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Brexit : quel avenir pour les entreprises françaises exportant au Royaume-Uni ?


Alors que le Premier ministre britannique Boris Johnson a désormais les coudées franches pour enclencher le Brexit le 31 janvier 2020, la sortie du Royaume-Uni ne sera pas sans conséquence pour les entreprises françaises. Thierry Fournier, Directeur Associé du cabinet EIM, fait le point sur les principaux risques et sur...

Entreprendre - Brexit : quel avenir pour les entreprises françaises exportant au Royaume-Uni ?

Alors que le Premier ministre britannique Boris Johnson a désormais les coudées franches pour enclencher le Brexit le 31 janvier 2020, la sortie du Royaume-Uni ne sera pas sans conséquence pour les entreprises françaises. Thierry Fournier, Directeur Associé du cabinet EIM, fait le point sur les principaux risques et sur les moyens de s’en prémunir.

Quelles vont être les perturbations à court terme pour les entreprises françaises ?

Thierry Fournier : La principale perturbation va être visible dans la supply chain, c’est-à-dire dans le transport des marchandises « cross-channel » et leur entreposage. Les procédures de contrôle douaniers qui vont être ré-installées après le Brexit vont ralentir le flux de transport. Les entreprises ayant mis en place des schémas logistiques de juste à temps ou de stocks réduits au minimum vont être exposées à des ruptures de stocks, et des arrêts possibles de production ou de distribution en points de vente. Elles vont devoir constituer des stocks de l’autre côté de la Manche. Les capacités des transporteurs sont prises d’assaut et les entrepôts de chaque côté de la manche sont déjà saturés.

Quel est l’état de préparation des entreprises françaises ? 

Faible en général. A l’exception des grandes sociétés qui ont des équipes « corporate » capables de se pencher sur le sujet (direction de la stratégie ou du développement, par exemple), les entreprises n’ont pas pris en main ce sujet, hors celui immédiat de la supply chain.

Quelles vont être les conséquences de la mise en place de contrôles douaniers aux frontières ? 

Les pouvoirs publics vont devoir instaurer des priorités de chargement des transporteurs (produits pharmaceutiques, alimentaires…) pour tenter de réguler un tant soit peu la concurrence que vont se livrer les clients de transporteurs pour obtenir les meilleures capacités. Les pouvoirs publics vont vouloir réserver des capacités de transport aux produits « stratégiques » et pas seulement aux entreprises qui ont le plus de moyens.

Comment la chaîne logistique de l’entreprise peut-elle être impactée ?

D’abord l’approvisionnement auprès des fournisseurs. Si ceux-ci n’ont pas réussi à sécuriser leurs flux logistiques vers l’entreprise, le risque augmente de rupture de stock et donc de production. Les entreprises, par prudence, ont constitué des stocks de sécurité (environ 7 jours de consommation). En aval de la production, la livraison chez les clients peut également être impactée. Là aussi, la constitution de stocks de sécurité chez le client est souvent discutée et mise en place. En conséquence, aujourd’hui, les capacités de stockage en Angleterre à proximité des ports de débarquement semblent saturées.

Quel serait le rôle d’un Chief Brexit Officer (CBxO) au sein des entreprises et quelle serait l’étendue de ses missions ?

Il a trois missions essentielles :

  • La première est de sécuriser les opérations courantes, notamment les flux logistiques.
  • La deuxième est une réflexion à 18-24 mois sur le dispositif opérationnel de l’entreprise. Il consiste à évaluer les besoins de modifier le portefeuille de fournisseurs. Certains fournisseurs vont devenir trop cher si les droits de douane sont appliqués. Ou leurs approvisionnements vont devenir risqués s’ils sont soumis aux contrôles douaniers nouveaux. Faut-il passer d’un fournisseur à un autre ? Ou peut-on obtenir l’agrément de ce fournisseur britannique dans l’UE ? Même analyse à mener auprès des clients auprès desquels les produits de l’entreprise vont perdre en compétitivité s’ils sont soumis à droits de douane.

La réflexion doit également porter sur l’implantation des sites de production (ou de R&D) : produire au Royaume-Uni à partir de produits venus de l’UE et ré-exporter ces produits vers l’UE peut rendre l’opération « hors marché » en coût comme en délai… Même réflexion sur la politique de RH si l’entreprise emploie des britanniques en UE et inversement. Faut-il réduire ces recrutement « cross border » ? Comment assurer une retraite et une couverture santé semblable à celle qui existait jusqu’alors ?

Finalement, au niveau juridique, il va falloir revoir les contrats et les règles de RGPD, en particulier quand l’entreprise a un fournisseur de services au Royaume-Uni qui pourrait ne pas être soumis aux règles de l’UE dans la matière…

  • La troisième mission est d’identifier les opportunités de prise de marché d’un concurrent qui serait affecté par le Brexit — même si l’entreprise ne l’est pas. Il convient également d’identifier les fournisseurs qui pourront souffrir particulièrement du Brexit et discuter avec eux pour les aider à surmonter ce sujet… en échange d’un avantage pour l’entreprise !

Est-il encore temps de se doter d’un CBxO ? 

Bien sûr. Les entreprises n’ont pas démarré ce travail de revue stratégique de cet évènement. Les choses vont aller vite désormais. En principe, fin janvier 2020, le Brexit sera voté par le Parlement anglais. Et la sortie est prévue pour fin décembre 2020… ce qui représente un challenge extraordinaire pour les négociateurs qui vont procéder secteur par secteur : chimie, pêche, pharmacie… Chacun de ces secteurs englobe des problématiques complexes. Faute d’accord de négociation fin 2020, ce sont les règles de l’OMC qui s’imposeront.

La recommandation est d’évaluer d’abord le niveau d’exposition au Brexit. En première phase, il s’agit d’évaluer le risque qui pèse sur l’entreprise. Puis concevoir la feuille de route pour s’y adapter. L’idéal est de travailler par scénario : 1) le deal est proche de la situation actuelle prévalant dans l’UE 2) le deal aboutit aux règles de l’OMC 3) il y a un scénario intermédiaire entre ces deux voies que les négociateurs britanniques et de l’UE sont capables de mettre en place d’ici fin 2020.

Quelles entreprises bénéficieraient le plus des atouts d’un Chief Brexit Officer ?

Les ETI bien sûr. Elles ont beaucoup à perdre et elles n’ont pas les moyens en interne de mener ce travail.

Quelles seraient ses relations avec les différentes parties prenantes de l’entreprise ?

Il serait chef d’un projet collectif, en charge de faire travailler l’ensemble des fonctions de l’entreprise sur les sujets du Brexit. Il doit les emmener dans cette réflexion, leur donner envie de s’y pencher, de trouver des solutions, d’être inventifs. C’est un animateur d’équipe. Qui n’a pas de responsabilité opérationnelle.

Quelle serait la durée moyenne de sa mission ? 

6 à 12 mois selon la complexité de la situation et la taille de l’entreprise.

Quel type de profil rechercher pour se doter d’un Chief Brexit Officer ? Doit-on chercher du côté des profils juridiques et compliance, logistiques, financiers, ou vers des profils de directeurs généraux ?

Un directeur général. Ce doit être un manager qui a une connaissance intime du secteur de l’entreprise concernée, une solide connaissance du Royaume-Uni pour y avoir travaillé. Il doit également avoir tenu un rôle de DG pour être capable d’appréhender les différentes fonctions de l’entreprise et avoir une vision opérationnelle du quotidien comme une vision stratégique à 18-24 mois. Et surtout, il doit être un leader, un « patron », qui saura créer une dynamique avec les équipes, qui aura le « drive » de les mettre au travail alors même qu’il n’a pas d’autorité hiérarchique sur elles.

Quel risque court une entreprise qui ne se doterait pas d’un tel profil à court terme ?

De courir derrière ses concurrents qui se seront adaptés plus vite au nouvel environnement réglementaire. Elle risque de perdre des clients et des opportunités de « faire des coups » astucieux. Ce niveau de risque est précisément ce qu’il faut établir en première phase.

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