Par Jean-Philippe Delsol, avocat, Président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (IREF)
Oui, le chômage a baissé en France en 2021 avec la création de presque 650 000 emplois après une destruction de 315 000 emplois en 2020. L’emploi salarié est en hausse de 1,5 % par rapport à fin 2019. Tant mieux. Mais il faut craindre que cette hausse soit en trompe l’œil pour plusieurs raisons.
- L’augmentation du nombre d’emplois s’explique presque entièrement par celle du nombre d’apprentis qui sont comptés parmi les salariés. Certes, c’est une très bonne nouvelle que dans le secteur privé, 698 000 contrats d’apprentissage aient été signés en 2021, soit 36 % de plus que l’année précédente et quasiment le double de 2019. Mais ce ne sont pas de vrais jobs. Hors ces contrats, il n’y aurait pas d’augmentation de l’emploi par rapport à 2019.
- Le chômage partiel « covid » a été prolongé jusqu’au 28 février 2022. En décembre 2021, 420 000 salariés bénéficiaient de l’activité partielle, (soit 2,2 % des salariés du privé), après 380 000 en novembre 2021. Ce chômage partiel n’est pas intégré dans les chiffres du chômage.
- De nombreuses entreprises continuent de vivre sous perfusion des aides publiques et certaines continuent de ne pas payer leurs charges sociales. Alors que le nombre de cessations de paiement est en temps normal et en moyenne de l’ordre de 50 000 par an, il n’en a été déclaré que 35 000 environ en 2020 et 28 000 en 2021. Lorsque ces aides et facilités cesseront, il faut craindre que beaucoup de ces entreprises zombies aillent directement à la liquidation sans même passer par la case d’administration judiciaire. Ce sera autant de chômage en plus aujourd’hui retardé artificiellement.
Marginalement, il faut encore observer que le taux de chômage, calculé par rapport à la population active, a baissé mécaniquement par suite de l’augmentation de la population active : selon l’Insee, + 325 000 au troisième trimestre 2021, après + 320 000 au premier semestre, soit un niveau inédit et dépassant largement son niveau tendanciel, ce qui est sans doute dû d’ailleurs en partie à l’augmentation sans précédent du nombre d’apprentis.
Il faut surtout se rappeler que les chiffres que donne le gouvernement ne correspondent pas à la réalité. Le taux officiel de chômage de 8,1% fin 2021 est établi par l’Insee et la Dares par rapport aux définitions données au niveau international par le Bureau International du Travail (BIT) selon lesquelles la population active comprend les personnes en emploi et les chômeurs, une personne en emploi étant une personne de 15 ans ou plus ayant effectué au moins une heure de travail rémunéré au cours d’une semaine donnée ou absente de son emploi sous certaines conditions de motif (congés annuels, maladie, maternité, etc.) et de durée, les autres personnes de 15 à 64 ans ayant manifesté expressément la volonté d’avoir un emploi et n’en ayant pas étant des chômeurs. Sur cette base, le nombre de chômeurs en France ressortait selon l’Insee à 2.448.000 au troisième trimestre 2021.
Mais le vrai chômage est celui qui est recensé par Pôle emploi et indemnisé. A ce titre, il y avait en France au quatrième trimestre 2021, 3.398.100 chômeurs de catégorie A (personnes n’ayant aucun emploi mais étant en recherche active d’un contrat quel qu’il soit) et 5.723.700 de catégorie A et des catégories B et C (ayant une activité partielle et recherchant un emploi à temps plein). Sur les mêmes bases de calcul que le taux de 8,1% produit par l’Insee, le taux de chômage ressort alors fin 2021 à 11,24% en catégorie A et à 18,93% pour l’ensemble des catégories A, B et C. Pas de quoi pavoiser.
Certes, la réforme du chômage engagée depuis deux ans durcit les conditions d’accès à l’indemnisation : la période de travail minimum pour accéder à l’assurance chômage a été ramenée à 6 mois sur les 24 derniers mois, au lieu de 4 mois sur 28 avant (sauf pour les plus de 53 ans, qui ne sont pas concernés). Après le covid et diverses péripéties juridiques, cette réforme est enfin entrée en vigueur au 1er décembre 2021 et portera ses fruits à terme. Mais une vraie baisse durable du chômage exigerait des réformes plus significatives pour alléger les contraintes d’embauche et de licenciement.
Jean-Philippe Delsol
Avocat, président de l’IREF, Institut de Recherches Economiques et Fiscales.