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« A quoi servent les labs d’innovation ? »


 Par Tony Da Motta Cerveira, Cabinet Square Tribune. En 2020, les ouvertures de lieux d’innovation se poursuivent. Pour n’en citer qu’un retenons le Y.Spot Labs du CEA qui a de quoi impressionner fort de ses 17 millions d’investissement initial, pourvu d’espaces indoor et outdoor, au cœur d’un pôle scientifique de...

Entreprendre - « A quoi servent les labs d’innovation ? »

 Par Tony Da Motta Cerveira, Cabinet Square

Tribune. En 2020, les ouvertures de lieux d’innovation se poursuivent. Pour n’en citer qu’un retenons le Y.Spot Labs du CEA qui a de quoi impressionner fort de ses 17 millions d’investissement initial, pourvu d’espaces indoor et outdoor, au cœur d’un pôle scientifique de 3300 m2. Presque vingt ans après l’inauguration du premier Fablab créé par le MIT, et sachant que le Harvard Innovation Lab (Hi) va souffler sa dixième bougie, voyons-nous désormais plus clairement à quoi servent les labs d’innovation ? 

Des rôles variés

Face à l’engouement des entreprises à l’égard des espaces dédiés à l’innovation, les chercheurs en Sciences de gestion ont redoublé d’efforts afin de comprendre ces nouveaux outils d’innovation et leurs nouvelles pratiques. Entre autre, ils ont réussi à dresser une typologie fine de ce qu’ils nomment les Espaces Collaboratifs d’Innovation (ECI). Sous ce terme ombrelle se dessine quatre grandes familles (Fabbri, Glaser, Gaujard, Toutain., 2016). Ces catégories ont en commun de mutualiser des mètres carrés, ressources et services avec comme but d’innover et d’entreprendre, selon de nouvelles manières. Tout d’abord les chercheurs discernent les espaces de travail multi-entreprises (learning lab, incubateur de startups, espace de coworking), subséquemment les ateliers de fabrication (makerspace, fab lab, hackerspace), mais aussi les espaces d’expérimentation publique (living lab, quartier numérique) et enfin les laboratoires de recherche et d’innovation, dont les innovations labs, auxquels nous allons nous intéresser. 

Les i-labs poursuivent un unique but, celui de renouveler les activités de la firme. Pour ce faire, ces espaces d’innovation corporate couvrent quatre fonctions différentes et non systématiquement présentes dans chaque lieu (Ben Mahmoud Jouini, 2016).  Un premier rôle tient en l’exploration de nouveaux concepts, soit la recherche de relais de croissance. Un second rôle est l’acquisition de connaissances, par l’identification d’experts internes et sources externes ou partenariats, puis d’expérimentations. Un troisième rôle revient à établir des stratégies pour qu’émergent les nouveaux domaines d’activités, ici la sélection d’opportunités et la veille étant clé. Enfin un quatrième rôle revient en la promotion de la dynamique de renouvellement, notamment par des techdays, formations et mise à disposition d’un lieu. Afin de remplir leurs rôles ces labs d’innovation sont majoritairement dotés d’outils de conception et de prototypage numérique. Les rôles des Labs d’innovation sont également liés à leur intégration au sein de l’entreprise. Ces lieux peuvent être rattachés directement à la direction générale sinon à la direction de la stratégie, la R&D ou encore la DSI, bien plus rarement à une direction de la communication. Ici, voyons que le positionnement calibre l’ambition et la variété des rôles du lab. Ces entités d’innovation ont toutes un responsable et un budget propre. Malgré cela, tel que nous allons le comprendre, nombreux sont les labs d’innovation à échouer dans leur mission.

Des performances scrutées à la loupe

En 2019, Simone Bhan Ahuja, auteur d’ouvrages sur l’innovation frugale, rappelait à nouveau que 90 % des labs d’innovation échouent. Au-delà de ce chiffre, qui peut être contesté, attardons-nous plutôt à analyser leurs fréquents échecs factuellement. En effet si les rôles des labs d’innovation ont été finement étudiés par les chercheurs, il en a été de même pour « les ratés » (Gibert, Ben Mahmoud Jouini., 2018). Souvent à l’origine de la fermeture du lieu, se larve une crise de légitimité. Elle peut débuter par un paradoxe entre le besoin de suivre la performance du lab et son mandat exploratoire.  D’un côté le Top Management, ayant lourdement investie, exige la mise en place de reportings et KPis, souvent inadaptés. Les analyses qui lui sont remontées le déçoivent et lui font acter que le Lab est illégitime. C’est une question de temps. De l’autre, le responsable du lab use de différentes stratégies pour conquérir et prouver la légitimité du lieu tout en ayant conscience de l’urgence. Malheureusement, en fonction de la stratégie adoptée par le lab manager, tantôt les résultats seront décevants, tantôt le lab n’aura plus rien d’innovant. Pour répondre à l’exigence d’une mise en place de KPIs, une première stratégie revient à faire la promotion du lab tout en expliquant que les KPIs ne sont pas adaptés, ce qui est évidemment sans garantie. Une seconde stratégie est de se soumettre aux mêmes KPIs que les autres activités mais de voir son activité devenir inexorablement une cellule d’accompagnement pour projets vaguement innovants. Une troisième stratégie observée par les chercheurs tient en la renégociation du mandat du Lab, de ses KPis et de sa gouvernance. Celle-ci est gagnante. A l’inverse, une quatrième stratégie du responsable du lab est de ne pas revoir la mission première, sans parvenir à répondre aux attentes du comex. C’est ce qui est nommé le « découplage ». Les labs concernés sont alors condamnés à la fermeture. 

Par expérience nous remarquerons d’autres facteurs expliquant l’échec du lab, en commençant par une conception à l’envers. Le lieu est pensé par des aménageurs qui conçoivent un bel espace, sans définir sérieusement son offre de service, ses processus ou des KPIs adaptés a priori de l’inauguration. Nous relevons également que la conception du lab sans concertation avec les autres entités d’innovation se traduit assurément par son inutilité. Dans ce cas les concepteurs du Lab ne comprennent pas qu’ils sont en train eux-mêmes de composer une innovation organisationnelle et managériale. Par là même ils ne travaillent pas sur l’adhésion des autres entités d’innovation au projet de Lab. Ils oublient également la nécessaire convergence d’intérêts variés des nombreux acteurs.  En d’autres termes ils ne travaillent pas l’adoption du Lab et s’exposent à son rejet (Akrich, Callon, Latour., 1988). Pourtant avec un peu de bon sens et de technique, cela pourrait être évité.

L’impératif de faire mieux avec moins

Plus que jamais en 2020 l’enjeu des Labs d’innovation sera de démontrer qu’ils créent de la valeur économique pour leurs firmes, et tout cela avec des budgets certainement revus à la baisse. Trois pistes s’ouvrent à eux pour relever ce défi. Tout d’abord, réduire leur périmètre d’action en vue de maximiser l’impact à court terme et d’optimiser les doublons très connus en grande entreprise, ceci en déléguant des actions à d’autres entités d’innovation. Surtout, les Lab managers pourraient utiliser davantage les outils numériques frugaux.  Nous pouvons évoquer les outils de low-coding, ou l’usage détourné des réseaux sociaux à des fins de crowdsourcing. Enfin leur salut pourrait aussi venir de la valorisation de leurs connaissances.

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