A l’âge de 63 ans, cet autodidacte atypique, qui détient les enseignes Gifi, Trafic et Tati, a débuté sa carrière comme maquignon dans le Lot-et-Garonne. Philippe Ginestet est aujourd’hui l’une des principales figures de la grande distribution.
Après avoir enchaîné les métiers atypiques (marchand de bestiaux, vendeur sur les marchés, installateur d’antennes),
Philippe Ginestet devient représentant de commerce pour Electrolux durant les années 70 où il est élu meilleur vendeur, puis soldeur sur les marchés et les foires.
Il se lance dans l’aventure entrepreneuriale en 1981 en ouvrant une solderie spécialisée dans l’équipement de la maison et de la famille à petits prix sous le nom de GiFi – GI pour Ginestet, FI pour Philippe – à Villeneuve-sur-Lot dans un hangar d’une superficie de 300 m2. Il fanfaronne insolemment en plaçant sa tête dans le logo de la marque. L’ouverture de ce magasin marque le début d’une longue série.
Destination Chine
Conscient qu’il faut acheter en masse pour bénéficier de prix attractifs sur les objets de bazar, Philippe Ginestet achète des quantités très supérieures – parfois 10 fois plus ! – à ces besoins chez les grossistes parisiens. Pas question pour lui de perdre l’excédent qu’il revend habilement à d’autres commerçants.
En 1988, en tête d’une quinzaine de magasins, il a l’idée de s’approvisionner directement en Chine afin de pouvoir conserver ses prix. Ne parlant pas l’anglais, Philippe Ginestet ruse en sollicitant le portier d’un hôtel de Hong Kong afin de l’aider dans ses démarches. Ce même portier deviendra son acheteur pour la zone Asie qui emploie aujourd’hui un centaine de personnes.
Une mécanique bien huilée
En 1996, Philippe Ginestet cède une partie de son capital à des fonds de pension, ce qui lui offre l’opportunité de racheter l’immobilier de multiples magasins et de faire l’acquisition des magasins Foir’fouille. Il rachètera ensuite son capital qu’il détient aujourd’hui entièrement avec son fils Alexandre.
L’entrée en bourse GiFi est entré en Bourse en 2000 seulement trois semaines avant l’éclatement de la bulle Internet. L’action avait alors perdu 70 % de sa valeur en quelques jours, au grand dam de Philippe Ginestet qui ne s’est pas démonté pour autant, et est sorti de ce mauvais pas en rachetant 100 % du groupe au plus bas prix possible. En 2011, l’action valait 75 euros, contre 21 euros initialement.
Tati, un rêve d’enfant qui se réalise
Le 26 juin 2017, le tribunal de commerce de Bobigny désignait Gifi comme le repreneur de Tati et des trois enseignes en difficulté d’Agora Distribution du groupe Eram (Fabio Lucci, Gigastore et Degrif’ Mania). Ce rachat permettra de sauver 1 428 emplois sur les 1700 menacés et de conserver 109 magasins sur 140 au total.
« Lorsque j’ai créé GIFI en 1981, j’avais un modèle : Jules Ouaki, le fondateur de Tati, explique Philippe Ginestet. Chaque fois que je passais au volant de mon camion devant son magasin de Barbès, je me disais : c’est lui qui a tout compris, c’est lui la référence. » Il n’aurait jamais imaginé à l’époque être en position de pouvoir sauver cette marque emblématique 36 ans plus tard.
Selon Philippe Ginestet, Gifi et Tati sont deux entreprises érigées sur le même modèle avec des savoir-faire très complémentaires, l’expérience du bazar d’un côté et celle du textile de l’autre. Le plan d’action de l’époque consiste à investir 80 M€ afin redresser l’entreprise en 2 ans. Philippe Ginestet confiait en avril 2017 au Monde « qu’il faut bien cibler le type de marchandises par rapport à ce que représente la marque Tati. Ce sont de beaux magasins, mais qui ont eu tendance à aller trop vers des produits mode et haut de gamme. »
Avec Besson, Philippe Ginestet trouve chaussure à son pied
Alors que Patrick Puy, repreneur de Vivarte (ex-groupe André), continue de vendre en lot les filiales parfois peu profitables du groupe – comme ce fut déjà le cas pour Naf Naf et les chaussures André –, c’est à présent au tour des chaussures Besson. Patrick Puy a initié des négociations exclusives avec les fonds d’investissement Weinberg Capital Partners associé à la holding Groupe Philippe Ginestet pour céder Besson (246 M € de CA en 2017, 133 magasins).
Au terme de cette opération, GPG contrôlera 49 % de Besson et WPC détiendra 51 % du capital. Fin 2018, le nouvel ensemble élargi représentera 860 points de ventes (485 magasins GiFi, 159 Tati et 83 Trafic), contre 727 aujourd’hui, et plus de 8 000 collaborateurs. Objectif ambitieux à l’horizon d’à peine 10 ans : franchir le cap des 1 000 magasins et des 10 000 salariés. Philippe Ginestet triomphe face à son concurrent principal, un groupement composé de Centrakor, Dépôt Bingo, La Foir’Fouille et Stokomani, en s’imposant comme le potentat de la solderie.
La soif de réussir
L’ascension de Philippe Ginestet fut fulgurante. Il est entré en 2017 dans le top 30 des grandes fortunes françaises établi par le magazine Forbes avec 1,4 milliard d’euros. En septembre 2016, l’entrepeneur révélait dans les colonnes de la Dépêche avoir
« toujours souhaité réussir, sans avoir pensé exactement à ce que ça pouvait signifier ». « Des échecs, j’en ai eus, ce n’est pas un problème, précisait-t-il. C’est ce qui permet d’apprendre, tout comme j’apprends chaque jour avec mes collaborateurs. » La stratégie en question : Philippe Ginestet a toujours mis l’accent sur une bonne visibilité des produits.
Avec Internet, fini l’engouement pour l’esprit fouillis qui donnait le sentiment de faire des affaires : il faut désormais que cela soit catégorisé et que le consommateur puisse aller vite, afin de fluidifier le parcours client. En un plus de trois décennies, Philippe Ginestet n’a fermé que dix magasins GiFi. Sa recette : des emplacements éloignés des centres-villes afin d’éviter les loyers trop onéreux, une ambiance haute en couleurs qui attirent les clients et des prix très attractifs.
Les clés du succès
Favorable à l’ouverture dominicale, dont il a fait l’expérience sur les marchés, le magnat du discount espère en tirer profit grâce à son organisation atypique. Coup de maître : la plupart de ses magasins étant lancés en mandat de gestion, les mandataires sont rémunérés en fonction du chiffre d’affaires et considérés comme travailleurs indépendants, ce qui offre une grande souplesse,
notamment concernant les ouvertures le dimanche. Après des déboires avec la justice sur le sujet, la loi a évolué en 2005 en sa faveur. Le signe que tout finit toujours par réussir à Philippe Ginestet.