À 76 ans, cet autodidacte orphelin à 8 ans, est probablement l’un de nos plus grands capitaine d’industrie, dans la lignée des Bolloré et des Bouygues. Entrepreneur récidiviste, ce financier d’origine a su fédérer autour d’Energipole un groupe de chefs d’entreprise pour un monde meilleur, sur le secteur du recyclage et de la protection environnementale. Un discours qui fait sens.
Vous restez l’un de nos plus grands entrepreneurs (Novalliance, Garonor, GFI Informatique et maintenant Energipole). Quels sont les domaines qui vous ont le plus passionné ?
Alain Mallart : Heureusement, les domaines qui m’ont le plus passionné, ce sont ceux que j’avais choisis : le recyclage dès 1970 et les montages financiers lors de mon passage au Crédit Vendôme, petite banque très inventive créée par Roger-Jean Truptil, son Président de 70 ans que j’ai rencontré quand j’en avais 20 et qui est devenu mon mentor.
Le Crédit Vendôme est devenu, quand il a pris sa retraite, la Générale Occidentale du célèbre financier Jimmy Goldsmith. Ces deux activités font marcher les neurones et c’est dans ces métiers que j’ai eu mes premiers succès. J’ai toujours cru que j’avais de la chance. La logistique avec Novalliance et ses 10 000 collaborateurs était un beau projet qui m’a coûté cher et je pense que c’était le plus porteur d’avenir mais la concurrence du SERNAM m’a empêché de réaliser mon projet avec les partenaires prestigieux européens qui me suivaient : Thyssens, le port de Rotterdam, le DFDS… et ont aujourd’hui des filiales logistiques très créant avec Rémy Bourgeon Activimmo, une SCPI des plus performantes de la place de Paris.
À la banque, j’ai appris à faire des montages financiers, et en 1969 on m’a offert de devenir la petite main d’une des premières sociétés de capital risque créées en France et de rencontrer des patrons et des équipes d’entrepreneurs dans les provinces françaises… Je me souviens de nos investissements dans une fabrique de tombes en plastique et dans le brevet de la puce du génial Roland Moreno. On avait les idées larges et le portefeuille serré. Tout ce que j’ai appris entre 20 et 25 ans au Crédit Vendôme a été une base formidable qui m’a permis de construire l’architecture financière de Novalliance. Mais je suis convaincu que c’est plutôt mon enthousiasme, ma volonté de partager, l’ouverture d’esprit de mes collaborateurs et associés qui m’a permis de fédérer probablement plus d’une centaine de patrons plutôt que l’argent des montages financiers ! Beaumarchais disait que l’argent est un mauvais maître, mais un bon serviteur.
Le fait de devenir entrepreneur était-il un hasard, une opportunité, un objectif ?
Grâce à la rencontre d’une société de construction d’escaliers construits à partir de déchets sidérurgiques, à Valenciennes, je découvre l’immense réserve de laitiers d’aciérie (matières minérales produites par l’industrie de l’acier) valorisables pour récupérer le fer contenu et faire des routes. Je rêve tout d’un coup de faire un projet moi-même qui me passionne. Je cherche parmi toutes les relations de la banque des renseignements sur la sidérurgie, les constructions des routes, le prix des tracteurs et la concurrence dans ce domaine.
J’identifie une technologie de séparation magnétique que je mets en place à échelle industrielle. Je remercie mes patrons de l’époque de m’avoir permis de prendre une participation dans ce projet appelé Solenfer. Le fait de devenir entrepreneur était un hasard vite transformé en opportunité et une belle rencontre avec mes aspirations !
Mais quel rapport avec l’environnement ?
Cette participation m’a amené dans le groupe Schneider auquel j’ai vendu Solenfer en 1974 et je suis devenu le directeur général de cette société qui rassemblait les activités de recyclage et d’environnement du groupe. J’ai pu améliorer ma culture sur le recyclage des plastiques, le traitement par membrane des huiles usées, la récupération de l’argent sur les fils médicaux ou des métaux riches dans le démontage des ordinateurs. J’avais ouvert les portes nécessaires pour lancer quand je voudrais une société de recyclage.
Pourquoi vous êtes-vous installé en Belgique en 1998 ?
J’avais vendu toutes mes affaires en France, dont GFI introduit en bourse. J’ai décidé de devenir capital risqueur pour aider les jeunes entrepreneurs. J’ai choisi Bruxelles pour sa fiscalité avantageuse sur les plus-values et en plus je voulais prendre mes distances avec l’affaire Executive Life dans laquelle j’étais accusé, bien sûr à tort, d’être le délateur. Le Groupe Suez qui avait toute confiance en moi m’a proposé de diriger les confettis de son empire dans l’océan Indien, de La Réunion à l’Afrique du Sud en passant par les Émirats. J’ai accepté une association à 50-50. J’ai passé 5 ans enthousiasmants qui m’ont permis de me replonger dans le monde du recyclage et du traitement des déchets.
Vous êtes un passionné d’anthropologie. Qu’est-ce que cela vous apporte ?
Je regarde les affaires comme je le ferais si j’étais anthropologue, j’essaie de me mettre à la place d’un bororo ou d’un pygmée avec la même curiosité qu’un auvergnat ou un ukrainien pour un zoulou. Tous ont un système de pensée adapté à leur territoire. Il ne faut pas confondre un xhosa avec un zoulou ni un hindou avec un intouchable. Autrement dit, l’anthropologie m’a permis de penser autrement les rapports avec les autres. Elle m’a aussi permis de prendre conscience de la disparition progressive des espèces animales et qui s’étendent maintenant aux insectes et aux espèces végétales. Si on ne réagit pas rapidement à l’urgence climatique, on mettra en danger l’espèce humaine. Energipole, pour sa modeste part, développe des services de tri, de traitement et de valorisation de déchets, et de création d’énergie à partir de ces déchets, car l’environnement me tient particulièrement à cœur.
Vous êtes le fondateur d’Energipole, groupe présent aujourd’hui en France, Europe et outre-mer dans le domaine des outils de traitement et de valorisation des déchets. Photovoltaïque, biogaz, méthanisation, traitement des déchets et terres polluées. Les objectifs que vous vous étiez fixés ont-ils été globalement atteints 15 ans après sa création ?
Ce groupe, je l’ai démarré avec ma directrice générale, Françoise Macq, de façon très opportuniste, dans une chambre de bonne à Bruxelles. Il s’est structuré et rationalisé avec le temps. Au départ, nous avions des investissements dans les plans de vol aux USA, le nettoyage industriel, les laboratoires de prothèses dentaires… Petit à petit, nous avons recentré nos participations et renforcé nos positions dans les activités de traitement des déchets et de création d’énergie. En plus de nos activités dans l’environnement, nous avons également des activités très prospères dans l’immobilier (Ojirel et Alderan) et dans les services à l’industrie, toujours en lien avec l’environnement.
Expliquez-nous le concept de cette fédération d’entrepreneurs et sa gouvernance ?
Je crois aux valeurs d’alliance, d’association, de partenariat, d’adoption et de partage. J’ai eu la chance, très jeune, d’être associé au capital de ma première société. J’ai toujours souhaité offrir cette opportunité aux patrons qui gèrent les sociétés de mon groupe. Nos patrons bénéficient d’une grande autonomie de gestion et se considèrent non pas comme des salariés, mais comme des entrepreneurs. Aujourd’hui, les associés-gérants d’Energipole sont actionnaires des sociétés qu’ils dirigent et participent ainsi à la création de valeur au sein du groupe.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de vos activités de mécénat ? (Opéra, Institut Cerveau Moelle Épinière…)
Malgré ma rencontre avec le Parkinson il y a 11 ans, je me considère comme un privilégié, car je suis habitué à lutter et j’ai les moyens de suivre les meilleurs traitements. Bien sûr, la maladie de Parkinson ne se guérit pas et au fil du temps, devient plus dure à supporter. Alors, je réfléchis au confort que je peux apporter à mes semblables.
J’ai donc monté une association qui propose des activités sportives adaptées aux parkinsoniens : boxe, danse, chant, gymastique douce, Qi Kong… L’association organise également des tables de paroles et accueille les patients et leurs aidants proches. Je finance et je gère cette association avec une équipe formidable. Mon but est de rompre l’isolement de cette terrible maladie. Je ne suis pas compétent pour la recherche aussi, j’ai choisi d’être mécène de l’Institut du Cerveau et de la Moelle Épinière.
Mais mon plaisir, ainsi que celui mon épouse, serait de créer une Fondation d’Art contemporain reprenant une belle partie de notre collection dont elle s’occuperait. Quant à moi, comme Sisyphe, je pousserai mon rocher d’entrepreneur multi récidiviste aidé de mes enfants et de mes chers associés-gérants que j’ai adoptés.