La France est sans doute un des pays démocratiques qui se caractérise par la plus forte présence de l’État. D’abord pour des raisons historiques – l’unification en royaume dès la fin du 13ème siècle et une longue succession de dynasties et de nombreuses révolutions, là où l’Allemagne n’a connu qu’un siècle d’unité.
Ensuite pour des raisons de centralisation du pouvoir et des décisions à la Cour des rois successifs, puis à Paris (là où en Allemagne Berlin n’a été que la capitale de la Prusse et où beaucoup de compétences ont été décentralisées après la deuxième guerre mondiale dans les Länder, pour éviter la reconstruction d’un pouvoir central trop puissant). Enfin pour des raisons d’origine presque exclusivement parisienne des classes politiques, encore aujourd’hui largement dominées par les diplômés de l’ENA et les « grandes écoles » parisiennes – là où l’Allemagne ne connaît que des universités, pour la majorité, équivalentes.
Logiquement la France affiche actuellement un des taux de dépenses publiques parmi les plus élevés d’Europe (59,2% du PIB) avec, comme poste le plus important, les dépenses sociales (retraite, santé, chômage) Et, au niveau du budget de fonctionnement, une concentration des dépenses trop importante au niveau national et insuffisante pour les budgets décentralisés (départements, régions, etc.).
Le « grand débat » a clairement montré un dilemme qu’il sera difficile mais indispensable à trancher : les Français, très attachés à leurs services publics, veulent moins d’impôts et de taxes, mais autant, voire plus de services de qualité. Or, pour s’en sortir, la France n’a pas d’autre choix que de tailler dans ses dépenses et son train de vie. Et toute mesure d’économies, indispensables, passe obligatoirement, au-delà d’une très forte amélioration de l’efficacité des services administratifs, par l’abandon de certaines prestations délivrées aujourd’hui par des agents de la fonction publique. Certes, la tendance de l’administration à transférer au citoyen la conduite de certaines démarches est déjà en route : par exemple, pour les documents administratifs en Préfecture ; pour la déclaration fiscale et le paiement des impôts par internet. Mais également la volonté de renoncer au recouvrement de certaines redevances trop coûteuses, comme la redevance audiovisuelle ou la taxe sur les voitures.
Mais tout cela ne touche pas le cœur du problème : la nécessité de redéfinir le périmètre, les domaines de compétence de l’Etat, et la répartition entre le pouvoir central et les structures décentralisées, régionales (départements, régions) et locales (villes, communautés urbaines). Il est donc désormais indispensable de prendre du recul et de lancer les « Etats Généraux du rôle et des services de l’Etat ». Etablir une hiérarchisation et un classement entre les services considérés comme indispensables, simplement souhaitables ou susceptibles d’être sous-traités ou supprimés – en s’instruisant également de l ‘expérience des pays scandinaves à forte présence de l’Etat, mais avec des coûts bien inférieurs à la France, ou de la Suisse, où la concurrence entre cantons et leur niveau d’impôts, freine les dépenses. Et, une fois ce classement établi, redéfinir la répartition des prestations entre le pouvoir central, régional et local, en commençant par le niveau le plus décentralisé et les fonctions et services qu’il peut assurer. Moins de couches pour le mille-feuille politique et surtout pas de création de couches supplémentaires comme, il n’y a pas encore très longtemps, à Paris.[1] Pas besoin, partout et sur tous les sujets, d’une Education, d’une Justice, d’une Culture et même d’une Police « Nationale », mais d’une nécessité de proximité de terrain susceptible de s’adapter aux particularités régionales et locales souvent fortement différentes.
Le COVID a incontestablement montré les faiblesses d’une gestion de crise totalement centralisée de la France. « Dans cette crise, le réflexe de l’administration a été de n’aider en rien mais de régenter tout…Les bureaucrates n’ont eu de cesse de s’abriter derrière les lignes Maginot de réglementations dictées depuis Paris ».[2] Là où les pouvoirs publics ont géré les écoles, les entreprises et les confinements de manière identique entre le grand Est et la région parisienne, centres de l’épidémie, et la Bretagne et la Creuse, beaucoup moins touchées. Même si, par la suite, le gouvernement a recherché davantage de différentiation régionale. Et tout le monde se rappelle encore des documents absurdes des « autorisations de sortie auto-remplies » et des choix multiples en termes de justificatifs, ainsi que du manuel ultra épais d’organisation de la rentrée des classes après COVID…
Si à la lumière de cette expérience, le Président de la République ne souhaitait réussir qu’une réforme « historique » et très faisable (un référendum conduirait à une majorité importante…), il devrait se battre pour une vraie décentralisation de la France. Admettons que l’absence d’une réforme de l’Etat est un échec important du quinquennat d’Emmanuel Macron comme de ses prédécesseurs.
Entendons-nous : il n’est pas question de transformer la France en Etat fédéral, comme l’Allemagne, ni de privatiser les services publics « à l’anglaise ». Mais de réduire très sérieusement le nombre de communes et d’en terminer avec le mille-feuille administratif au profit d’une seule structure régionale, donc la disparition pure et simple des départements et de leurs 4000 conseillers, et le rattachement de toutes les fonctions non régaliennes aux régions. Et bien sûr, en dotant cette structure de moyens financiers nettement supérieurs au détriment des structures nationales parisiennes…Voilà un schéma directeur pour les états généraux sur la future structure des services publics. De là à s’imaginer une chambre représentative régionale…
Malheureusement, « si vous pensez, comme une grande majorité des Français, qu’une réelle décentralisation est indispensable, soyez persuadés qu’elle ne pourra jamais se réaliser dans le cadre de nos institutions, car elle ne viendra jamais au bout d’une résistance aussi forcenée qu’irraisonnée de l’appareil d’Etat. »[3]
De très nombreuses initiatives, même émanant de Présidents de la République, visant à combattre la bureaucratie sont restées sans effet : comme la création de la Commission pour la simplification des formalités en 1983 ou celle du Secrétariat d’Etat à la Transformation Publique de 2020 ou les Assises de la simplification de Nicolas Sarkozy en 2011 et le « Choc de la simplification » annoncé par François Hollande en 2013.
Or quel que soit le responsable politique, en plus souvent nouveau dans son mandat, initiateur de l’initiative…rien ne bouge sans la coopération du corps des fonctionnaires, souvent en place depuis longtemps et réticent à tout changement et surtout incapable de décider son auto-disparition.
Plusieurs Ministres, dont Thierry Mandon, portant pourtant dans son titre la mission de la « simplification administrative », s’y sont attachés sans résultats significatifs. Alors comment s’en sortir ? Par annoncer comme cap des réformes, la volonté de se fonder sur la liberté et la responsabilité individuelles de citoyens « majeurs » ou éducables. Puis, non seulement par réduire de façon conséquente le nombre de fonctionnaires dépendant d’administrations « centrales » ou d’autorités de coordination et de surveillance (à l’Education Nationale, au Ministère et aux Agences Régionales de la Santé, etc.) ou, au moins, par les envoyer sur le terrain, dans les classes des écoles et les services des hôpitaux, etc. En confiant à des représentants de la société civile, qualifiés pour leur bon sens, leur proximité du terrain, leur habitude de trouver des solutions pragmatiques et leur rejet du principe de précaution, le toilettage, voire la suppression des normes, réglementations et autres procédures. Et en instaurant pour le citoyen, comme pour la déclaration des impôts, un « droit à l’erreur », reconnu par les administrations sauf pour les cas d’abus de droit flagrants.
Les résistances les plus virulentes contre tous ces changements proviendront, sans aucun doute, des refus des détenteurs des postes actuels. Car ces changements impliquent un immense plan de redéploiement des fonctionnaires et des agents non-titulaires de l’Etat. Ce plan, mené par une Direction des Ressources Humaines, considérablement renforcée à cette occasion, comportera, dans un souci de mobilité accrue, des programmes de réorientation et de formation très importants ainsi que des incitations financières fortes à la mobilité. Il prendra forcément au moins une dizaine d’années…surtout – ce qui est souhaitable mais représente un autre défi – s’il coïncide avec une réforme du statut de la fonction publique et du nombre des fonctionnaires (avec ou sans changements pour les agents titulaires aujourd’hui en poste, mais des modifications importantes pour les nouveaux arrivés).
Une autre évolution du rôle et de la perception de l’Etat français, même si elle prendra probablement plusieurs générations, est aussi indispensable : la fin de l’Etat Providence. Le sens du social et de la solidarité, quoiqu’on dise, existe aussi en Allemagne. De « l’économie de marché sociale » (soziale Marktwirtschaft), inventée par Ludwig Erhard, Ministre de l’Economie dans le gouvernement de Konrad Adenauer, à la politique d’Angela Merkel, souvent au moins aussi sociale que celle des sociaux-démocrates, (d’où leur difficulté de se démarquer et de profiter de leur participation à plusieurs gouvernements de grande coalition), l’Etat se veut protecteur des plus faibles et des plus malchanceux. Mais il y a une différence de taille avec la France : celle de venir en aide seulement à ceux qui, de prime abord, ont essayé de toutes leurs forces de s’en sortir tout seul et dont la situation est restée, malgré tout, précaire. Très différent d’une situation en France, où de plus en plus de personnes en difficulté commencent par réclamer « leur droit », où « l’Etat leur doit » une assistance – si ce n’est pas, en plus, sa faute qu’ils soient dans la détresse.
Prenons, par exemple, le traitement des immigrés, dont l’Allemagne a accueilli environ 1,2 millions entre 2016 et 2017 : dès l’arrivée on commence par leur faire apprendre la langue et, s’ils n’en disposent pas déjà, à leur donner une formation, un « apprentissage pour adultes », condition indispensable pour trouver un emploi. Sur un plan financier et des droits (aux soins de santé, au logement, à l’aide sociale, etc.) leur prise en charge est assez modeste et progressive. En France, on commence par les informer sur leurs différents droits et aides.
Pas surprenant qu’au niveau des dépenses de l’Etat français, les prestations sociales – chômage, santé, vieillesse et autres prestations représentent la partie la plus importante du budget national. Et leur croissance a creusé un écart très important par rapport à une Allemagne qui, il y a environ 15 ans, se trouvait presque au même niveau que la France, mais dépense aujourd’hui seulement 46% du PIB, et qui a su faire des économies sans détériorer significativement le niveau de ses prestations.
Le calcul est révélateur : avec le même taux de dépenses sociales en pourcentage du PIB que l’Allemagne, la France ferait des économies de plus de 200 milliards d’euros par an ! Soyons réalistes : avec ses déficits budgétaires éternels et son taux d’endettement de 115% du PIB, la France ne peut plus se comporter en Etat de Providence.
[1]Coexistence et concurrence entre la région, le département, le regroupement de communautés d’agglomération et, de création récente, le « grand Paris »
[2]Isabelle Saporta « Rendez-nous la France », Ed. Fayard, 2020
[3]Nicolas Baverez dans Challenges en date du 18/2/2021
Axel Rückert
Extraits du livre Faire réussir la France que j’aime, propositions du plus Français des Allemands, disponible sur www.fairereussirlafrancequejaime.com ou sur Amazon