Je m'abonne

« À Paris, 25 % des restaurants traditionnels vont disparaître »


Les indépendants de l’hôtellerie et de la restauration ont subi les effets du confinement et de la crise sanitaire de plein fouet. L’ensemble du secteur se trouve aujourd’hui dans une situation catastrophique. Pascal Mousset, restaurateur et président du GNI Paris Ile-de-France, qui représente les indépendants de l’hôtellerie et de la...

Entreprendre - « À Paris, 25 % des restaurants traditionnels vont disparaître »

Les indépendants de l’hôtellerie et de la restauration ont subi les effets du confinement et de la crise sanitaire de plein fouet. L’ensemble du secteur se trouve aujourd’hui dans une situation catastrophique. Pascal Mousset, restaurateur et président du GNI Paris Ile-de-France, qui représente les indépendants de l’hôtellerie et de la restauration, dresse un tableau sombre de la situation.

Les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration sont fortement impactés par la crise et les mesures sanitaires. Dans quelle mesure le secteur est-il en souffrance ?

La situation est globalement catastrophique. Paris, première destination touristique mondiale, est particulièrement touché, tout comme les destinations touristiques majeures, à l’image de Lourdes. Paris vit sans ses congrès, ses évènements culturels, ses touristes, mais avec la généralisation du télétravail sur recommandation des pouvoirs publics. C’est très compliqué.

Quels sont les métiers les plus touchés ?

A Paris, ce sont les discothèques. Elles sont fermées administrativement et sont donc à l’arrêt. L’effet collatéral de cette décision, ce sont les fêtes privées qui fleurissent. En deuxième position, ce sont les traiteurs. Le secteur est aussi à l’arrêt avec aucune perspective de reprise d’activité à moyen terme. Les gros acteurs parisiens, comme Lenôtre, Potel et Chabot, Saint Clair ou Butard Enescot, qui gèrent des structures assez lourdes et des laboratoires avec des centaines de salariés, ne sont pas épargnés.

Ensuite, on a l’hôtellerie. La baisse de chiffre d’affaires est de 80 % pour presque tout le monde. Beaucoup d’hôtels se demandent s’ils ne vont pas refermer. Les taux d’occupation oscillent entre 8 et 30 %. Les seuls à atteindre le seuil de 30 % sont les deux étoiles proches des gares parisiennes, mais avec des prix cassés. Pour les trois ou quatre étoiles, situés dans des quartiers touristiques – Saint-Germain-des-Prés et la rive gauche en général -, les taux d’occupation avoisinent 8-10 %.

« La situation de l’hôtellerie familiale parisienne est catastrophique »

L’hôtellerie est-elle dans le même état ?

La situation de l’hôtellerie familiale parisienne est catastrophique. Les hôteliers ont peu de marges d’adaptation parce que la structure de coût des hôtels compte peu de frais de personnel. Ils n’ont pas la souplesse des petits restaurants de quartier qui peuvent mettre leur personnel en chômage partiel. Il y a ensuite la question de la clientèle. Beaucoup d’hôtels-bureaux parisiens répondaient à la demande d’une clientèle américaine ou asiatique qui venait passer une semaine à Paris. En parallèle, ils sont trop chers pour la clientèle affaires. Les entreprises ne donnent désormais pas plus de 100 euros par nuit. Ces hôtels n’ont donc plus de clients.

Ils ont aussi beaucoup de dettes et souvent de gros loyers. Ils sont sur un marché spéculatif corrélé à l’immobilier parisien : cette bulle est montée sur de la dette depuis dix ans. On peut l’expliquer par le fait que l’hôtellerie est devenue une valeur refuge : elle permet de contourner l’IFI (impôt sur la fortune immobilière), l’hôtel étant un outil de travail. Raison pour laquelle de nombreux entrepreneurs, qui avaient gagné de l’argent dans d’autres métiers (commerce, industrie, informatique), ont investi dans ce secteur.

Quid du secteur de la restauration traditionnelle ?

Ce sont les plus impactés. C’est en partie lié à leur clientèle : des CPS+, âgés de 40-45 ans, qui viennent pour des repas festifs, des rencontres familiales ou professionnelles… Ces clients ne se réunissent plus : ils ont peur du Covid et sont tous en télétravail. Les chiffres sont frappants. En juin, le secteur accusait une baisse de 30 à 50 %. En juillet, nous étions entre 30 et 40 %. En août, 50 % des hôtels et des restaurants étaient fermés, tandis que ceux qui sont restés ouverts étaient en baisse de 40 %. En septembre, en restauration traditionnelle, la plupart des acteurs ont fait moins 50 %. Selon nos prévisions, nous resterons à moins 50 % jusqu’à la fin de l’année. Or, les meilleurs mois pour la restauration parisienne sont novembre et décembre, avec les salons professionnels, les fêtes…

Que pensez-vous du protocole sanitaire mis en place par le gouvernement ?

On rentre dans un nouveau confinement qui ne dit pas son nom. Les restrictions se durcissent toutes les semaines, les protocole sanitaire nous impose encore de réduire nos espaces de travail et nos capacités d’accueil… Ce protocole sanitaire, c’est une mort lente. Psychologiquement, le plus difficile, c’est de se lever tous les matins en se disant qu’on perd de l’argent. Avec mes quatre restaurants, je perds 1 000 euros tous les jours, 30 000 euros par mois. Je suis adossé à des PGE (prêts garantis par l’Etat) qui me permettent de tenir un an à ce rythme-là.

Pourquoi ? Parce que je n’ai pas d’endettement, que j’ai réussi à obtenir quelques abandons de loyers de la part de mes propriétaires, et qu’à 57 ans je suis en fin de carrière. Mais je me mets à la place d’un restaurateur qui a dix ans de moins que moi et qui vient d’acheter ses affaires : lui, il ne tiendra pas un an, mais trois mois. On ne voit pas le bout du tunnel. On ne connait pas la date de fin de cette crise.

« Si j’accepte de payer mes loyers intégralement, je condamne mon entreprise au printemps »

Pour les petites structures, la question des loyers semble centrale…

80 % des propriétaires campent sur leurs demandes de loyers. Ce sont donc les tribunaux qui vont statuer. Mais comme les tribunaux ne trancheront pas avant un an, il faudra aller en cour d’appel et en cassation. Nous n’aurons donc aucune décision ayant une valeur jurisprudentielle avant fin 2021. D’ici là, beaucoup d’entreprises auront disparu…

Dans mon cas, si j’accepte de payer mes loyers intégralement, je condamne mon entreprise au printemps s’il n’y a pas de reprise, et je finirai au tribunal de commerce en février. Alors qu’en allant au combat avec mes propriétaires, je gagne 6 à 8 mois.

Les PGE ont-ils joué leur rôle d’amortisseurs ?

Lorsqu’on a souscrit à des PGE, les banquiers nous ont demandé des prévisionnels. Jusqu’au 31 août, on était à peu près dans les clous : on savait qu’on allait chutait de 30 % sur septembre, octobre, novembre et décembre, puis qu’on allait repartir progressivement pour retrouver une activité normale en 2021. Sauf que rien ne s’est passé comme prévu. Aujourd’hui, on est en contradiction avec nos budgets. On puise donc tous dans nos PGE. Et ceux qui n’ont pas eu des PGE suffisants au départ seront en difficulté avant la fin de l’année.

Doit-on s’attendre à une vague de dépôts de bilan ?

A Paris, 25 % des restaurants traditionnels vont disparaître. On sera à 15 % pour les brasseries, parce que leur structure de coûts est moins lourde, et à 20 % pour les traiteurs. Et je peux vous garantir que les gros ne seront pas épargnés.

Quels types d’acteurs survivront à cette crise ?

Il faut être très agile. Or, l’agilité, c’est le propre des petites boites. Être capable de descendre sa masse salariale de 50 % en quatre mois, seule une PME de moins de 50 salariés peut y parvenir. Les grosses entreprises, moins souples, en sont incapables, surtout lorsque les syndicats ralentissent le processus…

« Nos métiers sont stigmatisés »

Craignez-vous un nouveau confinement ?

Oui. On a peur d’une nouvelle fermeture. Les autorités ne sont pas capables de faire respecter les mesures sanitaires dans l’espace public, la facilité est donc de fermer nos établissements. C’est contre-productif : les gamins qui ne sont pas dans établissements vont dans des appartements et le virus continue à circuler.

Les hôteliers et les restaurateurs sont-ils les boucs émissaires de cette crise ?

On nous fait porter le chapeau. Même Michel-Édouard Leclerc l’a dit : nos métiers sont stigmatisés. Le seul argument qu’ils sont capables de mobiliser, c’est le fait que les clients enlèvent le masque chez nous pour manger. Ce qui est vrai. On nous stigmatise donc au seul motif qu’on retire le masque ! Dans le même temps, les grandes surfaces, les boulangeries et les transports en commun sont bondés.

Quand on leur demande de nous citer les clusters dans les restaurants, ils en sont incapables. Ils ne donnent aucun chiffre ou exemple. Ils s’appuient sur une étude américaine. C’est vous dire à quel niveau on en est rendu ! Par contre, on sait qu’il y a des clusters dans les universités, les écoles, les abattoirs…

Ce qu’on dit est simple : laissez travailler ceux qui respectent le protocole sanitaire et fermez ceux qui ne le respectent pas. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Les préfets nous répondent qu’ils n’ont pas les moyens nécessaires pour fermer les vilains petits canards. Résultat des courses, on ferme tout le monde. Certains restaurateurs vont sacrifier 50 % de leurs tables et on leur interdit quand même de travailler ! C’est une profonde injustice.

À voir aussi