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Laurent Magnin, PDG de XL Airways : « Les entrepreneurs font l’objet d’un dénigrement systématique »


Né en 1959, Laurent Magnin a très rapidement tourné le dos aux études pour suivre les traces de son père dans l’univers aérien. Président d'XL Airways et de La Compagnie, il a le verbe haut et affiche clairement ses positions.

Entreprendre - Laurent Magnin, PDG de XL Airways : « Les entrepreneurs font l’objet d’un dénigrement systématique »

Né en 1959, Laurent Magnin a très rapidement tourné le dos aux études pour suivre les traces de son père dans l’univers aérien. Président d’XL Airways et de La Compagnie, il a le verbe haut et affiche clairement ses positions.

Quelle est votre définition de l’entrepreneuriat ? 

Laurent Magnin :

Je suis consterné par la situation depuis un certain temps. Je pense que la notion de projet commun est la plus essentielle. L’entrepreneur endosse un rôle extraordinaire car l’être humain a par essence des difficultés à se concentrer dans la durée sur un projet.

L’entrepreneur est confronté à des êtres vivants avec un ensemble de paramètres qui fait qu’ils vont plus ou moins bien, son rôle étant de les ramener à une histoire commune. La vie est comparable à une centrifugeuse qui nous écarte du projet, le vrai rôle de l’entrepreneur positionné au centre étant de ramener en permanence les gens au projet en les faisant converger. C’est un véritable défi.

Que pensez-vous de la réalité du dialogue social en France ?

L.M. :

Ce sujet est assez peu abordé par la société française et très peu mis en perspective. Les entrepreneurs et les patrons font l’objet d’un dénigrement systématique mais je pense qu’il faut prendre de la hauteur car beaucoup de choses peuvent abîmer une entreprise. Si les patrons ont une grande responsabilité dans le fait que cela aille bien ou non, ils ne sont pas les seuls. 

Je pense qu’il y a de mauvais patrons mais il y a également de mauvais syndicalistes.

On se félicite de notre dialogue social alors que la France compte 5 millions de chômeurs, je pense qu’il serait bon de faire preuve d’humilité et d’essayer de comprendre pourquoi nous avons ce niveau de chômage alors qu’il y a beaucoup de travail en France et qu’il est très difficile de recruter. Je suis convaincu que nous avons une vraie problématique de dialogue social qui s’apparente à un dialogue social des années 30. En entendant certains s’exprimer, j’ai le sentiment effroyable d’exploiter des personnes dans une mine au XIXème siècle, il faut que ce type de discours cesse afin de sortir par le haut.

Je suis à la tête d’une compagnie qui n’a pas connu de grèves depuis que j’en suis président – c’est une des rares compagnies françaises à ne pas avoir fait grève depuis 12 ans. C’est difficile et je n’entretiens pas forcement une relation apaisée avec les syndicats mais le dialogue est fondamental, nous nous respectons, nous sommes parfois en désaccord mais je crois énormément au contre-pouvoir dans la mesure où cela va dans le sens de l’entreprise.

« Je pense qu’il y a de mauvais patrons,
mais il y a également de mauvais syndicalistes »

Quelles sont les valeurs portées par XL Airways ? 

L.M. :

La compagnie a connu 11 actionnaires en 12 ans. Elle s’est battue vigoureusement sur son marché concurrentiel. La direction et le personnel ont fait preuve d’une incroyable résilience au regard des événements exogènes.

Nous avons fait preuve d’audace. Nous sommes la seule compagnie française à avoir ouvert un nombre significatif de lignes en moins de 7 années. Entre 2009 et aujourd’hui, nous avons quasiment ouvert entre 2 et 3 lignes long courrier chaque année, ce qui à échelon d’une compagnie de notre taille est assez vertigineux. Nous avons ouvert les plus grandes villes des États-Unis en moins de 5 ans mais aussi les Antilles, Réunion, de nouvelles lignes sur les Caraïbes et Cuba.

Cette audace résulte de l’émulation entre les équipes et le dirigeant que je suis : je me suis toujours senti porté par nos collaborateurs. J’ai été sollicité dans le passé à trois reprises afin de diriger des compagnies aériennes. Cela aurait pu être différent ou mieux pour ma carrière mais j’étais incapable de me résoudre à quitter mes équipes.

Notre métier a beaucoup changé et devient de plus en plus difficile. Le métier de services est d’une complexité croissante car les consommateurs sont de plus en plus exigeants – c’était assez différent il y a encore 20 ou 30 ans. Cela suppose une forte adaptabilité et une résistance infaillible pour rester souriant et apporter un bon niveau de service au client.

Quel est le positionnement de la compagnie sur son segment ?

L.M. :

Nous sommes partis sur un grand postulat touristique selon lequel nous souhaitions emmener les gens en vacances. Nous sommes également positionnés sur de l’affinitaire avec la communauté qui voyage entre la métropole est les îles mais la notion de voyage est toujours présente.

Que cela soit dans le charter et ensuite dans le low-cost, j’ai toujours eu conscience qu’il existe un différentiel substantiel dans l’aérien. Les voyageurs qui payaient leur billet avec l’argent de leur société en voyageant en affaires ont fait vivre l’aérien pendant quasiment un siècle. L’aérien a d’abord fonctionné avec des personnes qui ne se payaient pas leur billet avec leur argent.

La grande révolution des 10-15 dernières années, c’est le transport du « peuple » au sens large. Désormais, les personnes voyagent pour des raisons personnelles en payant leur billet avec leurs deniers.

Les compagnies classiques n’ont pas vu arriver l’explosion des compagnies low-cost moyens-courriers, et en particulier celle d’EasyJet et de Ryanair au début des années 90. On oublie de préciser que les vols pour Milan, Francfort, Amsterdam ou Istanbul étaient auparavant vendus entre 300 et 500 euros l’aller-retour. Aujourd’hui, nous sommes entre 50 et 100 euros sur un rayon de 3 heures de vol dans tout le bassin méditerranéen ou sur toute l’Europe.

L’Europe a complètement bougé avec l’avènement du modèle low-cost, sonnant le glas de l’échec des legacy car ce modèle n’a été suivi que par des compagnies low-cost. Les compagnies classiques n’ont pas su s’adapter. Pour preuve, sur une majeure partie du secteur moyen courrier, les compagnies traditionnelles ont disparu. XL s’était inscrit bien avant tout le monde sur ce segment, il y a 10 ans. Nous avons lancé nos premiers vols à bas coûts sur les Etats-Unis en 2009 en abaissant de 20 à 30% les tarifs.

Quelles sont les conséquences de cette révolution de l’aérien ?

L.M. :

Elle permet d’ouvrir l’aérien à un plus large public. Cette démocratisation est fondamentale et on parle de notion totale de pouvoir d’achat. Politiquement, cette accessibilité est capitale, nous n’aurions pas fait l’Europe de la même façon si les compagnies low-cost n’avaient pas existé. L’Europe s’est construite sur les fondamentaux du low-cost et c’est précisément ce qui constitue la révolution aérienne. La volonté politique était de favoriser les déplacements des personnes au sein de l’Europe afin qu’elles se sentent européennes, ce qui supposait que le billet ne coûte pas 500 euros. Nous avons donc assisté et participé à une profonde révolution sociétale.

« Nous n’aurions pas fait l’Europe de la même façon si les compagnies low-cost n’avaient pas existé »

 

Quel est le modèle économique de la compagnie ? 

L.M. :

Nous avons retenu des fondamentaux assez simples avec une utilisation maximale des avions, ce principe étant un principe assez low-cost car les compagnies ne peuvent pas se permettre d’avoir une sous-utilisation de la flotte. XL s’est inscrite certaines années dans le top 5 des utilisateurs de l’Airbus A330 avec 5 000 heures de vol à l’année.

Il faut rompre avec les idées reçues : un avion qui vole beaucoup et qui est bien entretenu est un avion qui a peu de souci contrairement à un avion qui vole peu. Nous nous sommes par ailleurs concentrés sur la classe éco. Cela nous a permis d’équiper des avions en 360 ou en 400 sièges et ainsi de pouvoir proposer des prix en classe éco extrêmement bas. Durant des années, nous avons de proposé les Etats-Unis à un prix très inférieur à une partie de la concurrence.

Il est important de préciser que les classes économiques des compagnies aériennes sont très similaires : les différences sont beaucoup plus présentes en business en termes de produit, de typologie de siège, de services à bord, etc…

Quel est le bénéfice de votre union avec La Compagnie en 2016 ?

L.M. :

Elle nous a permis de réduire les coûts (achat groupé de carburant, mutualisation des assurances, de la maintenance des avions). Nous sommes sur une association assez différente avec un positionnement sur des segments différents mais ces deux entités sont pilotées industriellement par le haut.

Nous mettons des choses en commun sur la partie industrielle alors que nous sommes dans une logique de différenciation totale sur le produit. La Compagnie est une compagnie 100 % classe business, avec un charme rétro, on y retrouve une convivialité proche de celle que l’on avait dans les années 60, incomparable à ce que l’on classiquement en business class dans les très gros avions aujourd’hui.

Quelles ont été les évolutions majeures du tourisme aérien ces dernières années ?

L.M. :

Nous vivons un phénomène un peu atypique et étonnant en France. Lorsque vous regardez ce qui se passe sur le plan touristique dans le reste de l’Europe, on constate une santé insolente du voyage packagé « tout compris » (avion, hôtel, transfert, excursions). Cela répond au fait que la démocratisation des vacances au sens « package » du terme s’est opérée dans ces pays : 35 millions de package vendus en Allemagne et environ 7 fois moins en France.

En France, nos concitoyens privilégient la notion de vacances populaires et préfèrent se déplacer en voiture ou rester dans l’Hexagone. De fait, ils utilisent moins les services de nos compagnies aériennes et des tours-opérateurs, ce qui minore très significativement la pénétration des tour-opérateurs français sur le marché français. Nous passons complètement à côté de quelque chose en France. Nous avons encore beaucoup de Français qui n’utilisent pas les tours-operateurs, les agents de voyage et les compagnies aériennes pour leurs vacances.

Nous n’avons pas encore trouvé la clé magique pour les inciter à voyager à travers des produits packagés. Par contre, une grande partie de la clientèle est beaucoup plus réactive sur le fait de construire ses vacances elle-même, contrairement aux Allemands et aux Anglais. Nous observons une explosion du nombre de personnes qui achètent leurs vacances en dématérialisé en se débrouillant elles-mêmes.

Le Français est redoutablement autonome et sur ce plan, il est donc bon client des compagnies aériennes low-cost. Je pense que plus l’offre low-cost va grandir, plus nous allons inciter les gens à bouger sur cette partie-là. Nous disposons donc d’un énorme réservoir sous-utilisé en France faute d’avoir réussi à amener tous nos concitoyens dans nos histoires (sic). Dans les nouvelles générations, l’utilisation des nouvelles technologies pour acheter des voyages devrait faire bouger les lignes.

Imaginez-vous qu’il soit possible de créer un pôle aérien français pour faire face à Air France ?

L.M. :

Le pôle aérien français ne doit pas se situer par rapport à Air France, ce n’est même plus le débat. Le pôle aérien français doit se situer par rapport à la concurrence étrangère. Je suis vice-président de la FNAM (principale organisation professionnelle du secteur aérien, NDLR) aux côtés d’Alain Battisti et nous avons des craintes pour le pavillon français et des inquiétudes majeures sur Air France car les compagnies aériennes étrangères nous estiment extrêmement fragiles, leur objectif étant de nous finir à la hache. Tout ce qui se passe dans nos  compagnies aériennes réjouit nos concurrents étrangers.

Les responsabilités sont multiples et je n’entends pas me cacher derrière mon petit doigt, nous avons tous un absolu manque de coordination de nos actions pour que le pavillon français soit fort. Il y a déjà eu un réel trou noir au niveau de l’Etat, je me félicite qu’il y ait des assises des transports aériens même si elles interviennent tardivement et qu’elles sont pour partie pulvérisées par le conflit interne Air France.

Que vous inspire l’action d’Emmanuel Macron sur ce dossier ?

L.M. :

Le président Macron est peut être le premier à se pencher réellement sur le sujet. Nous avions eu un préalable avec Bruno Le Roux qui avait réalisé un travail exceptionnel afin de dresser un état des lieux. Ce travail est malheureusement tombé aux oubliettes car Manuel Valls avait complètement enterré le fait qu’il fallait se mobiliser pour l’aérien. On considère de façon catastrophique que l’aérien est un sujet de riches.

Rappelons qu’Air France a dû perdre de l’argent pendant plusieurs années et que, par ailleurs, nous rencontrons des problèmes énormes dans ce pays que n’ont pas une grande partie de nos concurrents. Ryanair qui se vante d’avoir les meilleurs résultats d’Europe sur les 10 dernières années semblerait avoir autorisé les syndicats à exister en interne au bout de 20 ans. Je vous laisse imaginer si Air France ou XL Airways avaient fait la même chose, cela aurait été un scandale !

« Nous devons nous demander si nous avons la volonté de survivre en gagnant des parts de marché face à des machines de guerre comme British Airways, Lufthansa et les compagnies du Golfe »

 

Les règles sont-elles les mêmes pour tout le monde en Europe ?

L.M. :

Les donneurs de leçon en Europe sont parfois affranchis du social et du syndicalisme et je ne parle même pas des compagnies du Golfe. J’estime ne pas avoir de leçon à prendre sur ce plan-là. L’Europe sur ce sujet m’agace car clairement les règles ne sont pas les mêmes, les charges sociales ne sont pas les mêmes, les positions par rapport au social ne sont pas les mêmes. Je suis un démocrate et je revendique la nécessité de l’existence de syndicats.

Je ne peux supporter qu’un concurrent à l’autre bout de l’Europe qui n’a pas de syndicat se permette de me donner des leçons, et m’explique qu’il est meilleur que moi. Je trouve scandaleux que l’Europe ait autant d’inégalités sur un marché ultra libéralisé, il faut des règles identiques partout. Si on est en Europe dans un marché aérien qui ne fait pas partie de l’OMC (Organisation mondiale du commerce, NDLR) et est complètement libéralisé, il faut nécessairement une unité du montant des charges sociales des compagnies européennes.

Jean-Marc Janaillac expliquait que le transfert du siège d’Air France à Amsterdam chez KLM lui permettrait de réaliser une économie de 800 millions d’euros. Il y a clairement un malaise…

Nous n’avons pas non plus à recevoir de leçons des structures aéroportuaires comme Aéroports de Paris qui augmentent les charges de trois fois l’inflation chaque année quand l’aéroport d’Amsterdam baisse ses taxes. Je prends des leçons lorsque nous n’avons pas fait notre travail. Mais lorsque nous avons fait ce que nous devions et que nous ne sommes pas bons suite à des raisons extérieures, cela me pose problème.

Nous avons cependant des leçons à recevoir sur la qualité de notre dialogue social dont la médiocrité est inconcevable. Si nous mourons ensemble, les responsabilités incomberont tant aux entrepreneurs qu’aux syndicalistes et, si nous gagnons, cela sera ensemble en nous unissant pour une cause commune.

Quelle est la question essentielle à se poser au sujet de l’avenir du transport aérien français ?

L.M. :

Nous devons nous demander si nous avons la volonté de survivre ou de vivre en gagnant des parts de marché face à des machines de guerre comme British Airways, Lufthansa et les compagnies du Golfe… C’est l’essentiel du débat.

En poussant le raisonnement à l’extrême, la France na pas besoin de ses transporteurs aériens français. Si demain Air France s’écroule, il faudra probablement moins de 3 mois pour que les grandes compagnies du monde entier suppléent l’offre d’Air France. Les concurrents internationaux sont capables de rebondir et de backuper le nombre d’avions d’Air France en cas de disparition.

Nous devons nous réveiller car nous avons tout pour gagner. Cela me rend hystérique. Les éléments sont très factuels : nous sommes le premier pays touristique du monde et dans les 20 ans à venir cela sera encore plus dingue car l’accession à un véritable pouvoir d’achat permettra de voyager en long courrier. Sur l’Europe, les positions sont figées avec des tarifs à 50 euros pour la traverser. Nous allons avoir des flux touristiques énormes qui sont du reste une véritable réponse à la problématique de l’emploi. La seule et vraie question étant de savoir si nous sommes capables consubstantiellement de prendre ces flux touristiques.

On nous a rabattu les oreilles pendant 20 ans avec les pays du Golfe en ne tarissant pas d’éloges à leur égard. Il est certain  que si l’Etat français avait supprimé les charges des compagnies françaises et si nous avions reçu des milliards comme Qatar Airways et consorts, l’aérien français aurait au moins 1 000 ou 2 000 avions.

Comment expliquer le succès des compagnies du Golfe ?

L.M. :

Elles ont réalisé un travail énorme en étant soutenu au départ et même encore aujourd’hui pour certaines d’entre elles. Elles transportent des millions de gens de l’Asie vers l’Europe. Si demain, des compagnies low-cost ont la capacité de proposer des billets à 600 euros aller-retour sur l’Asie, nous récupèrerons donc des clients des compagnies du Golfe. N’étant pas au milieu d’un bac à sable, nous aurions pu exploser grâce à notre situation géographique mais nous n’avons jamais été soutenus par qui que ce soit ni bénéficié de règles équitables. Mais nous n’obtiendrons rien sans effort.

Si nous ne nous mettons pas au niveau des grandes compagnies aériennes internationales en matière de productivité, il faudra renoncer au transport aérien français. Il faut que l’on gagne de l’argent et que l’on rémunère les salariés, nous sommes là pour qu’ils gagnent leur vie. Je comprends parfaitement la bataille du pouvoir d’achat mais je ne vois pas comment des pauvres peuvent partager de l’argent. Or, les compagnies françaises sont résolument pauvres.

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