Comment Ludovic du Plessis a convaincu le groupe Rémy Cointreau et Leonardo DiCaprio de devenir actionnaires de Champagne Telmont pour soutenir ses projets ambitieux de développement durable ?
Comment avez-vous démarré votre carrière dans le monde du vin ?
Ludovic du Plessis : Par des rencontres. Toute ma carrière a été faite de rencontres. Je suis un amoureux de la gastronomie, des vins et spiritueux. C’est mon grand-père qui a fait mon éducation sur ce terrain, il avait le premier restaurant de Saint Martin, le Mini-Club, et j’ai eu la chance d’y aller régulièrement et de pouvoir déguster de grands crus. Sinon, je suis un Parisien, passé par les Jésuites, puis étudiant à Dauphine. Pour mon VSNE, j’ai choisi une mission de promotion des Côtes-de-Provence rosés en Hollande.
Lorsque je suis rentré à Paris pour chercher un job, je suis entré chez Altadis, le spécialiste du cigare. Après 4 ans, j’ai organisé un événement cigare-champagne pour le top 10 des clients collectionneurs. Pour se marier au cigare cubain de Trinidad, j’ai contacté Dom Pérignon qui a été séduit par le concept et a envoyé son chef de cave. C’était Richard Geoffroy, un « Monsieur », le pape de la Champagne, une légende, plus de vingt ans chef de cave chez Dom Pérignon. Il a aujourd’hui lancé son saké.
Lorsqu’il prend le micro, je tombe amoureux de son charisme, de sa vision, je voulais démissionner immédiatement pour partir travailler avec lui. Plus pragmatique, il m’a conseillé de chercher tranquillement un poste dans le vin. C’est en cherchant sur internet que j’ai trouvé le job de chef de produit Dom Pérignon pour la France. Ce fut une histoire d’amour de dix années, dont cinq passées aux États-Unis. Ensuite, le groupe Rémy Cointreau m’a appelé pour m’embaucher, me proposant un défi formidable auprès de la Maison Louis XIII, je suis donc rentré en France avec femme et enfants.
Comment est née l’envie de vous lancer dans l’entrepreneuriat ?
A 45 ans, je me suis posé la question de savoir ce que voulais faire de ma vie, dans quoi je souhaitais investir pour le laisser à mes enfants. J’ai décidé de prendre mon bâton de pèlerin en région Champagne pour tenter de trouver une maison à racheter. Autant dire que c’était vraiment très compliqué jusqu’à ce que je tombe amoureux de J. de Telmont.
Pour quelles raisons ?
Il y avait 4 raisons. Il s’agissait d’abord d’une maison centenaire, puis d’une maison familiale. Ensuite, les vins bien entendu, pourtant j’en ai goûtés, mais j’ai été bluffé par le non millésimé, un corps sublime, aérien, de fines bulles, un vrai coup de cœur. Et enfin, la démarche de Bertrand Lhôpital qui avait déjà ses propres parcelles en biologique. Un travail très séduisant, harassant et complexe. J’ai donc adoré le projet prévu pour tout passer en bio, et j’ai réussi à convaincre Bertrand de vendre (tout en restant actionnaire).
J’ai rencontré la famille propriétaire du groupe Rémy Cointreau, et lui ai proposé de revenir dans le Champagne, ce qu’elle a accepté à la condition d’être majoritaire. Au départ, je voulais être entrepreneur et je suis finalement intrapreneur. Il est absolument fabuleux qu’un groupe de 1800 personnes comme Rémy Cointreau aux valeurs fortes m’ait donné la possibilité de conduire mon projet de vie au sein du groupe.
Le domaine est certifié Agriculture Biologique depuis 2017, en quoi le virage biologique est-il nécessaire ?
Chez Telmont, chaque action doit avoir du sens, nous sommes dans une démarche non pas de compensation, mais de réduction de l’empreinte carbone. Notre mantra est : « le vin est bon, si la terre est belle ». Notre stratégie dénommée « Au Nom de la Terre » s’articule autour de 5 axes depuis juin dernier. Premièrement, 100% des vignes en agriculture biologique.
Alors que seul 4% du champagne est certifié bio. On dit que nous sommes fous, nous pensons au contraire qu’il serait fou de ne pas y aller. Deuxièmement, pas d’emballage, on vend du champagne, pas des coffrets. Une caisse de transport pour la bouteille, c’est tout. J’espère que cette démarche pionnière deviendra un vrai mouvement dans toute la Champagne. D’autant que cela n’a aucunement impacté nos ventes y compris pendant les fêtes, nous n’avons que des retours positifs sur les ventes.
C’est une décision de bon sens. Idem pour la bouteille. La verte est faite de 85% de verre recyclé, contrairement au verre blanc. Depuis l’an dernier, les mises en bouteilles se font toutes dans du verre vert, y compris le rosé et le Blanc de Blanc. Nous avons aussi entamé une démarche expérimentale avec la récupération des bouteilles dans un rayon de 100 kms pour les laver et les transférer ensuite pour la fabrication du cidre.
Comment avez-vous convaincu Leonardo DiCaprio de devenir actionnaire de Champagne Telmont ?
J’ai la chance de connaitre Leonardo DiCaprio depuis quinze ans, nous avons une relation de confiance. Il y a deux ans, je lui avais parlé de mon projet Telmont, cela avait déjà suscité son intérêt. Mais il faut comprendre qu’il n’est en aucun cas une égérie, mais un investisseur. Il croit totalement au projet « Au Nom de la Terre » et en parlera évidemment, mais ce n’est pas la raison de sa participation. On voit que si le projet a du sens, cela ouvre toutes les portes. Quand il a donné son accord, j’étais fier pour notre Maison, pour notre Champagne, et pour la France. Vive la France !
Vos ventes se font-elles principalement à l’étranger ?
Essentiellement aux États-Unis, au Japon, puis en Grande-Bretagne et en France. 90% des ventes se font à l’export via les distributeurs du groupe Rémy Cointreau. Le côté bio est un argument car les ventes augmentent sur ce segment, même si nous ne savons pas ce que voudra dire bio dans cinq ans, cela évolue rapidement. Je ne me positionne pas comme un militant, nous y allons avec humilité, nous allons réussir et rater des choses.
Peut-être que certaines parcelles ne pourront pas être modifiées. Il n’y a pas lieu d’être donneur de leçons, car la Champagne a déjà fait un grand travail environnemental et on ne le dit pas assez, avec les démarches HVE, la réduction du poids de la bouteille de 900 à 835g, bravo !
Comment travaille-t-on chez Telmont et quelle est votre ambition à 10 ans ?
La Maison Telmont est une startup centenaire, un pied gauche dans la tradition, un pied droit dans la modernité, et les deux bien ancrés dans la terre. Nous travaillons en équipe, à 17, nous sommes tous polyvalents, on touche à tout. Bertrand est bien sûr plus sur la vigne, mais donne son avis sur les autres domaines quels qu’ils soient. Si nous pouvions doubler les ventes, en passant à 800 000 bouteilles, cela serait vraiment une belle réussite.
Anne Florin