La PME née dans le Sentier mise sur le «made in France» pour maintenir sa croissance.
«À 20 ans, lorsque je découvre le quartier du Sentier, avec toute son agitation autour de son activité textile, c’est un véritable coup de foudre», se souvient Éric Sitruk, 51 ans, pourtant fils d’une institutrice et d’un militaire.
Totalement étranger au monde de la mode, il crée pourtant en 1985 Fashion Bel Air au 110, rue Réaumur, en plein cœur du quartier qui le fait tant rêver. Depuis, la petite entreprise individuelle, «je ne disposais pas des 20.000 francs nécessaires pour créer une SARL», précise l’entrepreneur, a bien grandi, passant de simple fournisseur à créateur de collections disposant d’un réseau de boutiques en nom propre. Bel Air a gagné ses galons !
Naissance d’une marque
Installé dans un local de 30 m2 avec un unique collaborateur, Éric Sitruk investit rapidement l’univers de la mode. «J’ai d’abord coupé des vêtements, que je donnais à assembler à des sous-traitants de la région parisienne pour les revendre ensuite à des grossistes et détaillants multimarques du Sentier d’abord, aux grandes marques de mode quelques années plus tard, notamment Zara, H&M, Pimkie, Etam…».
Au contact de ces géants, le jeune entrepreneur apprend très vite, notamment à maîtriser la production. Et alors que sa petite entreprise ne connaît pas la crise, il comprend également que, pour ne pas se faire «étrangler» par les grands donneurs d’ordre, il doit passer à la vitesse supérieure.
Deux frères et une soeur aux manettes
Avec son frère cadet, Franck Sitruk, 45 ans, actuel directeur général, qui le rejoint en 1990, le duo, conscient de son savoir-faire, crée son propre label : Bel Air, aux commandes de la directrice artistique depuis 1996, leur styliste de sœur Natacha Seban. Dès le départ, la marque s’adresse à une cible particulière, la jeune femme tendance, «un nouveau concept bohème chic, milieu de gamme et très français».
Distribuée dans un réseau de magasins multimarques, Bel Air reste discrète jusqu’aux débuts des années 2000 (6 M€ de CA). Alors, pour accroître leur présence dans l’univers très fermé du prêt-à-porter féminin, les deux frères parient sur des points de vente en propre. «En 2006, alors que nous venons d’ouvrir notre première boutique à Paris, rue des Rosiers, la chance nous sourit : nous reprenons à la barre du tribunal les actifs de Samy lingerie, en dépôt de bilan, pour 1,5 M€.
Dans la corbeille, 9 boutiques parisiennes et une trentaine de salariés, qui, tous, deviennent vendeurs Bel Air», explique Éric Sitruk. De quoi écouler leurs pièces-phares, chics mais aussi basiques, désormais incontournables.
En 2008, Éric et Franck Sitruk espèrent renouveler ce coup de chance avec une nouvelle opération de rachat, un choix qui s’avère pourtant moins judicieux.
«Nous avons repris la chaîne Les Florentines. Mais suite à des contentieux avec les anciens propriétaires, les bailleurs ont refusé que nous convertissions les bijouteries en magasins de prêt-à-porter. Nous nous sommes retrouvés avec 25 points de vente sur les bras !». La chance ne souriant qu’aux audacieux, les deux frères travaillent d’arrache-pied pour vendre une à une les boutiques… avant de décrocher le gros lot en 2009 : le groupe Galeries Lafayette leur rachète Les Florentines avec, au passage, une plus-value de 10 M€.
Une belle opération qui permet une augmentation des fonds propres, de quoi donner à la PME textile les moyens de ses ambitions. Bel Air va ainsi doubler le nombre de ses magasins en 5 ans (15 à 30) dans l’Hexagone, et référencer ses créations dans plus de 300 magasins multimarques répartis sur tous les continents.
Changement de cap
Cotée en Bourse depuis 1995, la PME parisienne, comme de nombreux acteurs du secteur, connaît quelques difficultés. «Le milieu de gamme a connu de belles années de 2005 à 2008. Mais la crise est passée par là, faisant énormément de mal au segment, seuls le luxe et le bas de gamme parvenant à tirer leur épingle du jeu.
Surtout la multiplication des promotions, des ventes privées, des déstockages, y compris sur Internet, ont complètement transformé la façon de consommer. Les consommatrices ont perdu la notion de bon prix, n’achetant plus qu’à prix cassés». Pour s’en sortir, la marque ne fait pas dans la dentelle !
«En 2014, nous avons totalement revu notre business model et avons baissé tous nos prix de 30%… sans rien changer à la qualité de nos créations. Désormais, nous ne faisons ni promotion ni rabais en dehors des deux périodes de soldes. Enfin, nous avons relocalisé en région parisienne une grande partie de notre production : 60% de nos créations sont désormais produites dans l’Hexagone, contre 10% il y a encore 1 an», détaille fièrement Éric Sitruk. Un coup de poker payant ! «Non seulement notre nouvelle politique nous a permis de regagner en fréquentation mais nous avons en moyenne augmenté le CA de 30 à 50% dans l’ensemble des magasins du réseau», souligne, enthousiaste, le P-DG.
Avec un CA de 16 et 20 M€ déjà programmé pour 2015, la marque a de quoi se réjouir. Si elle ne souhaite pas ouvrir prochainement de nouveaux points de vente, elle envisage cependant une refonte de son parc.
«En province, la demande est forte. L’idée est donc de nous séparer des magasins implantés en centre commercial pour nous recentrer en centre-ville et sur les grandes villes de province. Nous nouons aussi des partenariats à l’international pour nous développer via la franchise en Europe, aux États-Unis et Moyen-Orient», se réjouit Éric Sitruk. Pour relever ce nouveau défi, la PME familiale peut s’appuyer sur près de 25 M€ de fonds propres et un endettement quasi nul. Qui dit mieux ?