Riche d’une incroyable diversité, l’Hexagone dispose de milliers d’entrepreneurs issus de l’immigration en train de construire la France de demain.
L’ascenseur social n’est pas encore en panne en France. L’économiste Lotfi Bel-Hadj sait que cette génération «franco-musulmane» est bourrée de talent et prête à s’investir, notamment dans l’entrepreneuriat. «Aujourd’hui, de nombreux réseaux existent pour contourner les éventuelles difficultés imposées par le fait d’être un homme ou une femme d’origine maghrébine. Surtout, la difficulté reste une source inépuisable de motivation pour l’entrepreneur ! Elle excite l’imagination ! Une personne qui ne sait pas entrer par la fenêtre quand la porte est fermée est-elle un entrepreneur ? Car, finalement, toutes les origines ou milieux sociaux sont un frein, portant en eux des frontières culturelles à dépasser pour grandir. Il faut savoir aller au-delà. Pour le commerce en MENA [Middle East and North Africa, NDLR], nos racines gauloises et maghrébines sont un avantage concurrentiel formidable, à condition de faire de ces caractéristiques une chance».
Même son de cloche chez Saïd Hammouche, fondateur de l’association Mozaïk RH qui œuvre pour la diversité en entreprise, pour qui l’origine maghrébine n’est pas un frein mais plutôt «un atout de grandir dans une culture de l’adaptation. On assiste d’ailleurs à la démocratisation de l’entrepreneuriat».
Élu entrepreneur mondial de l’année 2015 (décerné par EY et L’Express), Mohed Altrad (54ème fortune de France), est un exemple flatteur. «Ce que je fais ici, mon propre pays ne m’a pas permis de le faire pour un tas de raisons. C’est un accomplissement, une consécration. Je l’ai reçue au nom de la France et j’en suis fier», s’exclamait-il alors.
Ce bédouin né dans le désert syrien, père de 5 enfants, qui ne connaît même pas sa date de naissance (ses enfants ont tiré au sort le 9 mars) a conquis le secteur du matériel pour le BTP et l’industrie (1,9 Mds€ de CA) en seulement quelques années, dirigeant avec panache 17.000 salariés. Impliqué dans la vie locale, il est aussi le président du Montpellier Hérault Rugby.
Mais dans le sport comme dans les affaires, Mohed Altrad applique un modèle économique gagnant, «en associant des valeurs humaines. L’humain doit être au centre du projet». Son groupe soutient d’ailleurs financièrement une trentaine d’associations humanitaires. Le succès de cet homme qui ne parlait pas un mot de français à son arrivée en France il y a 46 ans inspire plusieurs générations.
Les banlieues, un terreau favorable ?
Parmi les structures d’aides à la recherche d’emploi, Mozaïk RH a, depuis sa création en 2007, déjà permis à 3.500 jeunes de signer un contrat de travail. Une solidarité qui doit perdurer dans le temps, un combat quotidien pour Saïd Hammouche. Sa solution ? «Déconstruire les regards et préjugés et outiller les jeunes pour qu’ils soient là où on ne les attend pas. Cela passe par un CV percutant et surtout par l’entraide».
Dans son livre Chronique de la discrimination ordinaire, Saïd Hammouche dépeint ce phénomène encore tabou il y a dix ans. «À l’époque, il n’y avait pas de données scientifiques sur la discrimination à l’embauche. L’Institut Montaigne a publié en octobre 2015 une étude sur cette génération, dévoilant qu’un candidat musulman a vingt fois moins de chances de trouver du travail».
Une dure réalité face à laquelle certains ont décidé de riposter en créant leur entreprise, à l’image d’Ahmed Mhiri, fondateur de TravelerCar pour qui «s’appeler Jacques aurait pu changer la donne», et Hakim Benotmane, à la tête du groupe de restauration rapide FBH Food, persuadé que «tout est possible aujourd’hui, tout le monde a sa chance».
Et aujourd’hui, dans les quartiers, nombreux son les jeunes et les moins jeunes (l’âge moyen d’un entrepreneur est de 39,5 ans*) à vouloir franchir le pas. Leurs principales motivations ? Être son propre patron, ne pas avoir de chef, gagner plus d’argent et vivre une passion* (en croissance par rapport à 2010).
Un écosystème à renforcer
«Nous n’en parlons pas assez ! Il faut mettre cette génération en avant, car c’est d’abord une génération française qui a sa place et qui participe à la croissance économique», s’exclame Saïd Hammouche, rejoint en cela par Lotfi Bel-Hadj. «Les réseaux s’organisent. Nous avons appris la solidarité. Aujourd’hui, les modèles de réussite, dans tous les domaines, scientifiques, littéraires, culturels, artistiques, sont innombrables. Et tous essayent de tendre la main, d’aider les générations qui suivent. L’écosystème se renforce ainsi chaque jour. Nous « banlieusards » sommes sans doute l’un des moteurs les plus puissants de la croissance dans l’Hexagone. Surtout, je ne crois pas à la révolte des biens nourris !», explique l’homme d’affaires. Son message ? «Allez-y, vous n’avez rien à perdre et tout à gagner !». À méditer avant de foncer !