Par Tom Benoit, philosophe et essayiste, directeur de la rédaction de Géostratégie Magazine.
La dette publique française avoisine les 3 000 milliards d’euros. 52% des titres obligataires émis par la France sont actuellement détenus par des prêteurs étrangers. Aujourd’hui, je demande à ce que la Cour des comptes réalise un audit informant sur les origines exactes des prêteurs qui ne sont pas français, qu’ils soient de simples investisseurs, des organismes de crédit ou des compagnies.
Au vu des troubles géopolitiques que nous rencontrons en ce moment sur le sol eurasiatique, il m’apparaît essentiel que notre nation soit en pleine capacité d’envisager que certains pays, représentant jusqu’ici pour la France de considérables exportateurs d’énergie ou de matières premières, cessent de se procurer des obligations d’État françaises. Par exemple, il est raisonnablement prévisible que certains des investisseurs russes, qui ces dernières années avaient pour usage d’acheter des titres obligataires français, ne réitèrent pas leur placement durant les temps qui arrivent.
Hormis en cas de la récente et extraordinaire pratique de l’assouplissement quantitatif, généralement, les systèmes obligataires fonctionnent partiellement ainsi, les investisseurs installés dans des pays exportateurs d’énergie ou de matières premières réintroduisent dans les économies des pays qui sont importateurs, une partie de la quantité de la devise que ces derniers ont fourni en échange de leurs achats.
L’hégémonie occidentale, du moins sur le plan financier, a longtemps pris ses fondements, entre autres, sur ce tour d’adresse avantageux. Jusqu’à présent, nombreux étaient les États qui acceptaient la relative domination des grands pays européens, tirant vanité de collaborer avec eux, et supposant à juste titre que cela leur permettrait de profiter des apports intellectuels et tertiaires amenés par ceux-ci. L’image de l’Europe de la seconde partie du siècle passé était un gage de sécurité.
La Russie regardait cela d’un œil attentif depuis les années 2000. Il n’y a pas très longtemps, même les dirigeants américains semblaient favorables à ce que la Russie puisse intégrer un Conseil de sécurité en Europe. N’oublions pas également que l’architecture du système financier international est essentiellement américaine, et que la Russie, qui était soviétique en 1944, n’a de facto pas signé les accords de Bretton Woods lors de la structurante conférence d’après-guerre. De surcroît, l’émergence des BRICS est récente.
Il convient donc d’assimiler que l’échiquier est bouleversé, et que dorénavant, les habitudes ne suffiront plus à inciter certains prêteurs à alimenter les dettes publiques européennes. Le jeudi 4 mai dernier, lors d’un échange en direct sur TV5Monde, je demandais à Bruno Le Maire d’informer sur les origines exactes des prêteurs étrangers qui détiennent les 1 500 milliards de dette publique extérieure de la France. L’actuel ministre de l’Économie et des Finances me répondit alors qu’il était possible d’accéder à ces renseignements en consultant le site de l’Agence France Trésor, et que la France n’avait aucune difficulté à émettre de la dette.
L’extrait vidéo de notre discussion, qui a été vu plus de 240 000 fois sur Twitter, a suscité l’étonnement de nombreuses personnes qui, après s’être rendues sur le site officiel de France Trésor, ont massivement confié n’avoir pu y découvrir qu’un simple tableau informant de la répartition de la dette par catégories de prêteurs. Effectivement, on y apprend tout au plus que les titres obligataires correspondant à la dette extérieure de la France sont détenus par des investisseurs non-résidents.
En revanche, la nationalité de ces derniers n’apparaît nulle part. Certains pays, comme par exemple le Japon, détiennent l’essentiel de leur dette publique. Pour le cas de cet État insulaire, environ 90 % des obligations émises ont été achetées par des personnes ou des organismes japonais. Cela signifie que, malgré un endettement s’élevant à 264 % de son PIB, le Japon dispose en la matière d’une visibilité largement supérieure à celle que la France peut mesurer avec une dette publique qui atteint environ plus de 111 % de son PIB.
Qualifier de façon précise l’origine des prêteurs étrangers lorsque la part de dette extérieure d’un État est importante, relève d’une double nécessité, premièrement, cela permet d’identifier les États avec lesquels il existe un lien durant le présent, et d’autre part, cela contribue à cibler les États avec lesquels de plausibles futures collaborations seront perpétuées ou arrêtées. Je demande donc au ministère de l’Économie et des Finances et à la Cour des comptes, d’envisager au plus tôt d’établir un audit permettant de spécifier les origines exactes de la dette extérieure de la France.
Tom Benoit