L’agriculture a plusieurs défis à réussir en France comme à l’étranger. Apprendre à mieux régir l’eau, produire plus propre, réduire son bilan carbone font partie des priorités. La consommation d’énergies fossiles des engins agricoles fait partie de ces enjeux. Les électrifier semble donc une démarche évidente, néanmoins, jusqu’à présent, les spécialistes n’ont pas réussi à créer une offre adaptée à la demande.
Les explications tiennent en quelques mots, l’offre électrique n’est pas à la hauteur : pas assez d’autonomie, ni de puissance et des prix trop élevés par rapport aux produits standards. Idem pour les tracteurs fonctionnant au biogaz. La course est donc lancée entre les différents acteurs du secteur pour trouver la formule magique. Dont un que l’on n’attendait pas, Seederal.
3 ANS D’EXISTENCE
Il est vrai que l’on pouvait imaginer que l’un des big ones trouve la solution, vu les moyens dont ils disposent. Mais l’argent ne fait pas tout. La petite entreprise créée en février 2021 par Arthur Rivoal et Antoine Venet prend actuellement un coup d’avance sur ses grands concurrents. L’équipe est réduite, mais imaginative, elle a totalement revu la conception de son tracteur. Voici le secret de bien des réussites, changer l’angle d’attaque, ce qu’a choisi de faire l’équipe de Seederal, tous des experts.
Arthur Rivoal l’a révélé, tout a changé à partir du moment où la conception s’est concentrée sur la batterie et la chaîne de transmission. Des années de labeur pour accoucher d’un tracteur électrique, d’une puissance de 160 chevaux, ce qui correspond aux tracteurs polyvalents utilisés le plus fréquemment par les agriculteurs. Doté d’une journée complète d’autonomie et de 7 tonnes, les premiers tests ont été menés depuis la fin de l’année dernière et voici venir les tests terrain, en plein champ. L’économie attendue par rapport au gazole est de 30 à 40 % sur la durée de vie du tracteur et le temps de chargement est de deux heures.
Sur ce sujet, il est possible de miser sur la pose de panneaux photovoltaïques, avec chargements la nuit, afin d’optimiser la rentabilité. Le prototype finalisé devrait voir le jour l’an prochain, pour une industrialisation dans la foulée si le reste suit. Les campagnes d’essais aux champs de ce printemps vont permettre une avancée décisive. Le design définitif sera cependant dévoilé dans le courant de l’année prochaine.
La révolution est donc en marche avec un tracteur sans boîte de vitesses, qui comme Tesla s’appuie sur un modèle de châssis-batterie intégré. La startup dispose de 1,2 million d’euros levés l’an dernier auprès d’Epopée Gestion et du fonds Breizh Up, de Bpifrance et quelques investisseurs privés. Une manne qui ne suffira pas pour aller jusqu’à l’industrialisation. Pour l’instant, aucune approche de prix n’a été fournie même si cela reste un point essentiel de la future offre.
2 PROFILS D’INGÉNIEURS POUR UNE ENTREPRISE PIONNIÈRE
Les deux cofondateurs sont bien entourés. Ils ont recruté une équipe de spécialistes de la batterie ou de l’industrie tractoriste. Eux-mêmes disposent d’un profil solide. Le quarantenaire Antoine Venet a suivi des études d’ingénieur (Telecom Paris) suivi d’un master en entrepreneuriat chez HEC.
Après trois ans dans une entreprise de conseil, il a cofondé SmartGrains en 2008, qui a développé des systèmes de guidage des automobilistes vers les places de parking disponibles. Le cofondateur, Arthur Rivoal n’est pas encore trentenaire et veut trouver une solution de décarbonation pour l’agriculture. Aucun des deux n’est issu à proprement parler de l’agriculture, même si Arthur Rivoal s’est à un moment posé la question. Cependant, il y a d’autres moyens de participer au mouvement de « défossilisation » du secteur.
L’objectif mis en avant par les deux hommes est « d’apporter une nouvelle énergie pour accélérer la transition de l’agriculture ». Justement, le nouveau tracteur doit pouvoir diminuer les émissions carbone de 15 à 20 tonnes par unité et par an. L’équipe est située à Rennes pour ce qui est de l’expertise systémique et à Brest pour la mécanique et la batterie.
NOUVEL ACTEUR FRANÇAIS
Si cela n’a pas été la motivation principale, concrètement, si tout se passe comme prévu, l’aventure Seederal signifie qu’un tracteur du futur va être conçu et élaboré par une entreprise française. Or, l’industrie tractoriste a disparu du paysage français en 2008 après le rachat de Renault Agriculture par Claas, qui avait déjà pris une participation majoritaire en 2003.
Le savoir-faire existe heureusement toujours grâce aux usines qui fabriquent pour Claas au Mans, pour Massey Ferguson à Beauvais, et pour Kubota à Crépy-en-Valois. Le marché auquel s’attaque Seederal approche les 10 milliards d’euros, il est suffisamment vaste pour y prendre une place. Aujourd’hui, les agriculteurs français travaillent essentiellement avec les marques étrangères, John Deere, New Holland, Fendt, Claas, Massey Ferguson, Case IH, Kubota, Valtra, Deutz-Fahr, Same, McCormick et Landini.
Autant dire qu’une offre authentiquement française serait un vrai renouveau. Même si rien n’est dit, l’usine future devrait être installée en France, pourquoi pas en Bretagne terre agricole. Ce sera ensuite aux agriculteurs de faire le meilleur choix une fois le rapport qualité/prix annoncé.
11 MILLIONS POUR UN AVENIR TOUT TRACÉ
Le 25 avril, Seederal a finalement annoncé ce que tous attendaient, une nouvelle levée de fonds de 7,1 millions d’euros auprès de Supernova Invest, Ankaa Ventures, Unilis, CA Morbihan Expansion, Kima Ventures sans oublier ses partenaires historiques. Disposer d’investisseurs de cette envergure signifie que le projet Seederal est pris très au sérieux par des professionnels, un gage de crédibilité.
Par ailleurs, les cofondateurs ont révélé une autre excellente nouvelle : leur startup est lauréate du programme France 2030, soit un accès à 3,7 millions d’euros supplémentaires. Un excellent résultat qui présage de nouveaux recrutements, d’autres dépôts de brevets et d’une meilleure chance de concrétisation pour lancer son modèle définitif en 2026, comme cela est envisagé par les dirigeants. Tous les feux sont au vert pour l’essor d’un nouveau machinisme agricole 100 % électrique.
Claudio Flouvat