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Père Guy Gilbert, le berger des loubards

Après ses 13 années en Algérie, en 1970, le Père Guy Gilbert rentre à Paris et va devenir le Curé des loubards.

Entreprendre - Père Guy Gilbert, le berger des loubards

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Dans la première partie de cette trilogie consacrée au Père Guy Gilbert, le berger des loubards, des motards et des stars, nous avions évoqué la vie de ce prêtre, né en 1935, 3ème d’une fratrie de 15 enfants. Après ses 13 années en Algérie, en 1970, il rentre à Paris. Il va devenir le Berger des loubards.

Après Blida, en Algérie, le père Guy Gilbert rentre en France, à reculons. « Entre 1965 et 1970, j’ai vécu 5 années extraordinaires. Je découvrais le monde musulman, leurs traditions. Et puis, je me suis occupé de la jeunesse algérienne. Ils étaient heureux de me voir débouler, les gosses. Je jouais avec eux, je leur apprenais pleins de trucs. Et, les anciens étaient respectueux de ce que j’étais, de ce que je faisais. Ils respectaient mon célibat et ma vocation de prêtre. Un jour, à Blida, un curé de Paris vient me voir. C’était Jean-Claude Barreau. Il me dit : Mais, tu es fait pour la rue, toiIl m’invite à le rejoindre avec son équipe de prêtres et à m’occuper des jeunes de la rue. »

A Paris, Guy Gilbert se retrouve au 3è étage d’un immeuble du 19è arrondissement. Il commence à côtoyer des loubards avec les prêtres de la paroisse Saint-Christophe. La rencontre avec cette jeunesse violente est une vraie découverte qui se transforme en combat, celui du bon confronté aux brutes, et, aux caïds. Les poignées de main sont viriles et virent à la confrontation, les salutations sont des injures à n’en plus finir, qui se terminent le plus souvent par des rixes. Les coups de poing fusent. Les caïds en jeans, en tee-shirt et en blouson noir sont les rois du quartier. Le curé de Blida arrive dans cet environnement comme un jeune chien dans un jeu de quilles. Un à un, mois après mois, les caïds vont tomber et se remettre debout. Un bon samaritain est venu à leur chevet. Il les sort du piège de la rue qui les emmène directement à la case prison. Lui, les en sort.

Il est resté fidèle alors que beaucoup de prêtres ont quitté le sacerdoce, il y a deux ans. Nous sommes en 68. « A la suite de mai 68, et, du Concile Vatican II, 3 000 prêtres ont quitté l’Eglise et se sont mariés. Quand je suis arrivé à Paris, dans cette paroisse, sur les 5 prêtres, 3 se sont mariés. Moi, je continuais. Le « IL EST INTERDIT D’INTERDIRE » n’a eu aucune conséquence sur ma foi et sur ma vocation. Le Cardinal Duval, d’Alger, m’avait en quelque sorte préparé à ce tsunami. Il m’a formé et m’a transmis une assise, une force extraordinaire. Dans cette tempête folle, qui continuait encore à secouer l’Eglise, je restais moi-même, fidèle. » De cette fidélité à toute épreuve, le père Guy Gilbert a développé un amour de l’Eglise incroyable. Malgré son franc-parler, malgré ses grossièretés qui frisent, parfois, l’insulte, malgré ses paroles fortes, qui esquivent la violence, sa hiérarchie l’a toujours soutenu. Respect !

Dans la rue, avec les loubards

Avec sa moto, une Honda 500 Four, Guy Gilbert entre dans le saint des saints, dans le cercle fermé de cette jeunesse abandonnée, maltraitée, qui se regroupe en bande et qui devient délinquante. Il reste, cependant, un étranger de la nuit. Il commence à l’apprivoiser cette jeunesse de la rue. Il vit avec elle une partie de la nuit. Chaque soir, il part à sa rencontre. Il accepte les rendez-vous et en fixe. A leurs contacts, il apprend leur langage. Il devient au fur-et-à-mesure de sa confrontation sur leur terrain de jeu, leur éducateur.

« Pour être un bon éducateur, il faut, d’abord, être un bon observateur, résume-t-il. Il faut être, aussi, humble, patient, tenace. Puis, ne rien lâcher et rester fidèle, quoiqu’il arrive. » Il observe « les flics » qui semblent être les premiers à insulter ces jeunes. Une nuit de 1972, Guy Gilbert en a marre de ces insultes qui fusent parce qu’il est entouré « d’arabes et d’africains, traités de bicots et de négros par les flics. » Ce soir-là, un jeune lui dit : « Tu veux savoir ce que l’on vit, prends mon blouson. »

Le curé échange alors sa soutane et ses 33 boutons, contre un blouson noir maculé de pin’s. Le lendemain, lors d’une interpellation un policier demande : « Qui est ce vieux con qui est avec vous ? » Guy répond et répète plusieurs fois : « Je t’emmerde, moi ! » Et, il se fait embarquer sans ménagement, direction le commissariat du 19è. A l’intérieur, en le voyant, le commissaire interrompt l’agent et lui dit : « T’amènes des curés maintenant ? ». Et, le policier répond : « Un curé, ça ? » en montrant du doigt son blouson noir. Dès cet instant, le curé se fait un nom dans le milieu. De rues en rues, il grapille les bandes de jeunes. Il devient éducateur et sauveur des jeunes.

Au 11è étage d’un immeuble

Son activité de prêtre-éducateur-sauveur commence à déplaire aux caïds du coin. Surtout, quand il s’attaque, sans le savoir, au marché de la drogue. Depuis un an, il aide tout particulièrement un jeune, que l’on appellera Théo. Il découvre qu’il vend de la drogue. Ce jeune vit dans une famille d’accueil, qui habite dans le quartier de Guy, au 11è étage d’un immeuble. Lors d’une soirée à laquelle Guy est invitée, il se retrouve nez-à-nez avec le dealer, qui dirige Théo. Le dealer insulte Guy. C’est le face-à-face. « Espèce de vieux con, lui dit-il, j’ai envie de te casser la gueule. »

La confrontation est musclée, c’est le duel version années 70. Guy descend avec lui les onze étages, et, c’est l’affrontement physique, sauvage. « J’étais en sang, il m’arrache les cheveux me roue de coups. C’était terrible. Je n’osais pas le frapper », se souvient Guy. Il se fait soigner à Montmartre, chez les bonnes-sœurs. Le lendemain, Guy est vite remis sur pied. Il rencontre de nouveau le dealer qui l’avait agressé et qui lui dit : « Tu t’es mal défendu hier. Mais tu es l’un de nous, maintenant. » La violence devient le pain quotidien du prêtre, qui par nature et par volonté est un non-violent. « Ce qui ne m’empêche pas de donner le coup de poing, quand il le faut, pour se faire respecter. Mais, c’est devenu très très rare, s’amuse-t-il à ajouter en montrant son poing bagué. Un jour un jeune m’a dit : ‶ Tu as une bonne droite.″ C’est celle du Seigneur,  lui ai-je répondu. Elle est très évangélique ». Il en rigole encore.

Après avoir vécu en Algérie, « dans un milieu très chouette et très vivant où mes seules armes étaient mes seringues et mon bréviaire », le père découvre ce monde de la rue, de la violence. Lors des rixes entre bandes, il défend ses jeunes. Ils ont entre 13 et 20 ans. Ils s’appellent Alain (le premier jeune de Blida, qu’il adoptera et qui le suivra à Paris), Seb, Anice, Nordine, Ludo, Jessica, Teddy, David, Thierry, Amandine, Kévin, Farid, Jean-Luc…Ils viennent de tous les horizons sociaux. Ils sont des centaines à avoir vécu avec celui qu’ils appellent « grand-père », entourés de sa demi-douzaine d’éducateurs spécialisés. La plupart de ces jeunes sont sorties de la délinquance, de prison. Et, n’y sont plus retournés. D’autres comme Marcel sont tombés « sur le champ du déshonneur, de la récidive. Un dernier hold-up. Une banque braquée à la sortie de prison. La énième de trop. Elle lui a été fatale. »

Manolo et ses 400 coups

Parmi ce presque millier de jeunes, qui se sont remis debout et qui ont retrouvé leur dignité et leur honneur grâce au père Guy Gilbert, à ses adjoints, et, à sa demi-douzaine d’éducateurs, il y a Manolo et Patrick. Manolo a, aujourd’hui, 55 ans. Patrick en a 10 de plus. Le premier vit avec toute sa famille près de Montpellier. Le second à Paris. Tous les deux ont connu Guy au moment de leur descente aux enfers. Manolo a 13 ans lorsqu’il fugue de chez lui. Il ne parle pas de maltraitance familiale, car il aime beaucoup son père. Mais, ce-dernier quand il a trop abusé de la bouteille dérape. Il s’emporte et devient violent. Manolo est là. Un jour il se lève de table pour montrer à son père qu’il n’est plus d’accord avec sa violence. Quelques jours après, il fugue. Du Mans, il prend la direction de Paris. Il s’y rend tout seul. Cet intrépide est avant-tout un précoce.

A l’âge de 8 ans, il lit déjà du Zola. Puis, ce sera du Guy Gilbert. Il lit son premier livre : Le prêtre des loubards, qu’une amie de sa mère lui a offert. « J’ai appris à lire à l’âge de 4 ans. Tout seul, car je suis un autodidacte. A 12 ans, je découvre l’univers de Guy Gilbert. A 13 ans, je fugue à Paris, puis, je retourne chez mes parents, sous la tutelle d’un juge. A 20 ans, je rencontre Guy à Alençon, lors d’une conférence. Il me dédicace son livre L’Espérance aux mains nues. Je regarde ses mains et ses bagues, son blouson noir. Je lui demande son numéro. A 20 ans, je pars vivre chez lui, avec une demi-douzaine d’autres jeunes, rue Riquet. Avec mon sac-à-dos, ma guitare et ma petite vie qui commençait à dévisser, je commence, sans le savoir, à remonter la pente. »

Guy a stoppé sa descente aux enfers. Car à son tour, à l’image de son père, Manolo boit, et, en plus, il se drogue. Il est violent et tape du flic. « J’ai fait de la prison. Guy m’a sorti de là, de la drogue, de la violence. Il m’a sauvé. » Le 2 mars 1991, « à la mort de Gainsbourg, j’ai pris ma dernière cuite, et, fumé mon dernier joint. ». En 1993, il se marie avec Michelle. Depuis, il passe toutes ses vacances d’été à Faucon, en famille. Il est heureux avec ses 6 enfants et ses 8 petits-enfants.

Patrick et les Blousons noirs

De son côté, Patrick a connu Guy en 1972 ; tout au début, il y a 50 ans. Il est lui-aussi grand-père de 5 enfants. Il rencontre le curé dans le 19è, avenue Simon Bolivar. Patrick n’est pas un révolutionnaire, et, n’est pas membre du Nouveau Parti Anticapitaliste (le NPA) qui a élu domicile dans cette avenue. Non, lui, sa vie, c’est la rue. A 15 ans, avec ses copains, une bande de loubards, qui se dénomment les Blousons noirs, ils font les 400 coups. « J’ai été abandonné par mon père, quand j’étais très jeune, vers l’âge de 5 ans. C’est ma mère, qui nous a élevé avec mon petit-frère. » Patrick n’a jamais fait les 400 coups, comme Manolo. Mais, il est, à 15 ans, sans repère. Guy Gilbert deviendra son père de substitution. Grâce à lui, Patrick repart du bon-pied, quitte sa bande. C’est avec lui que Guy visite pour la première fois cette prairie de Faucon, et, cette ruine qui deviendra la bergerie. Pour les deux hommes, Guy est leur sauveur, leur frère, leur ami infaillible.

Le père Guy Gilbert après avoir été formé par le père Jean-Claude Barreau, qui a quitté la prêtrise et s’est marié pour embrasser une autre vocation, poursuit son chemin avec les jeunes. Educateur dans l’âme, il s’adresse, aussi, aux motards et aux stars. Des loubards aux stars, en passant par les motards, il n’y a qu’une roue… à suivre.

Reportage réalisé par Antoine Bordier

1ère partie : Père Guy Gilbert, le berger des loubards, des motards et des stars
2ème partie : Guy Gilbert, le Berger des loubards
3ème partie : À paraître le dimanche 13/02


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