Passer du hamburger aux produits de la mer, c’est tout le pari de Steve Burggraf, fondateur de Big Fernand en 2012 allié à l’ancien président de Mondelez France, Mathias Dosne. Ils reprennent le groupe Nautilus (spécialiste du crabe en conserve et du saumon bio), avec 46 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Vos deux profils sont différents et complémentaires ?
Steve Burggraf : L’entreprise est ancrée en moi, très jeune je m’y suis intéressé, enfant, je suivais la bourse et j’ai ensuite créé pas mal d’entreprises. Mais ce sont les hommes et leurs parcours qui font l’entreprise. Avec Mathias, il s’agit d’une histoire d’expériences et de destins croisés.
Mathias Dosne : Je suis un provincial qui a quitté sa Provence natale pour travailler sur le carreau de Rungis et y vendre des fruits et légumes avant qu’un cabinet de chasseurs de tête ne me fasse une proposition pour rejoindre Coca Cola. Il s’agissait d’un grand écart pour moi, le passage d’un marché peu marketé à un grand groupe très structuré. J’y suis resté 15 ans, jusqu’au poste de direction commerciale, que j’ai quitté pour la direction générale de Mondelez International. Cela m’a permis de toucher à énormément de métiers, mais aussi de voir ce qu’il vaut mieux ne pas faire. Aujourd’hui, je vais pouvoir mettre en application ce que j’ai appris.
Pourquoi cette attirance envers le secteur alimentaire ?
S.B. : Ma première création d’entreprise, les Compagnons du Terroir, a été dans ce domaine, c’est le prolongement de mon parcours éducatif, j’ai cuisiné très tôt et depuis ma petite enfance, j’ai une appétence pour le produit, je me définis par lui, le succès repose sur l’amour du produit, je me sens à l’aise dans cet univers. Je veux faire de bonnes choses, ce n’est pas si compliqué, mais pas si courant. Le développement se fait par et pour les produits.
MD : Quant à moi, ayant démarré à Rungis, au cœur de l’alimentaire, dans la partie la plus simple et la plus noble, j’ai adoré ces fruits et légumes, la marée, la boucherie, des produits aux dates de vie très courte, où le marketing n’intervient que dans un second temps. C’est un bien de première nécessité, qui permet d’innover, d’apprendre pour aller vers le mieux.
Comment vous êtes-vous rapprochés pour la reprise de Nautilus ?
M.D. : Nous avions fait une école de commerce ensemble, puis nous nous sommes revus il y a deux ans lors d’un repas, et discuté sur nos envies de projets. Nous nous sommes tapés dans la main, un pacte très humain basé sur un grand respect mutuel. Quand les initiatives sont simples, il est ensuite possible d’aller très vite, car évidemment, le business n’attend pas. Quitter la présidence de Mondelez France, un groupe d’1.8 milliard d’euros, pour un vrai projet, qui plus est avec Steve, est totalement énergisant. La taille du chiffre d’affaires n’est pas un sujet. Nautilus représente un vrai défi, la société réalise 47 millions d’euros, nous voulons la porter jusqu’à 100 millions en 2028. C’est vous dire la taille de cette ambition. Nous sommes maitres de notre stratégie, de notre vision, on va y mettre toute notre énergie, conduire des équipes, recruter des talents.
S.B. : J’avais à cœur de réécrire une histoire un peu sérieuse. Avec Nautilus, il s’agit d’un moment d’opportunité entre mon parcours et une entreprise. Il fallait trouver un produit dont on soit fier, une marque, pour surfer sur un marché d’avenir. Car il s’agit ici d’une alternative à la viande et de l’alimentation de demain. C’est un marché dans lequel on se sent à l’aise. Notre motivation est totalement liée au produit.
Cela est allé assez vite ?
M.D. : Cela a pris 2 ans, et ne s’est pas concrétisé pour notre première cible. Cet « échec » nous a permis de partager nos réactions, notre loyauté dans une période plus difficile, car nous n’avons jamais rien lâché.
S.B. : Nous sommes tous deux des opérationnels et il faut de 12 mois à 18 mois pour connaitre le périmètre d’une entreprise et passer à l’action. « Réfléchir comme un stratège, Agir comme un primaire », il y a généralement trop de busines par les chiffres, ici, nous connaissons les hommes qui constituent la société.
En termes de financement, les levées de fonds n’ont pas forcément votre faveur ?
S.B. : Je pourrais en parler pendant une heure ! Il y a un problème global chez de jeunes entrepreneurs pour qui la levée de fonds constitue une fin en soi, alors que ce n’est qu’une infime étape qui, de plus, ne leur rend pas service, car le respect budgétaire et les difficultés sont très fondatrices. Ces levées sont habituellement réalisées par des financiers qui bercent les entrepreneurs sans appartenir eux-mêmes à cette catégorie. Ce phénomène de miroir aux alouettes est, me semble-t-il, en train de ralentir.
Avec Nautilus, le produit est au cœur de votre ambition ?
M.D. : Nous voulions trouver une alternative à la viande. Les produits de la mer sont un marché dynamique, en croissance de 3 à 5%. Or, le crabe, riche en nutriments oméga 3 et vitamine B, est un segment modeste de 20 millions d’euros en France, qu’il est intéressant de démocratiser. Nautilus est ici la marque légitime. Nous sommes également sur le
saumon fumé, à marque Herens, un marché de 700 millions d’euros, à +5, +10% par an. Nous ne serons pas un énième acteur, nous optons pour la qualité de très haut niveau, plus de la moitié de nos volumes sont déjà bio, label rouge ou sauvage, notre objectif est d’atteindre les 90%. L’export sera également un vecteur de croissance, sur la zone Moyen-Orient notamment.
S.B. : Il n’y a pas de problème de surpêche sur le crabe, une femelle pond 2 millions d’œufs par an, l’activité ne nuit pas à la planète. Nous avons prévu de beaucoup innover en termes de produits sur différentes marques. Nous n’allons pas nous écarter du marché natif (96% du CA en grande distribution), mais il y a des niches à explorer en haut de gamme, en RHD (restauration hors domicile) et en réseaux bio. Nous avons des leviers d’action. Dans l’ADN de Nautilus, il y a la capacité à sourcer les produits, une chose essentielle, car l’accès à la matière première de qualité est un enjeu de demain, et l’une des caractéristiques fortes de Nautilus. Nous allons aussi faire évoluer les talents qui nous entourent, même si le moteur de la transformation reste celle des produits. De nouvelles gammes, de nouvelles façons de consommer le crabe, des innovations et améliorations produits, une refonte très large qui démarre immédiatement.
Et la croissance externe ?
S.B. : Pourquoi pas ? Nous resterons très attentifs, Nautilus pourrait être la première pierre à l’édifice d’un groupe alimentaire industriel. A partir de fin juin, nous nous comporterons en industriels dans le sens métier du terme.
M.D. : Nous avons beaucoup de postes à pourvoir, et sommes en recherche de bons équipiers. Le monde de la PME attire de plus en plus les jeunes talents, et notre projet est très attractif pour les candidats. Pour nous deux, donner du sens, penser à l’impact environnemental, être sur les produits de la mer est essentiels. Nous avons pour ambition de contribuer de manière concrète au nettoyage des océans.