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Brasserie du Mont-Blanc, la bière française qui a conquis le monde


Amoureux de la Savoie et de ses montages, Sylvain Chiron aurait pu poursuivre l’entreprise familiale de pâtes (3ème fabricant français) mais il découvre une bière inédite aux États-Unis alors qu’il suit un MBA et tombe amoureux de ces petites bulles alcoolisées. Il se mettra en tête quelques années plus tard, de faire renaître la marque ancienne la Brasserie du Mont-Blanc et de lui rendre ses lettres de noblesse à travers une ascension vertigineuse.

Entreprendre - Brasserie du Mont-Blanc, la bière française qui a conquis le monde

Amoureux de la Savoie et de ses montages, Sylvain Chiron aurait pu poursuivre l’entreprise familiale de pâtes (3ème fabricant français) mais il découvre une bière inédite aux États-Unis alors qu’il suit un MBA et tombe amoureux de ces petites bulles alcoolisées. Il se mettra en tête quelques années plus tard, de faire renaître la marque ancienne la Brasserie du Mont-Blanc et de lui rendre ses lettres de noblesse à travers une ascension vertigineuse.

Qui êtes-vous ?

 

Ma famille travaillait dans l’agroalimentaire. J’étais donc plus prédestiné à faire des trous dans les coquillettes qu’à fabriquer de la bière (rires). Je suis très attaché à mes montagnes et à ma région natale, la Savoie, mais pour autant, j’adore voyager et j’ai eu l’opportunité de réaliser cette aspiration.

Les valeurs savoyardes et montagnardes m’animent : l’humilité, le sens de l’effort, l’exemplarité à travers les actes et non par la parole. Je ne suis pas un grand bavard mais je suis plutôt solide, fiable, fidèle et travailleur. Ma philosophie de vie ? Carpe diem. J’aime les bonnes choses. Je suis à la fois boulimique de la vie mais également très besogneux.

Quel fut votre parcours ?

J’ai fait un Master of Business Administration sur trois continents entre la France, les Etats-Unis et le Japon – c’était  un programme expérimental teinté d’une vraie coloration internationale et export. C’est ainsi qu’ont germé les premières graines du projet de la bière.

Lorsque j’ai fait mes études aux Etats-Unis, il y a déjà moultes années, c’était le début des craft beer (bière brassée par un brasseur, NDLR) avec les Sierra Nevada et les Samuel Adam qui, à ce moment-là, étaient fabriquées au fond d’un garage ou presque. Nous sommes en train de vivre cette révolution en Europe, mais cette tendance avait démarré aux Etats-Unis avec une quinzaine d’années d’avance. Lorsque on est étudiant, on boit beaucoup de bière comme chacun le sait, et c’est aux Etats-Unis que j’ai découvert que cette boisson alcoolisée pouvait avoir un autre goût que ce que j’avais l’habitude de boire.

J’ai fait mon service militaire à Val d’Isère en qualité de moniteur de ski pour les pilotes de l’armée de l’air en faisant une année de césure dans mes études. L’idée m’a traversé de poursuivre cette carrière car j’avais apprécié cette expérience mais je me suis repris et décidé sagement de finir mes études.

Comment vous êtes-vous lancé dans l’entreprenariat ?

En rentrant de mon Master en 1996, j’ai racheté la société Eyguebelle à la barre du Tribunal un peu par hasard. Localisée en Drôme provençale à proximité de Montélimar, elle était spécialisée dans les sirops et les liqueurs. Nichés dans un monastère trappiste, les moines d’Eyguebelle avaient fait de mauvaises affaires et se trouvaient en grande difficulté. Ce fut une aventure assez familiale que j’ai vécu avec mon cousin et son beau-frère. Nous avons passé trois ou quatre années à remettre cette société sur pieds avec un certain succès. Dans les années 90, j’avais 30 ans, j’étais célibataire…

J’ai estimé que la Drôme provençale et la vie monastique m’offraient un cadre de vie un peu trop ascétique à mon goût. Il y avait eu un projet de bière avec les moines. J’avais caressé l’idée à un moment de faire la première bière trappiste française mais la communauté était assez âgée et ils n’ont donc pas souhaité suivre. J’avoue que ce fut finalement une bonne chose. J’ai conservé cette l’idée à l’esprit et j’ai revendu mes parts à mon cousin pour retourner dans mes montagnes natales monter le projet de la Brasserie du Mont-Blanc en 1999. 

Pourquoi ne pas avoir poursuivi l’entreprise familiale ?

Issu d’une fratrie de trois frères, cela faisait déjà beaucoup de monde dans l’entreprise familiale. La présence de mon père et de mes frères étaient parfois un peu pesante pour moi qui aie toujours eu un fort esprit d’indépendance. Depuis le début, j’ai toujours aspiré à être mon propre patron.

Quelles ont été vos sources d’inspiration ?

Je suis assoiffée d’indépendance, et par ailleurs, l’entrepreneuriat coule dans le sang dans notre famille. J’ai vu mon père faire cela toute sa vie et j’avais envie de créer quelque chose.

Dans les succès de l’entreprise familiale Alpina Savoie, il existait une petite pâte carrée appelée les crozets, un vieux produit oublié de nos montagnes remis au goût du jour et relancé par ma famille.

J’ai suivi le même raisonnement en me disant que la bière du Mont-Blanc était également un vieux produit de Savoie à qui j’ai décidé de redonner vie.  Le projet Mont Blanc était donc inspiré de ce que nous avions réussi à faire avec les pâtes.

Quelles sont les incidences d’un entrepreneuriat familial ?

Nous sommes à la cinquième génération d’entrepreneur. Si mon père avait été dentiste, il aurait certainement eu moins de bons conseils à me dispenser. La première marche est plus facile à gravir lorsque l’on est dans un contexte familial propice. Le côté négatif, s’il en existe un, est la pression qui s’exerce sur nous afin d’être le digne héritier des anciens.

Comment avez-vous réussi à faire renaître la marque Brasserie Mont-Blanc de ses cendres ?

L’ADN de la marque n’a pas tellement évolué, les piliers d’origine sont toujours présents. Il ne s’agissait pas d’une idée marketing sortie du chapeau  mais d’une volonté de faire renaître une marque ancienne qui avait existé jusque dans les années 50 et qui était une des plus belles brasseries de la région. La marque était connue pour la qualité de ses bières qui tient pour beaucoup à la qualité de l’eau utilisée (eau du Mont Blanc).

Aujourd’hui, nous allons encore un peu plus loin dans la mesure où nous avons un captage à plus de 2 000 mètres d’altitude, nous utilisons donc une eau de source très pure. La fabrication est encore très artisanale, à l’image de la Brasserie du Mont-Blanc d’antan, nous ne faisons encore que la moitié du volume de la Brasserie lorsqu’elle a fermé ses portes dans les années 50.

Quelles sont les spécificités  de la marque ?

La recherche de la qualité est ancrée dans notre patrimoine génétique, en contre-pied de ce que pourrait être une brasserie industrielle détenue par un fonds de pension. Dès le début, nous avons adressé le problème par le côté de la lorgnette qualité en nous demandant comment faire la bière la meilleure possible à n’importe quel prix.

Lorsque j’explique à des brasseurs qui nous rendent visite que nous achetons de l’eau des glaciers du Mont-Blanc à la mairie une fortune, que nous la transportons en camion-citerne jusqu’à la brasserie pour fabriquer nos bières, ils nous prennent pour des fous. Il révise leur jugement lorsqu’on leur précise que nous sommes cinq fois champions du monde, ces distinctions successives ne sont pas le fruit du pur hasard.

Comment conjuguer qualité et rentabilité ?

Nous ne sommes pas dans une logique de recherche du meilleur coût de revient pour nos bières. On se rend compte finalement que cela coûte bien évidemment plus cher mais pas tant que cela et que le consommateur d’aujourd’hui est tout à fait prêt à payer cette différence. Une bière de Mont-Blanc de 75 cl, qui est la meilleure bière du monde, coûte 5 euros. Pour cette modique somme vous n’aurez pas un Pétrus.

L’avantage de la bière est que la qualité ne coûte pas si cher que cela.

Nous avons pour philosophie de mettre tout notre argent dans la bouteille et non dans le financement de terrasses ou de campagnes de publicité massives, etc… Nous n’essayons pas de faire croire aux gens que notre bière est bonne en mobilisant de gros budgets marketing, nous la faisons bonne et nous espérons qu’ils s’en rendent compte. 

Comment allier tradition et innovation ?

Nous devons être traditionnels sans être poussiéreux. C’est un savant jeu d’équilibriste. Nous travaillons sur une marque ancienne, nous évoluons dans un univers de marque assez traditionnel et nous mettons également en avant nos techniques de fabrication. Nous avons besoin d’un mois et demi pour faire une bière du Mont Blanc contre deux semaines pour une bière classique. Nous avons des bières traditionnelles comme la Rousse du Mont-Blanc et la Blanche du Mont Blanc qui sont deux bières championnes du monde « classiques » mais nous sommes également capables de nous amuser un peu et de faire preuve de fantaisie.

Nous avons inventé une bière verte au génépi beaucoup plus moderne et tendance, baptisée la Verte du Mont-Blanc, qui a très bien fonctionné. L’alchimie des bières traditionnelles et des bières plus fantaisistes est ce qui fait notre succès car chacune des deux gammes a sa clientèle tout en conservant notre ADN. Nous ne faisons pas de bières à la Vodka ou à la Tekila. Dans nos montagnes, nous buvons de génépi d’où l’idée de la bière verte composée d’Alcoolat de Génépi et macération et de vraies infusions de plantes aromatiques.

De la même manière, lorsque nous lançons comme récemment une bière aux fruits, il s’agit d’un vrai jus de myrtille. Ce n’est pas parce que le produit est fun qu’il ne doit pas être travaillé et nettement plus qualitatif que ce que l’on trouve sur le marché. Dans un souci de modernité et d’une volonté de coller aux tendances du marché, nous avons lancé la Cristal IPA, une India Pale Ale, en revisitant le concept à notre sauce et en créant quelque chose qui n’existait pas. La plupart des IPA du marché sont de style américain et donc très fortes en alcool et en amertume, nous avons souhaité créé un segment qui n’existe pas aujourd’hui que nous appelons la soft IPA afin de combiner une bière blonde très rafraîchissante à 4,7 degrés d’alcool très aromatique et très florale en matière de goût mais avec une amertume très accessible.  

Si l’on parle de la philosophie du brasseur, nous ne sommes pas positionnés sur les bières extrêmes, soit très sucrées, soit très amères, soit très alcoolisées, dont je ne suis pas fan. Ces bières extrêmes sont les plus faciles à faire car elles couvrent tous les faux goûts. Nous essayons de faire des bières très subtiles, dans l’équilibre et la rondeur, ce qui représente un travail beaucoup plus compliqué. 

 

Quels sont les secrets de votre production ?

Nous créons une différence en étant d’une intransigeance totale sur les ingrédients. Notre attention se porte évidemment sur l’eau, qui représente 90% du produit – sachant que 99,99% des brasseurs font des bières à l’eau du robinet – l’eau que nous utilisons est captée au-dessus des activités humaines (0 pollution, 0 traitement) et qui a de très belles caractéristiques minérales car elle peu minéralisée. Nous sommes également attentifs à la qualité des malts avec la sophistication des recettes.

Les céréales sont les premiers ingrédients en brasserie et constitue la première bouche d’une bière. Dans les bières du Mont-Blanc, vous trouvez deux, trois  ou quatre céréales différentes ou trois malts différents, nous sommes déjà sur des niveaux de sophistication élevés là où les brasseries n’utilisent qu’un ou deux malts et où les brasseries industrielles vont y adjoindre du maïs ou du riz afin de tirer le coût de revient vers le bas. 

Nous utilisons des houblons français qui viennent d’Alsace mais aussi des houblons en provenance des quatre coins  du monde, chaque variété de houblon et chaque terroir a sa signature.

Nous utilisons également des épices qui permettent de donner la troisième bouche dans une bière, c’est un peu le « finish ». La coriandre et l’écorce d’orange amère sont les épices les plus connues pour faire une blanche et obtenir un côté agrume en fin de bouche. Mais nous utilisons également des épices qui ne sont pas perceptibles. A titre d’exemple, nous mettons une pointe de réglisse dans nos bières blondes afin de donner de la longueur en bouche. Nous utilisons éventuellement l’hibiscus dans certaines autres recettes afin de donner une petite touche d’acidité qui permet sur une bière ambrée d’avoir un finish un peu plus frais.

Notre recette est donc la combinaison de la qualité des produits et tout  le savoir-faire de la mise au point d’une recette très sophistiquée.

Quels sont vos process de fabrication pour garantir la qualité attendue ?

Nous faisons un brassage traditionnel en laissant le temps au temps, nous en douceur sans chercher à enchaîner à tous prix.  Nous avons des temps de garde et de maturation très longs, 27 jours de maturation minimum pour les bières de garde, cela nécessite de laisser la bière en cuve au froid ce qui est coûteux et mobilise des cuves – très peu de brasseurs le font – mais la qualité est à ce prix.

Comment assurez-vous la distribution des bières du Mont-Blanc ?

Nous sommes présents sur différents canaux. Nous sommes dans la grande distribution depuis nos débuts. En local, nous sommes présents dans tous les magasins avec une dizaine de références soit la quasi-totalité de notre gamme. Au niveau régional, nous sommes à peu près partout, mais avec la moitié de la gamme et au niveau national, nous commençons à rentrer dans la plupart des enseignes  mais avec notre cœur de gamme avec la Blanche et la Rousse qui sont les deux championnes du monde et la Verte qui est une vraie innovation pour le rayon, parfois, ils positionnent  également la bière à la myrtille qui est la petite dernière.

Le levier de développement sur les deux prochaines années consiste à monter en puissance au niveau national, la brasserie française cinq fois championne du monde doit devenir un incontournable de toute cave à bière qui se respecte.

Nous avons encore un peu de travail, la difficulté n’étant pas tellement de convaincre les enseignes mais d’organiser la chaîne logistique qui permette de livrer en Bretagne sans avoir un surcoût démesuré de transport.

  

Le suivi commercial est également essentiel, lorsque vous avez un accord national, certaines chaines intégrées assurent que les produits sont bien présents dans les rayons de façon assez automatique, dans d’autres enseignes, c’est plus compliqué si vous n’avez pas de commercial qui passe dans chaque magasin. Bien évidemment, nous n’avons pas la taille d’avoir une force commerciale nationale, nous passons donc pas des distributeurs. Nous sommes en pleine réflexion sur la distribution nationale  et sur la mise en place d’une force commerciale supplétive.

Notre second réseau de distribution est le CHR (Café Hôtel Restaurant) qui représente un réseau de distribution important. Nous avons démarré une activité de bières en fût au niveau local depuis environ trois ans car auparavant, le réseau était verrouillé par les grands brasseurs. Force est de constater que le consommateur a repris le pouvoir y compris dans le bistrot, désormais, le client demande quelles sont les bières disponibles. Cela change tout car avant, on vous servait une Kronenbourg, une Stella ou une autre des marques du groupe sans que vous ayez véritablement le choix.

A partir du moment où le consommateur exprime un autre besoin, qu’il aspire à quelque chose de nouveau, qu’il privilégie une bière française, etc. les bistrotiers ont pris conscience qu’ils devaient réagir et élargir leur offre. L’activité CHR était très en baisse ces dernières années, les gens allant de moins en moins au bistrot.

Le marché est en train de se réorganiser et il y a une vraie opportunité en CHR pour des brasseries artisanales comme nous. Nous avons des niveaux de croissance vertigineux sur cette partie de l’activité. C’est également un levier de notoriété de marque car ceux qui sont de passage dans nos montagnes découvrent nos bières à  la pression dans un bistrot avant de se rendre compte qu’il y en a dans le linéaire au petit commerçant de proximité d’à côté.    

Le réseau des cavistes est également en pleine explosion. Les cavistes (Nicolas et autres chaines) vendaient du vin. Aujourd’hui, il n’existe pas une ville de plus de 20 000 habitants qui n’ait pas une cave à bières, voire deux ou trois et d’acteurs spécialisés dans  la bière qui proposent 100 ou 200 références. C’est également un levier de développement très intéressant pour nous en termes de notoriété et d’éducation du public. 

Les ventes Internet commencent à prendre, que cela soit sur des opérations ponctuelles avec des sites comme Vente-privee.com qui génèrent des volumes incroyables avec des achats d’impulsion, ou de façon plus récurrente avec des sites spécialisés de vente en ligne de bière comme Saveur Bière ou Beerwulf. Amazon constitue également un formidable levier mais ce ne sont pas encore des volumes importants pour nous car l’internaute sait en amont précisément ce qu’il cherche.  

Quelles sont vos ambitions à l’international ?

L’international, c’est mon dada ! L’international représente sans doute le plus gros potentiel pour nous. Avec un univers de marques tels que le nôtre, une belle marque internationale, le brassage à l’eau des glaciers, 150 ans d’histoire, le petit drapeau français très en vogue actuellement sur les produits agroalimentaires, la ribambelle de médailles qui font notre renommée au niveau mondial, nous commençons à être connu sur la scène internationale.

Nous devrions réaliser 50 % de notre chiffre d’affaires à l’export mais ce n’est malheureusement pas le cas car je n’ai que deux bras et que nous devons nécessairement gérer des priorités.  Nous sommes pour l’heure accaparés par notre développement en France. Nous jouerons dans un premier temps  la carte de la proximité avec l’Italie et la Suisse. Sur la zone grand export, nous sommes présents dans de nombreux pays mais nous les travaillons de façon un peu opportuniste alors que cela mériterait une démarche beaucoup plus structurée. Nous allons commencer à nous positionner sur le sujet cette année avec pour objectif de mettre en œuvre une structure export dédiée l’année suivante.

[FIN][FIN][FIN] Brasserie du Mont Blanc en bref :

Localisation : La Motte-Servolex (73 290)

CA 2017 : 10 M€

Effectif : 25 salariés

Concurrence : Brasserie Duyck, La Grenouille Assoiffée, Brasserie Castelain, Brasserie du Pavé…

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