Rencontre avec une amoureuse de la France qui se bat jour après jour pour sauvegarder notre patrimoine oublié et en danger, notamment dans les territoires ruraux. Il n’y a pas que Stéphane Bern.
Comment a démarré votre combat pour le patrimoine français ?
Alexandra Sobczak : Au tout début, c’est suite à une rencontre avec le président du conseil départemental de l’Yonne, à qui j’avais proposé de faire l’inventaire du patrimoine religieux du département qui représentait 430 églises. Il a trouvé l’idée excellente mais n’en avait pas le financement. Puis, en visitant l’église Saint-Pierre d’Auxerre, je me suis retrouvée devant une véritable scène de guerre. Et je me suis dit, il y a urgence pour le patrimoine ! J’ai démarré par une simple page Facebook qui, en 15 jours seulement, a explosé et est devenue très populaire. J’ai donc décidé de créer « Urgences Patrimoine » pour délivrer des messages citoyens et réunir tous ceux qui aiment notre patrimoine.
Je crois que ce qui a fait le succès de ma démarche, c’est qu’elle était loin des discours élitistes, un peu intellos, voire de gens avec des noms à particule, souvent âgés. En cassant les codes, j’ai vu que de nombreux Français de tout âge et de tout milieu, en région parisienne comme en province, s’identifiaient à mon discours, beaucoup de femmes notamment. Je ne suis pas issue du monde du patrimoine, mais énormément de professionnels ont rapidement plébiscité mon action. En 15 ans, l’association devenue nationale s’est développée et notre journal, « la Gazette du Patrimoine », est aujourd’hui suivi en ligne par plus de 60 000 lecteurs et notre page Facebook par 15 000 abonnés.
Qu’est-ce qui différencie votre action de celle de la Fondation du Patrimoine ?
A.S. : Nous sommes au service du plus grand nombre, partout en France. Ce sont les gens qui nous alertent parce qu’un élément de leur patrimoine est menacé de disparition. Nous faisons des choses très différentes, mais très complémentaires de celles de la Fondation du patrimoine, dans le sens où « Urgences Patrimoine » se bat pour tous les dossiers les plus ingrats et les moins médiatisés, auxquels nous donnons une véritable visibilité. Résultat, en un peu plus de quinze ans, nous sommes devenus un nouvel acteur du patrimoine de proximité en danger. On se mobilise pour des causes à première vue moins « glamour » mais véritablement essentielles pour les gens, notamment dans les territoires ruraux. C’est pour cela que les Français nous suivent et nous applaudissent autant.
Vous savez, dans notre pays, par habitude, on donne plus facilement des financements à ceux qui soignent le patrimoine, plutôt qu’à ceux qui le sauvent ! Pour notre part, nous essayons d’inventer la sauvegarde du patrimoine de demain, celui qui est vraiment menacé de disparition par manque de financements, car comme disait Anatole France : « Ne perdons rien du passé. C’est avec le passé que l’on fait l’avenir. » C’est très difficile en France de trouver des financements pour restaurer le patrimoine local, trouver des sous c’est très compliqué. Et il y a beaucoup trop de causes qui ont été perdues parce que nous avons été alertés bien trop tard.
Comment notre tissu de PME et les entrepreneurs peuvent-ils vous aider ?
A.S. : En France, on le sait, les très grosses entreprises vont plus facilement vers des sites emblématiques avec des partenariats et du mécénat. Prenons le cas de la sauvegarde de Notre Dame de Paris. C’est très bien, il fallait le faire évidemment, mais il y a partout en France dans tous les départements et dans toutes les communes, notamment les petits villages, des milliers d’édifices qui sont non pas le symbole mais le vrai visage de la France !
Les dirigeants de TPE, PME et PMI devraient donc quant à eux s’orienter vers tout ce « petit » patrimoine de proximité, car ils ont un vrai rôle à jouer aux côtés des élus locaux pour la sauvegarde de ces petits bijoux de notre Histoire qui contribuent aussi à l’attractivité de leurs territoires dans les villes moyennes comme dans les communes plus rurales. Depuis quatre ans, nous avons notamment lancé l’opération « 1 geste, 1 édifice » qui permet à des artisans d’offrir de la main d’œuvre pour restaurer gratuitement ou à des petites et moyennes entreprises de donner des matériaux.
C’est aussi l’objet de la nouvelle opération que vous lancez cette année ?
A.S. : Oui, en 2021, nous lançons aussi l’opération « Solidarité Patrimoine » qui va permettre à des porteurs de projets de restauration et de sauvegarde de notre patrimoine de remporter des prix et d’avoir une assistance tant pratique que juridique. Les PME peuvent donc nous aider soit en portant un prix au nom de leur entreprise, soit en participant de façon collective au « Prix des mécènes » qui sera doté d’un financement plus important. Notre objectif est d’annoncer les lauréats au moment des prochaines Journées du Patrimoine. De plus, nous avons décidé de délivrer à toutes les entreprises qui deviennent partenaires de notre action un label pour les identifier comme « patrimo-responsables ».
On vous qualifie de « Passionaria du patrimoine ». C’est quoi votre mantra ?
A.S. : Faire du concret. Les paroles, c’est bien, mais les actes c’est mieux ! Lutter contre les démolitions est devenue notre marque de fabrique. Si on me considère comme une militante ou une activiste du patrimoine, c’est parce qu’en termes de communication, à « Urgences Patrimoine », nous sommes les meilleurs. Donc quand une entreprise mécène nous rejoint, elle sait qu’il y aura un retour sur investissement, de l’image et de la visibilité.
Etes-vous suffisamment soutenue par l’Etat et les décideurs politiques ?
A.S. : Non, bien entendu ! J’ai d’ailleurs plusieurs propositions de loi à soumettre aux parlementaires qui auront le courage de porter des projets de loi pour défendre le patrimoine oublié, car on ne pourra pas tout protéger au titre des Monuments historiques. Il faut donc inventer de nouveaux dispositifs, car la Loi Elan notamment est un drame pour notre patrimoine français, en laissant la porte ouverte à toutes les démolitions.
Vous avez même parlé sur votre site de « patrimonicide » ?
A.S. : Effectivement, c’est un mot qui peut sembler fort, mais on assiste quand même en France à l’extermination des petits éléments de notre patrimoine. Quand je dis cela, c’est parce qu’il me semble essentiel d’humaniser la cause du patrimoine, sans pour autant heurter les sensibilités. N’oublions jamais que le patrimoine est l’essence même de notre mémoire et que sans mémoire, nous ne sommes rien. C’est pourquoi, aujourd’hui, toutes les entreprises peuvent devenir actrices de la sauvegarde du patrimoine oublié de nos territoires. Je leur lance donc un appel : Rejoignez Urgences Patrimoine et devenez « Patrim’Acteurs » !
Propos recueillis par Valérie Loctin