À 71 ans, il est le troisième employeur de la cité corsaire. Avec 800 salariés et 59 M€ de CA, l’empereur des thermes marins se destinait pourtant à l’aéronautique, malgré l’exemple de ses parents, qui avait quitté leur ferme après guerre, pour racheter un hôtel à Plancoët, près de la source d’eau minérale. Ayant fait ses premières armes auprès de Louison Bobet à Quiberon, Serge Raulic n’a pas hésité un instant lorsque les Thermes furent mises en vente en 1981. Il en a fait un fleuron de la thalassothérapie nouvelle génération mais aussi de l’hôtellerie de luxe. Aujourd’hui, son groupe est le premier indépendant familial du secteur qu’il co-dirige avec sa fille, Charlotte, directrice des relations clients, son gendre Antoine, le Daf et son fils Olivier, le Dg…
Comment avez-vous eu l’idée de reprendre les Thermes Marins de Saint- Malo créés en 1963 sous l’impulsion du Docteur Heger ?
Serge Raulic : Le bâtiment exceptionnel des Thermes Marins, appelé à l’époque Grand Hôtel de Paramé, a connu un fabuleux destin. La belle aventure est initiée avec le lancement de la station balnéaire de Paramé et la construction du Grand Hôtel, en 1881, sur des dunes de sable. Jusqu’à la Grande Guerre, l’hôtel connaît ses plus grandes heures de gloire, recevant des hôtes de renommée internationale. Mais dans la période 1940-1945, l’hôtel devient un centre d’accueil pour les blessés avant d’être réquisitionné par les Allemands. Après la guerre, il tombe en désuétude, et est fermé près de 20 ans. C’est la fin d’une époque…
Mais ce bâtiment hors du commun a suscité l’intérêt d’entrepreneurs qui ont eu le courage avec le docteur Heger, et de nombreux malouins, de lui redonner vie en 1963. Près de 300 actionnaires l’ont suivi Heger dans cette opération de sauvetage du bâtiment du Grand Hôtel de Paramé pour y créer un centre de thalassothérapie.
J’ai repris le centre en 1981. Mon intérêt pour ce bâtiment extraordinaire s’explique à différents égards : je suis un homme de ce territoire de la Côte d’Émeraude, j’ai vécu à Plancoët (Côtes-d’ Armor) et Saint-Cast-le-Guildo, à proximité de Saint-Malo, et un des associés de mes parents, le Docteur Lemée, était très ami du docteur Heger. Par ailleurs, je pensais que j’avais la connaissance des métiers de l’hôtellerie et de la thalassothérapie.
Comment avez-vous fait pour le relancer ?
J’ai repris un établissement qui disposait d’un fort potentiel mais qui n’était pas mis en valeur. Nous devions gommer les défauts mais nous avions l’avantage d’avoir déjà un socle existant à partir duquel construire. Des travaux avaient déjà était entrepris, et une équipe était en place. Malgré tout, j’ai très rapidement réalisé un virage à 180 degrés. Quinze jours après mon arrivée, j’avais déjà bouleversé beaucoup de choses alors que d’autres auraient souhaité se poser, regarder, prendre des décisions et acter des réformes au terme d’une année d’expérience en s’étant nourri du vécu. Venant du métier, je savais sans doute un peu plus ce qu’il fallait faire.
Dès que j’ai repris les Thermes Marins de Saint-Malo en 1981, j’ai souhaité lui redonner une capacité d’autofinancement pour lancer un programme de travaux. J’estimais qu’il n’y avait pas de temps à perdre. J’ai donc augmenté les prix significativement, et bien évidemment, cette augmentation devait se justifier auprès des clients par des différences substantielles dans les prestations, ce qui fut le cas.
Quels ont été les moments charnières depuis 1981 ?
La séquence de 1981 à 1991 fut une période de fort investissement et de croissance avec, en 1983, la création de la piscine. En 1987, nous avons ouvert un centre de remise en forme Aquatonic pour lequel j’ avais déposé un brevet d’invention. L’Aquatonic est constitué d’un ensemble de bassins où l’on a pied partout ayant des températures différentes afin de jouer sur la vasoconstriction ou la vasodilation. C’est idéal pour les personnes qui ne souhaitent pas nager, on y propose des ateliers pour les jambes, pour le dos etc.
Cette démarche correspondant à mon côté ingénieur qui essaye de trouver des solutions adaptées à chaque cas de figure : soins pour les jambes avec des jets différenciés afin de créer un effet de pincement, des jets pour le dos, un jacuzzi à température plus élevée. Ces ateliers permettent aux personnes de rester trois quart d’heure dans l’eau, de profiter de la chaleur de l’eau, et des effets de massage. Le bâtiment ancien évoquait l’ histoire mais l’Aquatonic a apporté quelque chose de très innovant, et de très fort, qui a amené une clientèle beaucoup plus jeune.
En 1987, précurseurs, nous avons égale- ment créé un Spa pour compléter l’offre de soins. Nous avons imaginé un univers chaleureux dédié au bien-être et à la beauté composé de bois blond, de pierres, de lumière tamisée, et de musique douce. Nous avons apporté quelque chose d’innovant à travers des forfaits qui associaient des soins de beauté visage (drainage, soins) et corps (modelage, réflexologie) à des soins de thalassothérapie. Dans le même temps, nous avons surélevé le toit de ce bâtiment historique sans hésiter à le modifier en accord avec l’ architecte des bâtiments de France.
Le troisième moment fort fut marqué par la création, en 1990, d’un nouveau bâtiment relié à l’ancien par le Bar de La Passerelle permettant d’agrandir l’hôtel et la thalassothérapie : nouvelles cabines de soin, nouveau restaurant , 85 nouvelles chambres et une résidence de 27 studios pour élargir notre clientèle aux jeunes parents qui venaient avec bébé en cure postnatale.
Vous vous êtes également développé en dehors de la cité corsaire ?
Nous avons repris le golf de Saint-Malo en 1994, et quelques temps après, nous y avons construit un hôtel. Nous avons également ouvert un second Aquatonic dans un centre de remise en forme en zone urbaine à Rennes avec la volonté de nous différencier des salles de gym cardio-training en ville et d’apporter une dimension aquatique et spa. Aujourd’hui, le groupe possède un Aquatonic à Rennes, Nantes et Paris Val d’Europe. Ce sont des unités d’environ 2000 m2 avec en général deux bassins, 10 à 15 cabines de Spa et des équipes de 40 personnes.
Quelle importance accordez-vous au fait de rester un groupe indépendant ?
Nous n’aurions pas nécessairement la même vision si nous étions en Bourse. Lorsque l’on a des actionnaires extérieurs qui pèsent un certain poids, et qui ont investi des capitaux, il est assez normal de les rémunérer. Mais les intérêts ou les dividendes qui sortent sont autant de capacité de financement en moins pour l’entreprise.
Comment avez-vous réussi à faire des Thermes Marins de Saint-Malo le leader français de la thalassothérapie ?
Dans le métier de la thalassothérapie, il faut innover et proposer des méthodologies de soins que l’on ne retrouve pas chez les autres. Ainsi, notre enveloppement d’algue appelé Biocéalgue est très différent de ceux des autres centres : allongé sur un lit de soin chauffant, le client se voit appliqué une crème d’algue laminaires chaude, la plus concentrée du marché ; en fin de soin, le rinçage se fait à l’eau de mer chaude sans bouger du lit de soin dans des manœuvres drainantes ; le soin est ainsi plus long et plus complet.
Nous avons été les premiers à proposer des modelages sous Affusion (modelage général du corps, sous une fine pluie d’eau de mer chaude réalisé par une hydrothérapeute, Ndlr). Nous allons jusqu’à développer la rampe d’affusion en interne par nos équipes techniques dans un souci d’optimisation des bénéfices du soin et du confort du client.
Enfin, nous avons très tôt compris que le contrôle du poids et /ou la perte de poids étaient des composantes essentielles du bien vivre et nous avons intégré la diététique dans nos offres avec un restaurant dédié et le talent de nos chefs en collaboration avec notre nutritionniste pour proposer des plats équilibrés, contrôlés en calorie mais toujours délicieux.
Comment avez-vous réussi à exporter votre expertise dans le monde de l’Hôtellerie, de la thalassothérapie et du spa aux quatre coins du monde ?
Nos savoir-faire et l’originalité dont nous faisons preuve intéressent nos partenaires étrangers. C’est particulièrement vrai pour l’ Aquatonic pour lequel nous avons déposé un brevet international. Et qui nous a permis de concevoir et construire en partenariat avec des investisseurs locaux une dizaine de centre de thalassothérapie & spa à travers le monde (Bali, Japon, Egypte, Koweit, Nouvelle Calédonie…).
Nous maîtrisons notre qualité et essayons, autant que possible, de maîtriser tous les métiers auxquels nous pouvons faire appel. Cette intégration verticale passe par la blanchisserie, par la production de nos pains et de nos viennoiseries, de nos pâtes de fruits, de nos chocolats, etc…
Et la diversification dans les cosmétiques ?
Nous avons développé notre propre ligne de produits comprenant une trentaine de référence revente et une cinquantaine de références professionnelles destinées aux esthéticiennes. Elle est commercialisée en France dans nos établissements et via notre e-boutique et à l’international par l’intermédiaire de distributeurs dans les spas (Russie, Ukraine, Pologne, Corée, Singapour, Suisse, …). Nous commercialisons également une gamme assez complète de produits par l’intermédiaire de nos partenaires à travers le monde.
Comment imaginez-vous l’avenir ?
Je le vois positif. Nous devrons soit accompagner, soit devancer la demande. La demande en bien-être et en mieux vieillir est croissante, et ce marché est très centré sur l’ humain. Nous devons également répondre aux besoins de détente, et contribuer à éviter la fatigue extrême dans des situations de surmenage professionnel. On peut recourir à la thalasso à 30 ans afin de se reposer ou pour vivre un moment de détente, ou a 70 ans pour apaiser des douleurs d’arthrose. La fourchette d’âge des personnes à qui nous nous adressons est très large.
Nous devons sans cesse être à l’écoute de la demande de la clientèle afin de proposer de nouveaux soins et de nouveaux produits. Concernant la typologie des ventes, je pense que la partie esthétique devrait augmenter car les gens sont soucieux de leur silhouette et de leur apparence.
Propos recueillis par Isabelle Jouanneau