donc continuer d’être bien remplie par les citoyens. Carbios dispose également d’une autre activité, plus modeste.

Le plastique biosourcé n’est pas naturellement biodégradable, nous avons donc créé un additif à base d’enzymes, qui une fois incorporé dans l’objet biosourcé le rend dégradable à température ambiante. Le paquet de chips qui perdurait plus de cinquante ans se dégrade ainsi en douze semaines. Nous allons démarrer aux États-Unis. Nous projetons d’atteindre une part du marché mondial de 5 % en 2030 sur notre marché et autour de 10 % en 2035, ce qui fera de nous le leader mondial du recyclage du PET, un défi que nous pouvons remporter.

Propos recueillis par Anne Florin


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