La directrice de la Fondation Ifrap, un think-tank libéral, invite le gouvernement à repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans et à s’inspirer du modèle allemand pour réformer le système de santé.
Réformes des retraites, assurance chômage… Qu’attendez-vous du gouvernement sur ces deux réformes majeures ?
Agnès Verdier-Molinié : Concernant les retraites, la Fondation Ifrap préconise de repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans en 2028 et de faire converger les modes de calcul des pensions publiques sur le privé, ce qui permettrait de réaliser 18 milliards d’euros d’économies en 2027 et 10 milliards en 2022. Pour l’assurance chômage, l’idée est de calculer l’indemnité de remplacement chômage par rapport au revenu net et non plus par rapport au revenu brut, ce qui permettra plus de 4 milliards d’euros d’économies par an. À ce stade, le gouvernement nous annonce sur le volet retraites une réforme systémique par points uniquement en 2025, dont il n’est pas certain qu’elle permette des économies et une décote si on part à la retraite avant 64 ans, mais son impact en termes d’économies est trois fois plus faible qu’un report de l’âge comme nous l’avons montré dans une récente étude.
Les privatisations d’ ADP et de la Française des Jeux ont été validées par le Conseil constitutionnel. Le gouvernement doit-il aller plus loin ?
L’État français est actionnaire de beaucoup d’ entreprises. Rien que dans des entreprises cotées, on compte environ 100 milliards de participations de l’État gérés par trois entités (CDC, APE et BPI). Les cessions annoncées par le gouvernement — Engie (24% du capital), ADP (50%) et la Française des Jeux (72%) — sont de bonnes nouvelles. Cela rapporterait une douzaine de milliards à l’État. Bonne nouvelle car l’État français tire de moins en moins de dividendes de ses participations (les dividendes perçus par l’État sont passés ces dernières années de 5,5 à 3,9 milliards d’euros) et parce qu’il n’est pas toujours bon gestionnaire des entreprises qu’il détient.
Par ailleurs, l’État étant toujours impécunieux, il tend à investir très en deçà des besoins de développement de ces entités, tout en cherchant à maximiser ses dividendes. Il privilégie la rentabilité de ses placements à court terme par rapport au développement et à la profitabilité des entités à long terme. La question centrale reste pourtant « que faire avec le produit des cessions ? ». Le gouvernement explique vouloir financer un fonds dans l’innovation de 15 milliards avec le produit de la vente, alors même que la France, qui va prendre dans les prochaines années 35 milliards de la dette SNCF va entrer dans la zone rouge des 100% de dette/PIB. Elle devrait en profiter pour se désendetter. Ce n’est pas le rôle de l’État de financer l’innovation à perte, mais plutôt de créer un cadre permettant aux investisseurs privés de financer l’ innovation. Éternel sujet de la confusion permanente qui existe en France entre régulateur et investisseur.
Faut-il privatiser la Sécurité sociale ?
Le sujet n’est pas la privatisation, mais plutôt la délégation de service public. En Allemagne, les hôpitaux publics sont gérés au niveau des régions et leur gestion opérationnelle est souvent — même pour les CHU — déléguée à des opérateurs privés. Grâce notamment à cela, l’ Allemagne dépense 11 milliards de moins que nous sur le volet hospitalier et son réseau de médecine de ville est beaucoup plus solide avec 6 milliards de dépenses supplémentaires par an. Le sujet est aussi celui de la mise en concurrence des assureurs maladie au premier euro qui nous permettrait d’économiser à terme 3 à 5 milliards d’euros par an en n’ayant plus deux étages, avec l’assurance santé de base et l’assurance complémentaire, mais un seul étage, avec un libre choix de l’assureur, comme cela se passe aux Pays-Bas ou en Suisse.
Pourquoi l’Ifrap se focalise-t-elle sur la baisse des dépenses publiques ?
La France est le pays le plus dépensier et le plus taxé. Les deux sont liés. Toute annonce de baisse majeure de la fiscalité sans baisse de dépenses en face sera un leurre. Seule la baisse significative des prélèvements obligatoires permettra à nos entreprises de retrouver une compétitivité. L’industrie française ne représente plus que 10% du PIB, l’industrie allemande est à 20%. Notre modèle social est fautif : trop de charges et de taxes sur la production, trop de complexité et de normes, trop de charges administratives, pas assez de souplesse. Résultat : plus de chômage pour les Français. Sans baisse des dépenses publiques, il n’y a pas de baisse possible des impôts, pas de créations d’emplois, pas de baisse du chômage.
On le voit bien avec la baisse de l’impôt sur le revenu de 5 milliards, ce sont les entreprises qui vont payer car il n’y a pas de marge de manœuvre financière puisque pas de baisse des dépenses. Pourtant, il est tout à fait possible de baisser les dépenses de retraites, des masses salariales, locales et d’aides sociales sans pour autant entamer la qualité des services publics. Nous avons chiffré 30 milliards d’euros d’économies possibles d’ ici 2022 et 60 d’ ici 2027. Faut-il rappeler que nous sommes à 56% du PIB en dépenses publiques quand nos partenaires de la zone euro sont en moyenne à 47,5% ?
Quel regard portez-vous sur les économies scandinaves qui allient dépenses publiques élevées, nombre important de fonctionnaires et prospérité économique ?
En matière de dépenses et de prélèvements obligatoires, nous sommes passés largement devant les pays scandinaves. La Finlande était devant nous pour les dépenses et les Danois devant en matière d’ impôts, mais c’ est révolu. Ces pays-là ont choisi d’ évaluer l’ utilisation de chaque euro d’argent public et de ne pas dilapider les aides sociales. En Finlande ou en Suède, le fait de refuser un emploi peut vous faire perdre des droits aux aides ou au chômage. Les pays scandinaves sont parfaitement cohérents de bout en bout avec le pilotage de leurs finances publiques.
Certes, ils ont un nombre élevé de fonctionnaires, mais ces «fonctionnaires » ne le sont pas à vie, ils ont un contrat et leur masse salariale publique par rapport au PIB est inférieure à celle de la France ! Le fait de contraindre leur dépense publique permet à ces pays de faire des choix clairs, comme de supprimer totalement les droits de successions, ce qu’a fait la Suède. Cela a permis le retour de beaucoup d’entrepreneurs ou de talents expatriés pour des raisons fiscales.
À ses débuts, le mouvement des « Gilets Jaunes » était-il, selon vous, une révolte fiscale ?
Le mouvement des « Gilets Jaunes » est né d’une exaspération devant l’augmentation de la pression fiscale. A la fois sur la CSG et sur les taxes environnementales. L’augmentation de la TICPE n’avait pas été décryptée aux Français alors que le gouvernement avait largement expliqué et commenté la suppression de la taxe d’habitation. Qui avait en tête que la hausse de la fiscalité énergétique prévue sur le quinquennat était de 17 milliards d’euros ?
Le revenu universel est-il une bonne mesure ?
Le revenu universel est un miroir aux alouettes infinançable. Les Français ne s’ y sont, d’ ailleurs, pas trompés en 2017. Plus que d’un revenu universel qui désinciterait au travail, la maîtrise de nos finances publiques et le réalisme militent pour une allocation sociale unique remplaçant la cinquantaine d’aides sous condition de ressources différentes dont le coût annuel est de 100 milliards d’euros. C’ est d’ ailleurs ce que veut en réalité faire le gouvernement avec le RUA (le revenu universel d’activité est un projet du gouvernement visant à fusionner les prestations sociales — ndlr).
Mais avec le risque de voir s’envoler les dépenses. Il conviendrait d’être plus ambitieux que le projet gouvernemental en fusionnant réellement les aides — et toutes les instances qui s’en occupent : Caf, départements, CCAS… —, en les plafonnant. Selon nos estimations, plafonner l’ allocation sociale unique au niveau de 100% du SMIC permettrait plus de 3 milliards d’économies par an. Il serait par ailleurs logique que chaque euro d’aide unique soit imposé comme un euro du travail et compte pour le calcul des droits connexes que sont les tarifs sociaux.
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