Comment en êtes-vous venu aux brosses à dents ?
Thomas Jeanvret : Je parle aussi pour mon associé Alexis Godicheau. Tout a commencé fin 2016, nous étions dans la même société de développement web, moi au commercial, lui au marketing. Nous avons huit ans d’écart, j’avais déjà créé une entreprise dans l’automobile, mais cette première tentative a finalement dû cesser. J’avais cependant très envie d’entreprendre de nouveau, Alexis avait également envie de se lancer. Nous nous entendions très bien et avons entamé une réflexion sur les besoins primaires des Français tels que se nourrir, se loger, prendre soin de soi.
Nous avons finalement opté pour cette dernière option et, dans cette verticalité, nous avons tenté de détecter les marchés moins innovants, d’analyser des signaux faibles tels que le plastic bashing, le made in France, la conscience écologique, des notions encore en émergence, mais porteuses de sens. C’est ainsi que nous en sommes arrivés à la brosse à dents ! 180 millions d’unités vendues en France, 95 % importées d’Asie et 95 % en bi ou trimatières donc non recyclables. Or, lorsque la brosse est usée, on jette aussi le manche. Autre élément du marché, les Français changent de brosse à dents entre 2,3 et 2,4 fois par an au lieu de 4 fois par an.
Le produit était trouvé, comment l’avez-vous positionné ?
Fin 2016, nous avons lancé notre concept de brosse à dents naturelle sur abonnement, sous la marque « J’aime mes dents ». Le client recevait sa nouvelle brosse à dents naturelle en bambou dans sa boîte aux lettres, ce qui répondait au besoin de renouvellement et de naturalité, mais les brosses étaient quand même importées d’Asie. Ce point restait donc à améliorer. La marque « J’aime mes dents » s’est transformée en Apimani l’an dernier, pour pouvoir intervenir au-delà du marché dentaire. Nos produits sont distribués chez 850 revendeurs dans toute la France, des savonneries, des concepts stores, des magasins vracs et quelques magasins bio.
La gamme s’est donc étoffée ?
Oui, de fil en aiguille, nous avons élargi et décliné la gamme à partir des brosses à dents, avec dentifrices, peignes, brosses à cheveux, porte-savon écologique (créé dans une entreprise adaptée), kit zéro déchet, cosmétiques solides. Notre créneau est l’accessoire de salle de bains, avec un minimum de plastique jetable et en fabrication locale. Pour les dentifrices, il fut facile de trouver les sites, car les laboratoires pharmaceutiques fabriquent en France. En revanche, pour les accessoires, ce fut très compliqué, le savoir-faire est en Asie depuis les années 70-80, à une exception près, la Brosserie Française. Nous avons des personnalités pugnaces, il nous fallait vraiment résoudre cette problématique en trouvant des solutions ici en France.
Comment vous êtes-vous financés ?
Après le Covid, il y a eu un grand plan de relance de l’industrie française, nous avons bénéficié grâce à la CCI du Maine-et-Loire du plan France Relance fin 2020, et participé à un appel à projets de l’Ademe dans le cadre « Entreprise en Transition Énergétique ». Cela nous a permis de réunir un quart des 700 000 euros de la machine. Suite à cela, nos partenaires bancaires ont suivi d’autant que depuis la création de notre entreprise, nous étions rentables. Nous avons aussi été accompagnés par Bpifrance, la Région Pays de Loire et Initiative Anjou.
Au total, c’est un investissement de 1,5 million d’euros qui a permis de transformer notre activité en passant de négociant à industriel de la brosse à dents, d’où la création de Sementis. En 2023, nous avons produit 700 000 brosses à dents. Nous fabriquons des brosses à dents en bois au lieu du bambou, et en bioplastique à tête interchangeable, ce qui permet de réduire de plus de 90 % la pollution plastique. Pour le reste de la gamme, nous cherchons des partenaires proches de chez nous. Les Pays de la Loire sont riches en entreprises, mais nous avons aussi des accords avec des menuiseries de l’Est de la France. Nous sommes très ancrés dans l’écosystème de la réindustrialisation, et participons chaque année au salon Made In France.
Vous mettez en avant quatre valeurs : intégrité, ingéniosité, proximité, optimisme.
Lorsque nous avons créé la marque « J’aime mes dents », nous voulions un message positif, non responsabilisant pour les clients et il en va de même pour Apimani. Api pour Happy et mani pour manuel comme le brossage ainsi que pour le côté manie dans le sens routine durable. L’intégrité est importante, car nous ne jouons pas sur les mots, comme cela arrive parfois avec des objets dont on ne sait pas vraiment où ils sont fabriqués. Chez nous, il y a de la transparence et de la traçabilité, d’ailleurs notre usine reçoit des visites fréquentes.
Vous ne parlez pas du prix, pourtant la France est toujours plus chère que l’Asie ?
Sur notre gamme Apimani, les produits sont assez travaillés, ils se différencient de l’offre classique, le bois est du charme, pour un positionnement moyen-haut de gamme, mais le prix est bien entendu plus élevé qu’en GMS. Mais notre bureau d’études travaille aussi sur une offre plus classique et l’on arrive à des tarifs très intéressants.
Êtes-vous également devenus sous-traitants pour d’autres marques ?
Notre objectif avec Sementis est de pouvoir accompagner les marques de cosmétiques solides à développer des accessoires qui vont inciter les clients à aller vers ce type de produits, nous faisons de même avec des distributeurs. L’activité de sous-traitance de Sementis existe depuis trois ans. Cependant, elle se développe vraiment depuis un an et demi, au moment où nous avons été approchés par des marques pour porte-savons. Ce développement est intéressant, car il nous permet de capitaliser sur nos investissements industriels. Sementis produit déjà pour Unbottled, pour le groupe Yves Rocher, pour la Fourche (e-commerce bio), Lamazuna, et d’autres marques. Ce marché représente 75 % de notre activité.
Qui sont vos concurrents ?
En grande distribution, les mastodontes de l’hygiène sont leaders évidemment. Pour les fabricants français, il y a la Brosserie Française qui porte les mêmes valeurs que les nôtres avec des produits différents, sous la marque Bioseptyl. Nous entretenons de bonnes relations avec eux, nous essayons ensemble de faire grimper la part de marché de la France sur le marché.
Quels sont vos projets ?
Pour entrer sur les grands volumes du marché, il faut choisir les pharmacies et parapharmacies, et nous travaillons actuellement pour nous créer une possibilité d’implanter nos produits. Mais, le gros du volume est la grande distribution, nous travaillons depuis plus d’un an sur l’attaque de ce marché. Nous venons de créer une nouvelle marque, entièrement dédiée aux supermarchés et hypermarchés, EHOP, qui dispose déjà de son site web, Ehop Care.
Elle est constituée d’une gamme de brosses à dents à manche plat en hêtre, d’une brosse à dents rechargeable disposant de trois caractéristiques : une offre 100 % française, qui génère une économie de plus de 90 % sur le déchet plastique, et qui a un côté fun avec des couleurs pop, des émoticônes, des filaments de couleur et des petites phrases sur l’emballage comme « Je n’ai pas fait le tour du monde avant d’arriver jusqu’à votre salle de bains ».
Vous semblez très confiant…
Évidemment, le prix se doit d’être compétitif, 3,60 euros pour les brosses bois (idem que celle en bambou de grandes marques comme Signal et Colgate), car l’accessibilité est indispensable. À noter qu’aucune offre rechargeable française ne permet à ce jour d’économiser autant de plastique. Nous avons présenté Ehop il y a quelques semaines dans un salon régional Système U, le concept a été très bien accueilli.
À tel point que nos premiers box vont être implantés dans les Système U proches de l’usine en Maine-et-Loire d’ici à quelques jours. Un grand pas pour nous ! Et, pour la première fois, nous allons participer au PLMA d’Amsterdam cette année, le grand salon de la marque propre pour les enseignes de la grande distribution européenne.
Propos recueillis par Anne Florin