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Biscuiterie Jeannette : histoire d’un renouveau


A Colombelles, près de Caen (14), on se régale. Les madeleines sont bien de retour. La biscuiterie Jeannette fait partie des institutions depuis 1850 et elle fait l’objet d’un spectaculaire redressement après avoir failli disparaître...

Entreprendre - Biscuiterie Jeannette : histoire d’un renouveau

A Colombelles, près de Caen, on se régale. Les madeleines sont bien de retour. La biscuiterie Jeannette fait partie des institutions depuis 1850 et elle fait l’objet d’un spectaculaire redressement après avoir failli disparaître…

« La Biscuiterie Normande » de son nom d’origine voit le jour grâce à un Sieur Mollier. Elle fabrique des produits hauts de gamme à base de matières premières locales. Souvent récompensée, elle voit arriver un nouvel associé en 1925, dénommé Lucien Jeannette qui rachète l’entreprise deux ans plus tard, la transformant en « Biscuiterie Moderne du Calvados ». C’est dans cette période qu’il lance avec succès les « galettes de Caen ».

Affirmer son identité régionale

Le chiffre d’affaires progresse rapidement, grâce à quelques innovations marketing, comme les emballages sur lesquels apparaissent les paysages du bocage normand, et des lancements produits avec les madeleines, gourmandise originaire de Lorraine. Le contexte d’avant-guerre et ensuite la seconde guerre mondiale mettent évidemment à mal les affaires qui continuent cahin-caha. Lucien Jeannette devient volontaire brancardier pour la ville. Il décide finalement de vendre l’affaire en 1951 à Raymond et Jean Vinchon.

Quand la petite TPE devient une belle PME

Comme d’autres sociétés agroalimentaires françaises, l’entreprise va connaître un développement exponentiel grâce à deux éléments : l’industrialisation de la production et l’avènement de la grande distribution. De petite TPE de 15 salariés, la biscuiterie se transforme en belle PME de 240 personnes. Ce qui ne manque pas d’aiguiser les appétits.

C’est ainsi qu’en 1986, la société jusqu’alors indépendante passe dans le giron de la société Gringoire-Brossard. Cette intégration à un nouveau groupe n’est pas synonyme de succès, les années 1990 et le début des années 2000 marquant l’arrivée de nouveaux concurrents sur un marché globalement en baisse.

Le combat après la galère

On peut le dire, les années se succèdent dans la difficulté, enchaînant grèves et reprises à répétition jusqu’à l’acte décisif de liquidation judiciaire en décembre 2013. Un mal pour un bien pourrait-on dire qui se solde par une véritable prise en main de la survie de l’entreprise par ses salariés qui refusent absolument de voir mourir une si ancienne affaire. A l’époque, la biscuiterie ne compte plus que 37 salariés dont la majeure partie occupe les locaux, bien décidés qu’ils sont à interpeller le monde entier pour s’en sortir et sauver leur madeleine.

Georges Viana, symbole du renouveau

C’est Georges Viana qui reprend finalement le flambeau après avoir été choisi suite à un projet de reprise approuvé par les autorités. Son profil de spécialiste des entreprises en difficultés a également joué dans la confiance qu’on lui a accordé. Il se lance à corps perdu dans cette aventure et incarne la relance de l’entreprise, où, depuis 2014, tout a été mis en place pour repartir de plus belle sur des bases solides.

2014 et le financement participatif

Il y a six ans, le crowdfunding commence à faire ses preuves en France et c’est pour cette solution qu’opte le repreneur. Georges Viana ouvre la possibilité à tout un chacun de participer à la relance d’une entreprise locale, au savoir-faire plus que séculaire, et dont il faut sauver les emplois. De tels arguments ne laissent pas insensibles : 2000 contributeurs, dont environ 150 se transforment en actionnaires, permettent de retrouver une nouvelle crédibilité auprès des banques.

La levée de fonds globale s’est élevée à 6,5 millions d’euros, permettant ainsi d’aller de l’avant. Le mouvement est lancé, de nouvelles machines peuvent être commandées et de nouveaux produits sont élaborés par Philippe Parc, MOF et champion du monde des Métiers du dessert qui travaille bénévolement sur le projet. La quinzaine de salariés qui constitue l’effectif actuel sont quasiment tous des anciens qui ont pu éviter la mort précoce de la marque et des fameuses Jeannette.

Des adieux chargés d’émotion

La dernière semaine d’octobre 2019 fut chargée d’émotions. C’est en effet le 21 octobre que Georges Viana, après cinq années passées à la tête de la biscuiterie a fait ses adieux. Celui qui représentait l’homme providentiel de l’entreprise depuis 2014 a en effet décidé de laisser sa place. Il a « rempli son devoir » comme il le dit lui-même en prenant les risques inhérents à toute reprise d’entreprise en liquidation. Les investissements effectués depuis 2014 ont permis de connaître à nouveau une belle croissance, mais une entreprise qui a subi une maladie grave garde une fragilité.

La boutique de l’usine a perdu une bonne partie de son chiffre suite à l’occupation par les gilets jaunes du rond-point situé près de l’usine de Colombelles. Or, la boutique représente un tiers de l’activité de l’entreprise Jeannette, et les deux plus gros mois de la fin d’année se sont soldés par une baisse de 70% sur le chiffre d’affaires. Cela vient plomber la trésorerie de l’entreprise qui cherche de l’argent pour financer une nouvelle croissance. Heureusement l’histoire ne s’arrête pas là.

Toujours vivante !

Georges Viana a prévu de prendre un peu de repos avant de partir vers d’autres aventures, repos bien mérité après tant d’années totalement consacrées à la Jeannette. André Réol, propriétaire de l’usine, reprend la suite. Ce natif de Caen âgé de 86 ans a fait fortune dans l’automobile en Amérique du Sud. Il a prévu à nouveau d’investir 2 millions d’euros, a recruté un nouveau directeur commercial pour repartir à l’assaut des distributeurs. Un formidable retour en grâce pour cette survivante, dépouillée il y a six ans mais qui ne renonce pas en repartant de plus belle.

V.D.

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