Il n’est pas là pour annoncer des bonnes nouvelles, le président du groupe LR au Sénat. Et alors ? À 60 ans, Bruno Retailleau trace sa route sans céder en rien à la démagogie. C’est peut-être ce que les Français attendent après tant de décennies aux multiples dérives.
Comment appréciez-vous la gestion de la crise ?
Bruno Retailleau : Nous sommes dans une course contre la montre : les pays qui s’en sortiront le plus vite et qui bénéficieront d’une reprise seront ceux qui auront le mieux géré la crise sanitaire. La France, elle, a accumulé les ratés, des masques jusqu’à la vaccination. Ces ratés dans la gestion épidémique se paieront en retards sur la reprise économique. Le quoi qu’il en coûte a perfusé des aides par milliards, mais le danger viendra quand on devra débrancher cette perfusion. A ce moment-là, nous serons plus fragiles que les autres, car nous aurons plus souffert de cette crise que les autres, en raison de tous ces ratés.
Quelles mesures économiques d’urgence préconisez-vous à court terme ?
B.R. : La mesure d’urgence que je préconise, si on ne veut pas massacrer des pans entiers de notre appareil productif, c’est de transformer les prêts garantis par l’Etat (PGE) en fonds propres par le biais de prêts participatifs. Et pour les salariés, et notamment les jeunes, je suis pour qu’on prolonge les exonérations de charges, que ce soit sur l’apprentissage ou sur les premières embauches.
A plus long terme, comment changer durablement la donne et relancer toute notre économie ?
B.R. : On parle beaucoup de relance. Bien sûr, il faut des outils, des investissements, pour faire redémarrer l’activité. C’est une nécessité. Mais ce qui est nécessaire n’est pas pour autant suffisant. Et la vérité, c’est que pour redresser la France, la relance ne suffira pas. Car on ne relance pas un moteur qui est cassé. Ce moteur, il faut en changer. On a voulu faire de la dette et de la redistribution le seul moteur de la croissance française, en abandonnant l’industrie, le modèle entrepreneurial, le travail qui paie : on voit bien que cela ne marche pas ! Plutôt que de relancer, en faisant comme avant, en redistribuant sans réformer, il faut reconstruire. Je propose un pacte de reconstruction.
En quoi consiste ce nouveau « pacte de reconstruction » que vous proposez aux Français ?
B.R. : Il s’agit de reconstruire, d’une part, les relations entre l’entreprise et les salariés et, d’autre part, les relations entre l’Etat et la société. Pour les relations entre entreprises et salariés, nous devons renforcer notre socle de compétitivité. L’Etat a payé son train de vie en surtaxant les entreprises. 18% de PIB que les entreprises supportent en France contre 12% en Europe, soit une différence de 150 milliards d’euros ! Il faut donc continuer à baisser massivement les impôts de production. Il faut également un système de crédit d’impôts pour la modernisation de notre appareil de production, parce que la robotisation n’est pas suffisamment avancée et qu’il faut parier sur l’industrie du futur.
Il faut aussi remanier au plus vite les droits de succession sur les entreprises familiales au risque de les voir se vendre à des groupes étrangers, car nos PME et nos ETI sont notre richesse. Et enfin, on doit s’atteler à notre socle normatif en réduisant toutes les normes qui ne servent à rien dans notre pays et faire comme les Anglais qui en quelques années ont réduit les normes imposées à leurs entreprises, permettant d’économiser 12,5 milliards d’euros.
Et du côté des salariés ?
B.R. : Il faut que le travail paie plus. Le coût du travail en France est similaire à celui de l’Allemagne, mais il reste moins dans la poche de nos salariés. Je propose notamment pour tous les salariés actuellement autour du smic l’équivalent d’un treizième mois grâce à l’augmentation du temps de travail, soit d’emblée avec une négociation salariale, soit, s’il n’y a pas d’accord, avec la défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires. Je souhaite qu’on puisse également généraliser l’intéressement sur le bénéfice.
Cela veut dire des salariés qui seront mieux payés, mieux associés et mieux formés. Il faut promouvoir un capitalisme participatif, autour de trois piliers : premièrement, une prime pour les salariés sur les bénéfices avec zéro charge dans la limite de 5000 euros par an et par salarié, deuxièmement la simplification du mécanisme de participation et d’intéressement avec la suppression du forfait social et le déblocage immédiat pour le salarié de 500 euros, et troisièmement, le développement de l’actionnariat salarié, afin que les entreprises puissent transmettre à titre gratuit jusqu’à 15% de leur capital, à la condition que le salarié s’engage à bloquer ses actions dans l’entreprise pendant 7 ans.
Cela passe aussi selon vous par une profonde réforme de la formation ?
B.R. : Oui, c’est fondamental. Au cœur des relations entreprises-salariés mais aussi de la compétitivité de nos entreprises, il y a en effet le point crucial de la formation. La France a le déficit commercial le plus massif en Europe. Quand on nous compare aux autres pays de l’UE, nous sommes l’un des pays avec l’Italie qui a le coût du travail le plus élevé et la compétence de la population active la plus faible. C’est dans ce couple « coût du travail – qualification » que se joue notre compétitivité. Il va donc falloir faire un choc de qualification, d’abord en transformant les dépenses passives du chômage en dépenses actives. Pour cela, je propose des formations courtes de 400 heures et je suis favorable à ce que les revenus d’assistance soient plafonnés à 80% du smic.
Enfin, il nous faut un système de formation dual en France : d’un côté l’éducation générale et de l’autre une éducation par alternance pour favoriser l’apprentissage et développer les métiers de l’intelligence de l’esprit, de l’intelligence du cœur et de l’intelligence de la main. L’intelligence a plusieurs expressions. Chaque homme et chaque femme a un trésor de talents qu’il ou elle doit pouvoir exprimer. Notre système éducatif actuel est en train de tuer beaucoup trop de talents. Nous pouvons redevenir une grande nation scientifique. En 2012, nous étions à la 6e place du classement pour la recherche scientifique. Désormais, nous avons quitté le top 10. Il faut nous mobiliser pour réveiller ce génie français !
Et quid des relations Etat-société ?
B.R. : Alors que nous sommes les champions du monde de la dépense publique, les Français ont découvert pendant la crise que nos hôpitaux sont sous-équipés, nos personnels soignants mal payés, tout comme à l’école avec nos enseignants d’ailleurs. Je veux porter cette idée que l’Etat doit se concentrer sur ses missions et laisser plus de place à la société pour que l’on parvienne à une société de confiance. Cela veut dire un Etat plus efficace qui doit porter les grands projets, tout en réduisant la dépense publique. L’argent de l’Etat, c’est l’argent des gens ! Je veux que les gens en aient pour leur argent.
Oui mais comment baisser la dépense publique ?
B.R. : Premier exemple, le taux d’encadrement administratif de l’hôpital en France est de 34%. En Allemagne, il est de 25%. La différence entre les deux, c’est 120 000 postes. On peut les réaffecter en grande partie pour le personnel soignant. Deuxième exemple, on peut faire converger le temps de travail dans le public avec le temps de travail dans le privé ; l’écart est de 8%. Je propose qu’une partie de ces sommes gagnées puisse être réaffectée pour mieux rémunérer la fonction publique. Je souhaite que le statut d’emploi à vie ne soit plus la règle dans la fonction publique mais qu’il devienne l’exception. Par ailleurs, on a environ 500 agences publiques et observatoires en France. Je souhaite qu’il y ait un grand désherbage, surtout qu’elles ont occasionné en dix ans un recrutement de 250 000 personnels de plus, ce qui n’est pas normal.
Quelle est votre vision du rôle de l’Etat ?
B.R. : Je veux un Etat qui à nouveau se projette dans le long terme, qui ait une vision, qui porte des projets et qui se recentre sur le régalien, comme à l’époque du Général de Gaulle et de Georges Pompidou. Il faut un Etat au service de la compétitivité, avec un grand ministère de l’Industrie séparé du ministère des Finances auquel l’Energie serait rattachée. Il faudra un fonds souverain dédié notamment à tous les secteurs d’avenir – numérique, robotique, énergies renouvelables, développement durable… – alimenté à la fois par la participation des grands groupes de l’Etat mais aussi par l’épargne des Français. Et je souhaite qu’il y ait un effort de recherche et qu’on crée un statut spécial pour les chercheurs pour attirer les talents et surtout les garder. Il faut donc un Etat efficace. Mais l’Etat ne peut pas décider de tout et la société ne doit pas compter pour rien.
Quid de la décentralisation et de la participation citoyenne ?
B.R. : Cette société de confiance, je veux la bâtir autour d’une société d’initiatives où l’on redonne de la liberté à l’échelon local. Car la confiance se construit dans la proximité. C’est aussi la liberté de citoyens responsables. Je propose notamment un impôt participatif où chaque citoyen tous les ans pourra affecter 5% de son impôt sur des politiques publiques qu’il juge essentielles comme la transition écologique par exemple. Il faut arrêter de penser que l’Etat a le monopole de la solidarité verticale. Il faut aussi encourager une entraide et penser aux associations. Il y a 13 millions de bénévoles en France. C’est une de nos grandes armatures qui renforce la cohésion de notre société. D’où l’intérêt de reconnaître qu’un don peut être fait en argent ou en temps.
L’Etat n’a pas non plus le monopole de l’intérêt général, je pense donc que des entreprises ou des associations peuvent, par la voie des délégations de service public par exemple, assumer des missions de service public. Enfin, il faut refonder notre paritarisme. Emmanuel Macron a étatisé notre modèle social en évacuant les syndicats. Il faut donc refonder un syndicalisme plus proche des salariés, moins politisé. Je pense notamment que l’AGIRC-ARCO a été mieux géré que le régime général par l’Etat. Vous l’aurez compris, il ne faut plus un Etat qui agisse pour son seul compte, mais un Etat qui soit vraiment au service de la Nation.
Que dire du rôle de l’Europe et de son rapport avec les états membres ?
B.R. : Il y a une autre relation à nouer entre l’Europe et les Nations. L’Europe fédérale, ça ne marche pas. On en a des exemples tous les jours, que ce soit sur la vaccination ou en matière de politique étrangère. Il ne faut pas que l’Europe soit le marche-pied de la mondialisation, mais qu’elle soit au service des Nations et des Etats. Il faut qu’on change la politique de la concurrence, qu’on en revienne à la préférence communautaire. Pour l’achat public, je propose que pendant les deux années de sortie de crise, il puisse y avoir des clauses d’exemption pour que les achats puissent être de proximité.
Si nous voulons réarmer les entreprises européennes dans la mondialisation, il y a deux logiciels à changer : celui du droit des concurrences et celui du libre-échange. Par ailleurs, il faut une taxe carbone pour lutter contre le dumping environnemental et social.
On parle souvent d’une exception entrepreneuriale vendéenne. Qu’est-ce qui fait la force de votre terroir de Vendée dont vous êtes sénateur ?
B.R. : La Vendée, c’est un message. Et ce message, c’est que les succès économiques ne résident pas dans des conditions matérielles. Longtemps, la Vendée a été un des départements les plus enclavés. C’est aussi sur les terres les plus pauvres de Vendée que l’agriculture la plus dynamique a pu se développer. Qu’est-ce qui fait la différence ? Non pas les facteurs matériels, mais l’immatériel, la culture. La Vendée, c’est une partie du Mittelstand français ; ce sont des entreprises, PME, ETI, souvent familiales, mais ce sont aussi des valeurs forgées par notre histoire : la résistance à l’adversité mais aussi le goût des autres. C’est à la fois en Vendée que vous avez le plus d’entreprises et le plus d’associations au nombre d’habitants. C’est aussi l’un des départements champions pour le don du sang.
Quelle est la leçon ? C’est que la société de confiance dont je vous parlais s’épanouit sur des qualités humaines et collectives. Le degré de cohérence et de cohésion d’une société est un élément de compétitivité. C’est important aujourd’hui, car jamais la France n’a été autant fragmentée. Quels que soient les centaines de milliards du plan de relance, quelles que soient les baisses d’impôts, il n’y aura pas d’avenir et de rebond économique si nous ne retrouvons pas une forme de fierté française. C’est ce que m’a enseigné mon terroir vendéen !
Quelle stratégie allez-vous adopter avec Les Républicains pour éviter un nouveau duel Macron-Le Pen au 2e tour des présidentielles de 2022 ?
B.R. : Je pense que la situation est grave et que nous sommes à la croisée des chemins pour notre Histoire. Le duel Macron-Le Pen, ce n’est pas seulement une impasse politique, c’est aussi une impasse d’avenir. Il va falloir renverser la table et je pense que la droite, peut fournir non seulement une alternative, mais aussi et surtout une nouvelle espérance. A la condition qu’on puisse présenter une équipe de France. Je pense que les échappées individuelles, comme Emmanuel Macron l’a montré, ne vont jamais très loin, même si elles peuvent suffire à gagner l’élection présidentielle. Mais là, il ne s’agit pas seulement de gagner la présidentielle, il s’agit avant tout de relever la France.
Etes-vous pour des primaires à droite ?
B.R. : La Primaire est un impératif car ce n’est pas seulement le choix d’un candidat, mais aussi d’une ligne politique, d’un projet, qu’il faut trancher. Et c’est surtout cette idée qu’à l’issue du choix, il y ait la possibilité de proposer une équipe de France. Si nous choisissons un projet solide, portée par une équipe soudée, là nous serons crédibles, là, nous battrons Emmanuel Macron au premier tour et Marine Le Pen au deuxième tour.
Serez-vous personnellement candidat aux primaires ?
B.R. : Mon combat, c’est de faire en sorte que mes convictions gagnent, donc bien sûr que je serai candidat à la primaire, et à constituer cette équipe de France que j’appelle de tous mes vœux.
Quel message souhaitez-vous adresser aux Français qui nous
lisent ?
B.R. : Beaucoup de Français ont vécu cette période de crise avec un sentiment d’humiliation, une sorte de blessure à leur fierté française lorsqu’ils ont constaté que nous manquions de tout… Ils ont sans doute une tentation de retrait ou de replis, d’abstention ou de protestation. En tous cas, ils ressentent une profonde déception de la politique. Je pense cependant que nous pouvons être optimistes, car dans l’histoire récente, bien des pays qui ont connu des difficultés, ont su rebondir grâce à des décisions politiques courageuses. J’y crois, mais pour y arriver, il faut décider ensemble.
Propos recueillis par Valérie Loctin