Il porte bien son nom. À cœur vaillant rien d’impossible ! Alexis Vaillant a créé AlterFood en 2009, comme une alternative aux groupes industriels. de l’alimentaire. Ses marques naturelles et bio (Infusion, Marcel bio, ou Hugo le Maraîcher…) sont déjà une référence. Cet ISG de 37 ans vient de lever 3M€.On risque d’en entendre parler dans les années qui viennent. Il est complètement dans l’air du temps…
Cela fait longtemps que vous avez cette idée d’entreprise naturelle et bio ?
J’ai créé l’entreprise en 2009 mais l’idée germait déjà depuis l’été 2007. J’ai donc commencé à travailler sur les fondamentaux du projet à l’âge de 26 ans. L’ entrepreneuriat est ancré dans mes gênes, c’est quelque chose de passionnel. J’ai toujours eu la volonté de créer autrement, en ayant un impact positif sur la société. Originaire de Haute-Savoie, il coulait de source de lancer un projet autour de l’alimentaire ayant du sens pour l’homme et pour l’environnement. Après des études à Paris à l’ISG, je suis revenu à mes racines pour me recentrer sur mon projet entrepreneurial.
Dans quelles conditions avez-vous pu démarrer l’aventure ?
AlterFood, c’est 10 ans de bataille quotidienne. J’ ai commencé seul dans un bureau face à une feuille blanche et une
ferme conviction de la réussite de mon entreprise. Je n’avais pas défini de business plan car j’étais convaincu que la vente serait le bon moyen de convaincre. J’ai commencé par un premier concept centré autour de l’eau. N’ayant pas les moyens de rentrer dans l’univers de l’eau, j’ai décidé de créer de l’eau pour les autres en créant une première société de bouteilles d’eau publicitaires DRINKYZ dont l’activité était de labelliser les bouteilles d’eau aux couleurs des entreprises.
Ayant un amour inconditionnel des produits de consommation alimentaires j’ai rapidement souhaité développer des produits grand public et j’ai donc continué à chercher des idées dans l’univers de l’eau avec la ferme volonté d’apporter une rupture d’innovation sur le marché.
En 2009, j’ai travaillé sur le projet de lancement d’une eau humanitaire et écologique, en utilisant notamment le PLA (acide polylactique, NDLR) qui est un matériel plastique 100% recyclable. N’étant pas ingénieur et faute de moyens, j’ai détecté la marque anglaise Aquapax, une petite brique d’eau bleue développée par un entrepreneur britannique dénommé Neil Tomlinson. Seul bémol, cette idée d’eau en carton était très mal marketée.
Je suis donc allé rencontrer son fondateur, à Londres, en lui disant que j’adorais son projet mais qu’il fallait reprendre l’image de la marque et le packaging à zéro. Séduit par le plan de design du nouveau pack qu’il m’a présenté, je me suis engagé à acquérir tous les premiers stocks. C’est ainsi que l’aventure a commencé.
Les difficultés que vous avez rencontrées ont-elles finalement été bénéfiques ?
Elles nous ont permis d’être ce que nous nous sommes aujourd’hui. La vie d’un entrepreneur consiste à trouver des solutions au quotidien face aux difficultés qu’il rencontre… Toujours animé par cette passion créatrice, je me suis très rapidement retrouvé à marketer les produits des autres car le marché français a des spécificités de consommation qui supposent une adaptation.
J’avais envie de créer des produits et pas simplement de les distribuer. Vous avez été un peu visionaire de l’évolution du marché…
J’avais la ferme conviction que le marché allait s’orienter vers plus de naturalité, de bio, de traçabilité, de bien-être, et de made in France. Le projet a commencé avec le rêve de créer un thé glacé à la française.
J’ai rencontré des nombreux acteurs, des labos, des usines, et je me suis vite rendu compte que le thé n’étant pas cultivé en France, il allait être compliqué de créer un « Ice tea à la française ». J’aime écrire des histoires mais des histoires qui ont du sens. Alors que le projet était encore en pleine gestation, Marie Denzel, une exploitante du domaine de Mazet, spécialisé dans les plantes médicinales, a débarqué dans mon bureau afin que je distribue une boisson qu’ elle avait développée.
Marie avait un formidable savoir-faire, je lui ai donc proposé de nous associer afin de développer des boissons ensemble mais en les modernisant et en ciblant un public plus urbain. Nous avons créé des infusions glacées bio en 2012 sous le nom d’INFUSION, composées de plantes médicinales du domaine de Mazet infusées en Alsace et mélangées à des jus de fruits bio. Ce fut mon premier fait d’armes.
Pourquoi une telle profusion de marques ensuite (InFusion, Wat Water, Marcel bio…) ?
Nous avons 21 marques avec un ADN commun : la santé par l’alimentaire. Nos produits apportent de la différenciation sur le marché par leur naturalité, leurs goûts et leurs emballages. Nous avons trois typologies de gammes de produits. La première composée de nos huit marques propres que nous avons développées nous-mêmes et qui nous appartiennent à 100% (Infusion, Tensaï Tea, Hugo le Maraîcher, Wat Water, Coffee Ride, Bahia Drink, Marcel Bio).
La seconde composée des grandes marques internationales que nous développons en exclusivité pour le marché français e (The berry company, Alo, les limonades Belvoir ou encore Kind Snacks). La dernière gamme s’articule autour des marques de niche qui témoignent de notre volonté de conserver cette idée de laboratoire d’innovation.
Selon quels critères sélectionnez-vous vos réseaux de distribution ?
Nous avons des gammes de produits dédiés à la grande distribution et des gammes de produits dédiés aux réseaux spécialisés et au CHR pour lesquels nous souhaitons conserver des exclusivités. À titre d’exemple, nous avons créé Tensaï Tea, un thé très légèrement sucré à base de sirop d’agave biologique.
Ce thé est essentiellement commercialisé dans les réseaux bio, comme Naturalia, et dans des réseaux plus sélectifs, comme La Maison Plisson, La Grande Épicerie de Paris ou Lafayette Gourmet, mais il n’ira jamais en grande distribution car ce n’est pas le sens ni le positionnement de cette marque.
Typologie de votre clientèle ? Jeune et urbaine ?
Notre cœur de clientèle est résolument urbain. Nous avons commencé par développer des produits à Paris et en région
parisienne, puis nous nous sommes attaqués à tous les grands centres urbains (Lyon, Nice, Nantes, Bordeaux, Lille, Toulouse…). De fil en aiguille, nous avons intégré les zones périurbaines car nos produits sont demandés partout. Enfin, suivre nos consommateurs et nos clients sur leurs zones de villégiature en nous développant sur le littoral fait partie de notre stratégie de développement.
Quelles relations entretenez-vous avec vos producteurs/agriculteurs ?
Nous sommes une entreprise basée à Paris mais ils comprennent rapidement que nous sommes de vrais Savoyards et que nous respectons plus que tout leur métier. Sans eux, nous ne sommes rien et ils donnent du corps à ce que nous sommes.
À titre d’exemple j’ai créé la marque Marcel bio en 2012 en même temps qu’InFusion.
Je cherchais des fruits made in France à mélanger avec mes plantes médicinales. C’est alors que j’ai rencontré Marcel Bal un agriculteur extraordinaire, qui est devenu un ami, avec qui nous avons décidé de développer des gammes de jus de fruits et de soupes bio. Sur la partie soupe de Marcel bio concoctées de manière artisanale à la Conserverie de Provence, nous sommes liés à tout l’écosystème agricole bio de la Provence.
Nous sommes très impliqués autour du monde agricole et nous avons été jusqu’à investir dans l’outil de transformation ainsi que dans les terres qu’ils cultivent – 80% des légumes cultivés par Marcel sont destinés aux soupes Marcel bio. Nous avons donc verticalisé toute la chaîne avec un respect pour la terre et le travail des hommes qui la cultive indéfectible.
Sur la partie jus de fruits, nous sommes liés aux agriculteurs du Languedoc Roussillon, nous produisons dans une petite conserverie dédiée aux agriculteurs. Nous avons tissé un partenariat fort avec les agriculteurs permettant de maîtriser les approvisionnements en pommes, poires, abricots, pêches et raisins bio d’origine française.
Nous investissons dans un site de production commun qui permet aux agriculteurs de transformer leurs fruits afin de les vendre sur les marchés et nous permet simultanément de transformer nos fruits afin de les vendre sous la marque Marcel bio sur nos marchés plus urbains. L’ensemble des jus et nectars bio Marcel bio sont embouteillés en France, à Perpignan ou en Alsace.
Comment pérenniser son outil de production ?
Notre cœur de métier réside dans le développement de marques : nous faisons en sorte qu’elles s’imposent comme des incontournables de la consommation agroalimentaire française. L’investissement dans l’outil de production correspond à une opportunité, traduit la volonté d’aider un ami et manifeste le souhait de sécuriser un réseau d’approvisionnement.
Avez-vous des une volonté de développement industriel ?
Nous n’avons pas de velléité industrielle à proprement parler. Nous travaillons avec des industriels extrêmement professionnels comme les Jus de fruits d’Alsace (groupe LSDH), ce qui nous permet de bénéficier d’une certaine flexibilité. Grâce au savoir-faire des personnes avec lesquelles nous collaborons sur la Conserverie de Provence nous avons pour ambition de l’imposer comme un outil de production à destination de la bio, concentrée sur la bio pour les agricultures bio et pour les réseaux bio.
Suite à notre prise de participation nous avons gardé la même organisation en conservant tous les hommes qui étaient en
place. Nous avons juste structuré l’activité commerciale, administrative et financière. Les agriculteurs et les transformateurs sont toute la journée en échange pour transformer les produits, ce ne sont pas des gestionnaires ni des vendeurs ou des marketeurs. L’alliance entre leur savoir- faire et le nôtre constitue une énergie très porteuse et performante.
Avez-vous des objectifs en matière d’investissement ?
Nous nous sommes alignés avec la Sapam, une société strasbourgeoise spécialisée dans les fruits et légumes, pour investir dans l’outil de production. Nous allons investir 450 000 euros afin de donner à la structure une stabilité financière. Le but est que des acteurs comme Marcel ou notre directeur d’usine n’aient pas à s’interroger sur l’avenir. Il est essentiel que les gens autour de moi puissent travailler l’esprit libre, allégés de toute problématique financière.
Nous avons donc sécurisé l’avenir de la société et nous initions un travail de modernisation de l’outil. A l’avenir, nous visons les réseaux en marque de distributeur et l’export. Se positionner à l’export de manière intensive suppose la conformité avec les normes IFLS (Institut Français du Libre Service) qui requièrent la modernisation de nos outils.
Vous venez de lever 3 M€. Quel est le sens et l’objectif de cette levée de fonds ?
Nous n’avions jamais levé de fonds jusqu’à présent. J’ai eu la chance d’être soutenu dans ce projet par mon meilleur ami Anthony Belolo et son frère Jonathan qui travaillent dans l’univers de la musique (Scorpio Music). Lorsque j’ai créé ma boîte, ils m’ont accueilli dans leurs bureaux.
Pendant une dizaine d’années, les deux frères ont soutenu l’entreprise les yeux fermés – ils ont réinvesti lorsque cela était nécessaire, sans que nous n’ ayons jamais besoin de réaliser une levée de fonds.
Comment avez-vous fait pour attirer les investisseurs ?
Nous avons eu la chance d’être approché par de nombreux fonds mais également d’être suivi par la structure d’investissement de Banque Populaire Rives de Paris. Lorsque nous avons souhaité passé à la vitesse supérieure, nous nous questionnées sur l’intérêt d’un fond d’investissement classique qui valorisait fortement notre entreprise avec des velléités de sortie tout aussi importantes, ou si nous abordions le projet de façon plus saine avec des établissements bancaires qui financent sur fonds propres.
Un rachat d’AlterFood par un grand groupe agroalimentaire fait-il partie des options à moyen terme ?
Nous sommes amoureux de nos marques et de notre entreprise, nous avons une adhésion très forte de l’ensemble de nos collaborateurs à notre projet. Il n’a jamais été question de se rapprocher d’un grand groupe alimentaire. Je ne dis pas que nous ne le ferons jamais, car il ne faut jamais dire jamais, mais le projet d’AlterFood s’inscrit dans une vision beaucoup plus longue avec l’ambition de s’imposer comme un acteur incontournable du marché.
Quel est votre vision du marché de l’agroalimentaire à horizon 5 ans ?
Il est en pleine gestation. Il existe en France et dans d’autres pays européens une importante tendance vers le bio. Nous sommes actuellement dans le bio à tout-va mais cela ne durera pas. Les consommateurs ont besoin d’être rassurés avec le logo bio mais je pense qu’il faudra aller plus loin dans la démarche, il est trop facile d’apposer un logo sur un packaging.
La dimension locale, sociétale et le respect de la chaine de valeur sont clés : les marques vont s’imposer comme des acteurs à part entière de l’évolution de la société. Aujourd’hui, une entreprise doit être impliquée d’une manière ou d’une autre dans la vie de la société, c’est ce que nous faisons en décidant de couper le sucre de nos produits, quand nous nous impliquons auprès des agriculteurs, lorsque nous mettons en place des démarches de recyclages…
On observe une évolution positive du panier moyen : le consommateur est prêt à mettre un tout petit plus d’argent afin de soigner la manière dont il va s’alimenter au détriment d’autres segments de consommation.