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Champagne : la renaissance de la Maison Joseph Perrier


Maison ancestrale du champagne depuis 1825, la maison familiale Joseph Perrier retrouve une deuxième jeunesse sous la direction de Benjamin Fourmon, héritier de la 6ème génération. Beau retour des choses pour celui qui fut fournisseur officiel de la famille royale d'Angleterre en 1889.

Entreprendre - Champagne : la renaissance de la Maison Joseph Perrier

Vous êtes l’héritier d’une longue lignée, avez-vous hésité avant de reprendre les rênes de la Maison Joseph Perrier ?

Benjamin Fourmon : J’ai étudié à l’École de Commerce d’Angers et travaillé dans la finance. J’étais chez Accenture en 2012, lorsque pour ses 90 ans, ma grand-mère me dit qu’il était temps que j’apprenne le fonctionnement d’un vignoble. Sans arrière-pensée, en parallèle de mon métier, j’ai suivi une formation à distance pendant deux ans, le but était simplement d’obtenir le diplôme nécessaire permettant d’être gérant d’exploitation viticole, ce qui pouvait être utile dans le futur.

Diplôme en poche, en juin 2014, j’ai décidé d’approcher mon père et le conseil d’administration pour savoir si, potentiellement, il était envisageable que j’intègre la structure. L’avis positif m’a incité à démissionner et à suivre un cursus par étapes dès 2015. D’abord, commercial terrain à Paris, puis commercial export, un déménagement en Champagne, ma région natale, en 2017 pour exercer des fonctions support en binôme avec mon père, qui cessa ses fonctions opérationnelles fin 2018. Mon père reste un ambassadeur passionné de la Maison, ce fut une transmission générationnelle extrêmement réussie, basée sur des valeurs communes.

Vous détenez également la certification Vignoble Durable en Champagne et HVE niveau 3, ces arguments sont-ils prépondérants pour la vente ?

Nous devons vivre avec notre temps et produire le champagne le plus proprement possible. Nous avons 7,71 hectares en biologique, et pour le reste, mettre le moins d’intrants possible est une vraie volonté. La viticulture n’a jamais essayé autant de solutions pour trouver le bon équilibre. Il faut réfléchir à chaque action, par exemple, ne plus mettre d’herbicide signifie passer 4 à 5 fois plus souvent avec le tracteur. Il faut aussi poursuivre la lutte contre les attaques de mildiou. Nous avançons pas à pas, cela est plus facile aujourd’hui que par le passé, mais nous restons dépendants de Dame Nature.

Quelle est la typologie de clients ?

Nous réalisons 70% de notre chiffre à l’export même si la France progresse ces dernières années. À l’export, notre trio de tête est le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis. Nous ne sommes présents que sur les réseaux traditionnels, cavistes et CHR. C’est une force qui nous apporte une grande maîtrise dans notre stratégie et une faiblesse en termes de réputation grand public.

La Grande-Bretagne est un partenaire historique ?

Oui, d’autant qu’il s’agissait du premier pays importateur au monde de champagne jusqu’il y a peu. Nous avons été fournisseurs officiels de la reine Victoria et du roi Édouard VII, cela nous donne le droit d’avoir une mention Cuvée Royale depuis 1892 sur certains de nos produits comme rappel de cette relation particulière.

Dès votre arrivée, vous avez ouvert les portes de vos caves aux visiteurs…

C’est un acte primordial. Le classement au Patrimoine de l’Unesco des Côteaux, Maisons et Caves de Champagne a signifié un afflux de touristes qui recherchent ce type de destinations. Globalement, nous étions assez en retard dans la région et Joseph Perrier refusait quasiment toutes les visites. Mon père et moi avons décidé de lancer des travaux pour remédier à cet état de fait, d’autant que nous sommes l’unique Maison de champagne historique de Châlons-en-Champagne, et la seule dotée de caves en craies de plain-pied.
Nos premiers ambassadeurs sont les Châlonnais eux-mêmes, cette réouverture au public fut une fierté locale. Cela a représenté deux ans de travaux, et une réorganisation totale pour lier correctement flux travail et flux visiteurs. Nous avons aussi organisé un accueil enfants avec chasse au trésor et proposons des lieux de séminaires pour les entreprises locales. Nous sommes passés de 5000 visiteurs payants en 2021 à environ 12 000 cette année.

Vous avez lancé un brut nature monocépage, un must pour la gamme ?

Mon père avait lancé un blanc de noirs parcellaire brut nature, et en 2020, ce fut une Cuvée Royale brut nature en assemblage, avec une dominante de chardonnay, vieillie un peu plus longtemps pour le développement des arômes de fruits tertiaires. Ce produit est le résultat de mon expérience en région parisienne, où la demande est très forte en non dosé.

D’ailleurs, ce produit devient progressivement notre seconde référence commerciale, notre best-seller restant la Cuvée Royale brut avec 65% de nos ventes. Cette dernière est la cuvée la plus compliquée à élaborer, car il s’agit de respecter les différences de chaque vendange tout en gardant les marqueurs de la marque. Il reste en cave entre 36 à 40 mois, le brut nature lui y reste cinq ans.

Le Bicentenaire est-il en cours de préparation ?

Oui, nous préparons ce très bel événement. C’est une grande chance d’être à la tête de la Maison pour ce futur moment si spécial où Joseph Perrier sera à l’honneur. Notre tête de cuvée Joséphine est aussi en plein renouveau, pour le millésime 2014, onzième opus, nous élaborons la modification du décor de l’étiquette présent depuis le mariage de la fille de Joseph Perrier, Joséphine en 1847.

Alain Thienot est parmi vos actionnaires ?

Alain Thienot est le cousin germain de mon père, il est présent plutôt en son nom propre qu’au titre du groupe, ce qui explique que nous restons une entreprise familiale, avec nos cousins.

Quels sont vos projets à court terme ?

le Bicentenaire en phase de déploiement, mais je dois avouer que ma plus grande frustration est que le temps entrepreneurial n’est pas le temps vin. Ce dernier prend son temps. La gamme va donc grandement évoluer entre 2024 et 2025, le résultat de 5 à 10 ans de réflexion et de travail sur de nouveaux parcellaires, nous allons proposer une offre oenotouristique renforcée dès l’an prochain, sans oublier le développement de l’outil de production.

Nous avons également eu l’opportunité de reprendre les caves voisines, ce qui représente une extension de deux kilomètres avec l’ajout d’un petit tunnel de 15 mètres. Je souhaite insister sur le fait que si la Maison peut progresser à ce rythme, c’est grâce à une équipe extraordinaire. Nous avons une cheffe de caves élue la meilleure en 2019, une vraie professionnelle du marketing, des directeurs commerciaux jeunes et dynamiques, qui exercent tous ce métier avec passion…

Propos recueillis par Anne Florin

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