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À vos marques pour la nouvelle guerre mondiale ?


Par Sergueï Jirnov, ancien officier supérieur du KGB, auteur et consultant international Tribune. Samedi 31 décembre 2022 Vladimir Poutine s’est adressé à la nation russe à la télévision centrale la nuit de la Saint Sylvestre, une tradition. Mais quelque chose a changé par rapport à tous les autres discours depuis...

Photo Vladimir Smirnov/Pool/Tass/ABACAPRESS.COM

Par Sergueï Jirnov, ancien officier supérieur du KGB, auteur et consultant international

Tribune. Samedi 31 décembre 2022 Vladimir Poutine s’est adressé à la nation russe à la télévision centrale la nuit de la Saint Sylvestre, une tradition. Mais quelque chose a changé par rapport à tous les autres discours depuis 22 ans. Le président russe n’était pas dans son bureau coutumier, ni sur le fond habituel de sapins, de décorations de Noël ou de l’horloge de la Tour Spasskaya du Kremlin. Derrière Poutine on voyait trois rangées d’hommes et de femmes en uniformes militaires.

La critique presque anecdotique s’est portée principalement sur une dame avec les épaulettes de capitaine derrière le président. Les spécialistes des vidéos russes ont trouvé la même personne jouant d’autres rôles théâtraux : vendeuse de glaces en 2017 et 2019 et travailleuse sur une chaloupe de pêche. Donc une figurante, sans doute appartenant au FSO (service de protection des personnalités). Figuration ridicule, faute grossière de communication de Kremlin.

Derrière cette polémique presque amusante, tout le monde a laissé passer le principal message de Poutine : la Russie entre en 2023 comme un pays en guerre, mobilisé totalement. Changement radical de narratif et de visuel. Une symbolique guerrière inhabituelle même pour la Russie.

Dix jours plus tard, les autorités russes fermaient les frontières pour toute personne mobilisable et faisant partie de la réserve humaine militaire. Une prédiction du chef du renseignement militaire de l’Ukraine Kirilo Boudanov commençait à se matérialiser. La deuxième vague de mobilisation se sentait de plus en plus, on a parlé d’un nouveau demi-million de troupes fraîches pour renforcer le front de batailles en Ukraine, les unités en grandes difficultés. Là encore, personne n’a crié gare. La routine quoi…

La nomination du général Lapine, promu au rang de Héro de Russie pour la prise des villes de Sévéro-Donetsk et Lissitchansk, puis tombé dans la disgrâce après la retraite d’Izume, au poste de chef d’état-major principal de l’armée de terre de la Fédération de Russie n’est passée que comme une réponse victorieuse du clan militaire de Choïgou, le ministre de la défense, aux critiques acerbes de Evguény Prigojine, le sulfureux chef de la milice Wagner, et de Ramzan Kadyrov, le tumultueux leader islamiste de la République rebelle de Tchétchénie. Bref, comme une petite victoire tactique des militaires de carrière dans la lutte administrative des clans autour de Poutine.

Le 11 janvier 2023 un communiqué de Kremlin annonçait un remaniement de la direction des généraux, à la tête de l’opération spéciale militaire, comme les Russes appellent la guerre en Ukraine. Et là encore, le changement est passé totalement incompris, sous les radars des plus grands experts géopolitiques et spécialistes militaires français. La valse des généraux, c’est comme ça que ce remaniement a été qualifié sur tous les plateaux télé. Soit disant, prouvant la faiblesse de Poutine.
Pourtant il s’agissait d’un changement le plus sérieux et profond depuis le 24 février 2022, qui modifiait totalement le caractère même des opérations russes en Ukraine menées depuis 10 mois – qui démontrait pour une fois la force et la détermination de Poutine, et sa vision stratégique du conflit qui risquait de s’enliser davantage.


Sur les quatre dirigeants, un seul restait le même, le général Sourovikine, nommé chef des opérations en Ukraine seulement le 9 octobre 2022. Il se voyait rétrograder au deuxième rang d’un des trois adjoints du nouveau chef. D’aucuns ont vu dans cette rétrogradation un signe de disgrâce. Cependant, ce n’en était pas une. Il restait sur place, parmi les quatre dirigeants.

Trois autres étaient nouveaux. Et pas n’importe lesquels. Le nouveau chef des opérations, qui prenait la place de Sourovikine, n’était autre que le chef d’état-major général des Forces armées de la Fédération de Russie le général Guéras-simov, en personne ! Le premier militaire professionnel du pays qui commandait toutes ses forces et armes, le président de Russie et le ministre de la défense n’étant que des dirigeants politiques. Il était entouré de trois adjoints.

Le susmentionné Sergueï Sourovikine dont tout le monde a tendance à oublier la principale et suprême fonction qu’il cumule avec ses responsabilités opérationnelles en Ukraine – le commandant en chef de la force aérospatiale de Russie, englobant l’armée de l’air, l’armée de frappe stratégique nucléaire et l’armée de la défense antiaérienne du pays.

Le général Oleg Salukov, commandant en chef de l’armée de terre de la Fédération de Russie. Le général Alexeï Kim, l’ancien chef d’état-major principal de l’armée de terre, qui vient de

libérer cette fonction au général Lapine, en devenant l’adjoint du chef d’état-major général des Forces armées de Russie.
Quelle belle brochette !
En France, parmi les experts les plus visibles en public, personne n’a compris la réelle portée et l’importance de ces nominations.
Personne en France ne semblait comprendre que l’opération spéciale militaire menée jusqu’alors par la Russie en Ukraine avec le corps expéditionnaire, le contingent limité, était terminée. Et que la vraie guerre globale commençait côté russe.
Cerise sur le gâteau : Guérassimov est celui en Russie, hormis Poutine et Choïgou, à posséder les codes nucléaires et la valise – le terminal « Tchéguet » – permettant techniquement d’enclencher les frappes nucléaires. Et Sourovikine est celui qui exécute un tel ordre et organise de telles frappes. Et tous les deux se trouvent maintenant à la tête opérationnelle en Ukraine. Cela promet…

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