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Aix-en-Provence : Crosscall relocalise sa fabrication de smartphones


Bonne nouvelle pour le produire en France : Crosscall, la pme d’Aix-en-Provence spécialisée sur le créneau des mobiles résistants continue de privilégier la fabrication dans l’hexagone. Cyril Vidal, pourquoi avez-vous créé Crosscall ? Cyril Vidal : Le pourquoi vient probablement d’un papa entrepreneur, qui avait une société d’ambulance. Suite à un...

Cyril Vidal

Bonne nouvelle pour le produire en France : Crosscall, la pme d’Aix-en-Provence spécialisée sur le créneau des mobiles résistants continue de privilégier la fabrication dans l’hexagone.

Cyril Vidal, pourquoi avez-vous créé Crosscall ?

Cyril Vidal : Le pourquoi vient probablement d’un papa entrepreneur, qui avait une société d’ambulance. Suite à un accident, il a dû cesser l’activité, la vie est devienue plus compliquée, mais mon père m’avait déjà inculqué le sens de l’autonomie en me faisant confiance, ainsi que le réflexe de faire les choses par soi-même. La « débrouille » fait partie de ma culture. Dès l’âge de 14 ans, j’ai travaillé en tant que livreur de pizzas, organisateur de soirées puis j’ai commencé vers 1996 à promouvoir auprès de mes amis des ouvertures de lignes téléphoniques mobiles, c’était très bien payé, 1500 francs par ligne à l’époque !

Vers 17-18 ans, j’ai tenu un stand chez Virgin Megastore à Marseille, j’ai aimé lier des contacts, créer de la valeur. J’avais trouvé ma voie, j’ai pris goût au commerce. L’entreprise Loxam fut la prochaine étape, j’y travaillais un peu en mode intrapreneur, certains trouvaient cela intéressant, d’autres moins, heureusement le DG était dans le premier groupe. A 26 ans, j’ai été nommé patron d’une division locale pour la remonter, c’était inespéré.

Ensuite, j’ai refusé d’aller à Paris et j’ai commencé à m’ennuyer. Je suis parti chez Mediaco (manutention, levage…) pendant cinq ans, j’y ai beaucoup appris. Loxam m’avait formé sur le côté structuré, Mediaco l’a fait sur le côté business. En sortant de là, j’avais un niveau de frustration incroyable, l’impression de m’asphyxier. Sur les chantiers, j’avais pu voir que l’on devait sans arrêt renouveler les téléphones cassés, et à titre personnel, je pratiquais le jet à bras, mais il n’y avait pas vraiment de téléphone adapté.

Or en jet, quand on est loin et seul, il n’y a pas de radio comme sur un bateau, un téléphone en état de marche est gage de sécurité. Une idée a commencé à germer, celle d’un smartphone différent. Je me suis rendu en 2007 à un salon à Barcelone pour y rencontrer des producteurs. L’un d’entre eux a accepté de me suivre sur mon idée : créer le premier téléphone flottant et étanche. Le problème était que le développement coûtait 600 000 dollars, que je n’avais pas. Le partenaire chinois a pris un risque : je me suis engagé sur un volume d’affaires avec un tarif plus élevé, avec une exclusivité France et quelques pays d’Europe, de son côté, il avait la possibilité de vendre ailleurs sous sa marque. Tout s’est vraiment enclenché, il y a un peu moins de 15 ans, grâce à un contrat avec Décathlon, d’abord 5 magasins, pour atteindre 230 magasins.

Au départ, vous avez créé un smartphone résistant, comment l’aspect durable s’est-elle imposée ?

Statistiquement, plus de 30% des écrans de téléphone sont cassés les trois premiers mois, les renouvellements de mobiles professionnels se font tous les seize mois en moyenne. D’autre part, étant donné leur utilité, il faut que le fonctionnement soit sans accroc, les fonctions, la fiabilité, la charge… La durabilité est arrivée naturellement, c’était un cercle vertueux : je consomme, mais pour longtemps. Quant aux appareils reconditionnés, malheureusement, souvent, cela n’est pas vertueux. Pas de pièces détachées d’origine, pas de garantie, pas de contrôle de conformité (en particulier sur la diffusion des ondes près de la tête), contrairement aux appareils neufs.

Quelle est constituée votre offre ?

Nous avons la gamme Action qui s’adresse aux baroudeurs, sportifs ; la gamme Core pour les professionnels. La troisième gamme va sortir d’ici l’été, ce sera un positionnement novateur. Nous avons aussi une gamme d’accessoires, grâce à un prise de capital chez Ware Id en décembre dernier, une entreprise normande avec laquelle nous développons conjointement des services pour le BtoB, en commençant par le scanning et la traçabilité.

Travaillez-vous uniquement en BtoB ?

Au départ, nous avons ciblé les clients sportifs, puis les produits professionnels, avec Saint Gobain, Point P, la croissance a été très rapide pour atteindre 2 500 points de distribution en France. Nous avons ensuite décroché des contrats avec SFR et Bouygues. En 2015, deux personnes sont venues renforcer Crosscall, Bertrand Czaicki ex-Decathlon, devenu notre directeur du Design et développement produit et David Héberlé, ex patron France Samsung, devenu notre DG. Savoir s’entourer est essentiel pour parvenir à structurer les meilleurs accords avec les meilleurs industriels.

Autre cible que nous avons développée, le public. En commençant avec la SNCF avec laquelle nous travaillons depuis quatre ans. Suite à ce premier contrat, nous avons créé des équipements spécifiques pour des verticales métier, notamment en sécurité-défense. Nous créons des produits en fonction des appels d’offres, le Ministre de l’Intérieur est venu nous rendre visite pour nous faire part de la satisfaction suite au taux de retour extrêmement faible et au niveau d’opérationnalité exemplaire de nos appareils. Nous développons aussi beaucoup pour le secteur logistique.

Quelles sont vos spécificités ?

En premier lieu, le RSE, nos produits sont garantis 5 ans car ils sont plus solides. Ils sont aussi conçus pour être facilement réparables. Tous les produits qui sont en fin de cycle nous reviennent. Pour notre image de marque, c’est important. Toute la conception est faite à Aix, le développement, les prototypes. Pour les prochains lancements, nous avons des partenaires français et avons décidé de privilégier tous les composants français, ou européens. Nous allons créer une filiale dédiée au premier produit franco-européen 5G et sécurisé qui sera lancé en 2024. Pour Crosscall, la notion de souveraineté post Covid est essentielle, la culture industrielle française est beaucoup plus dynamique que l’on croit, le savoir-faire existe en électronique.

Quelle est votre implication à l’international ?

Notre avenir est très lié au développement international sur les marchés de sécurité défense. Nous avons une quinzaine d’appels d’offre en cours un peu partout dans le monde. Nous aurons de bonnes nouvelles à annoncer prochainement.

Comment avez-vous géré vos besoins de financement ?

Nos levées de fonds ont eu pour objectif de conforter notre hyper croissance entre 2015 et 2018. C’est une phase délicate, ces levées ont servi à rassurer nos partenaires bancaires. Nous avons toujours été rentable, une société n’est pas là pour perdre de l’argent. Je suis majoritaire, le principal actionnaire est Amundi. Pas question de brader le capital, il faut rester maitre de ses idées.

Qui sont vos concurrents ?

Nos concurrents n’ont pas compris pour la plupart qu’il y a un fossé immense entre développer une histoire marketing, une marque, ou détenir une capacité industrielle. Peut-être est-ce possible en prêt-à-porter, mais pas dans le savoir-faire électronique. Nos concurrents ont soit disparu, soit sont différents de nous, qui sommes capables de créer des produits à la demande. Aujourd’hui nous sommes sur la création de notre nouveau laboratoire R&D, le « XLab » en cours d’installation, qui fera notamment les crash tests. Un projet dont la première étape signifie un investissement de plus de 4 millions d’euros, avec l’appui de France Relance pour 800 000 euros.

Que voulez-vous dire par « ne pas oublier d’où nous venons et où nous allons ?

Crosscall doit garder sa culture et son ADN, nous sommes une société à l’écoute de nos clients, l’appât de nouvelles parts de marché ne nous fera pas aller vers un univers qui n’est pas le nôtre. Nous sommes un industriel avec une approche très spécifique, notre devoir est d’écouter le besoin. Nous ne sommes pas une marque commerciale comme les autres, qui vivent de marges très faibles, ce qui les obligent à faire du volume (je mettrai Apple à part). Nous serons dans la continuité, sans renier ce qui nous a construit.

Propos recueillis par Anne Florin


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