Fondateur du groupe Galapagos (Gavottes, Traou Mad, Alpina…) et président du Réseau Entreprendre Bretagne, Christian Tacquard a commencé avec un bac technique en poche il y a plus de 30 ans. Cet industriel autodidacte est désormais à la tête d’un petit empire du biscuit et de la crêpe dans l’Ouest.
Rêviez-vous de devenir entrepreneur ?
J’ai été bercé dans un environnement de petits commerçants. J’ai suivi un parcours technique, et obtenu un CAP de mécanique générale et un autre de dessinateur. Je me suis arrêté au bac technique en construction mécanique. Ensuite, les circonstances de la vie et le service militaire aidant, j’ai pris conscience de ce que je voulais faire : partir aux Etats-Unis dans une cafétéria Casino (le groupe français détenait une chaîne aux Etats-Unis à l’époque, NDLR).
Voici pourquoi je suis rentré chez Casino. J’ai suivi une formation de terrain, puis j’ai commencé dans un petit magasin de quartier, avant d’intégrer un supermarché et enfin un hyper… Si vous y mettiez les moyens en termes de temps, en un an, vous montiez très rapidement.
J’ai ensuite quitté Casino pour venir à Besançon, où je me suis marié. Je suis rentré en hypermarché en tant que stagiaire dans les rayons liquides, produits d’entretien… Au bout de 9 mois, je suis passé chef de département. Après 3 ans, j’ai compris que ma vocation n’était pas d’être directeur d’hypermarché : je voulais être indépendant. Je me suis donc lancé comme agent commercial. Je suis parti sans parachute, sans formation spécifique de vendeur, j’avais juste une formation d’acheteur.
C’était une nouvelle aventure. Quand vous commencez comme agent commercial à 24-25 ans, il faut vous faire un nom. Rapidement, nous avons créé notre première société en 1983 avec ma femme. Nous importions des bières spéciales. Nous étions trois ou quatre en France à faire les caves à bières. Avec le développement de l’agence commerciale et de l’activité d’importation, je me suis rendu compte que nous étions un intermédiaire entre la distribution et les industriels.
Quelle leçon en avez-vous tirée ?
Nous avions trois choix : soit prendre une dimension nationale, soit devenir distributeur, type Leclerc ou Intermarché, soit devenir industriel. J’ai choisi le troisième.
Vous vous orientez tout de suite vers la biscuiterie ?
Non, je n’avais pas ciblé ce secteur. Le gâteau est venu d’une rencontre. J’ai échangé avec les gens qui fabriquaient les fameux éventails et cigarettes qu’on mettait dans les glaces. J’ai pris une participation suite au départ d’un des deux dirigeants. Je me suis rapidement aperçu que la taille de l’entreprise était insuffisante – entre 1980 et 1988, plus de 50 entreprises de biscuiterie ont disparu, dont à peu près 45 étaient en dessous de la barre des 1000 tonnes produites chaque année.
L’objectif, c’était de consolider et de réunir plusieurs entreprises pour dépasser les 1000 tonnes, de préférence sur un petit marché, celui de la gaufrette sèche. J’ai étudié la physionomie des acteurs principaux. J’ai demandé à rencontrer les gens de Gavottes (fabricant des crêpes dentelles, NDLR) en 1989. Au départ, mon idée était de signer un partenariat avec eux. Inconsciemment, je me suis peut-être dit qu’il y avait quelque chose d’autre à faire…
Quel a été l’élément déclencheur ?
En visitant l’usine, j’ai eu un coup de coeur. C’est difficile à expliquer… Il s’est passé quelque chose à ce moment-là. En 1990, j’ai donc proposé de racheter l’usine, qui n’était pas à vendre. Il y avait 48 salariés pour 4 M€ de chiffre d’affaires. J’ai dû convaincre les propriétaires (le groupe anglais Food Trends, NDLR).
Un an plus tard, le rachat a été finalisé (4 M€, avec 1 M€ de fonds propres, NDLR). Nous n’arrivions pas comme des financiers, nous voulions développer un projet industriel. C’était une idée un peu utopique au départ, mais elle est devenue réalité.
La biscuiterie Les Gavottes était-elle à proprement parler une « belle endormie » ?
Oui, c’était une belle qui s’endormait sérieusement !
Comment se sont déroulées les premières années ?
Ce fut facile et difficile à la fois. Il fallait apporter un souffle nouveau, on était dans une période économique compliquée. Certains clients ont déposé le bilan, notre actionnaire principal, qui détenait 33 % du capital, a été liquidé. Le projet de départ, qui consistait à regrouper des petites entreprises, ne tenait plus. Les éventuelles subventions ont disparu…
Nous avons refait un tour de table en 1994 avec l’appui du Crédit Agricole au travers d’Uni Expansion Ouest (filiale de capital investissement des caisses régionales du Crédit Agricole de l’Ouest, NDLR). Cela nous a permis de repartir de l’avant. On a ensuite consolidé notre part de marché en rachetant plusieurs entreprises (Alizée, Galettes de Pleyben, Gaillard Pâtissier…).
Comment s’est déroulée la suite de votre parcours industriel ?
Une vie industrielle est faite d’opportunités et de belles rencontres. Un jour, je suis allé voir Bruno Caron (président et fondateur du groupe breton Norac, propriétaire des marques Daunat et La Boulangère, NDLR). Je lui ai dit : « on fait tous les deux de la pâtisserie industrielle, on possède chacun un site à Locminé.
Il faut qu’on soit des créateurs de valeur et pas des destructeurs. On n’a pas intérêt à se battre pour des marchés. » En 2007, on a donc créé les Goûters Magiques (alliance des activités pâtisserie des Groupes Norac et Galapagos, NDLR). On a fonctionné de manière très intelligente pour faire de cette structure une belle réussite et un des leaders actuels sur ce marché. L’aventure avec Goûters Magiques a pris fin de manière amicale en 2016.
Avec l’arrivée de Jérôme et Aurélie (les enfants de Christian Tacquard, NDLR), nous avons décidé de constituer un pôle sucré à part entière. En 2015-2016, on a construit une nouvelle usine à Dinan (30 M€ d’investissements, NDLR) qui permet aujourd’hui à Gavottes de faire évoluer le marché de la crêpe dentelles.
Pourquoi avez-vous repris le fabricant de pâtes alimentaires Alpina Savoie en 2009 ?
Ce n’était pas prévu. Je pensais que ce dossier n’était pas fait pour nous (Alpina avait été placé sous le régime d’une procédure de sauvegarde en 2008, NDLR). Mais je suis père de famille et mes enfants gravitaient autour du groupe – je précise que je ne leur ai jamais demandé de nous rejoindre, ce sont eux qui ont fait le premier pas.
Finalement, il fallait que je trouve une solution pour les deux. Avec Alpina, on est partis sur des produits de niche, des spécialités (crozets)… Notre proposition a été retenue. Alpina faisait 50 M€ de chiffre d’affaires à l’époque avec 16 M€ de passif. On a repositionné l’entreprise pour faire aux alentours de 33 000 tonnes de produits finis par an pour 45 M€ de chiffre d’affaires.
Comment avez-vous procédé pour faire grandir Gavottes ?
Au cours des années 90, nous avions un positionnement très régional, il nous fallait donc repositionner le produit au niveau national. Dans cette période difficile, nous avons fait le choix dès 1991-1992 d’aller à l’export. Au départ, on est tellement convaincu par son produit qu’on pense que l’export nous attend. Ce qui n’est pas le cas (rires). On s’est donc pris quelques claques.
Par exemple ?
Au fond, il faudrait plus parler de revers d’opportunisme que de réelles claques. On a oublié de prendre le temps de connaître et étudier les marchés étrangers. Outre l’analyse, une grande partie de la réussite tient à la rapidité avec laquelle vous réagissez. Le problème était aussi lié à la taille de l’entreprise.
Nous étions 48 chez Loc Maria, et on a fait de l’export sans connaissances des pays ni maîtrise de la langue – on collaborait avec des agents. Mais nous avons ensuite retenu la leçon en recrutant un responsable commercial export et en structurant le service.
Quel est le secret pour réussir à l’export sur un produit de niche comme le vôtre ?
Il faut être compétitif en termes de prix, la qualité ne suffit pas. Voici pourquoi nous avons investi aussi rapidement dans l’automatisation. Au départ, un site comme Gavottes faisait 500 tonnes de produits finis avec 48 salariés ; aujourd’hui, nous faisons un peu plus de 5 000 tonnes avec 200 salariés.
En parallèle, il faut que le client à Los Angeles ou Tokyo ait une confiance absolue dans votre produit. C’est donc à la fois une question de patience et de temps.
Que vous a apporté le fait d’être un autodidacte ?
A un moment donné, il faut évaluer ses faiblesses et essayer de les rendre performantes. Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est la curiosité, l’opportunisme… Je suis toujours allé de l’avant. Dans toute forme de réussite, il faut avoir du discernement, une capacité d’analyse.
J’ai peut-être mis plus de temps qu’un entrepreneur qui a fait des études supérieures. Mais au bout d’un certain temps, cela peut devenir un avantage. La plupart des autodidactes qui ont créé leur entreprise sont soucieux de chaque euro et de chaque détail. C’est une force dans la construction de l’entreprise.
Cet état d’esprit peut-il se perpétuer ?
Il faut partir du principe que la nouvelle génération qui reprend le groupe s’est construite autour d’un autre référentiel et possède son propre regard.
Quelle est la typologie de votre concurrence ?
Nous avons de beaux et grands groupes qui trustent le rayon de la biscuiterie. En tant que produit premium, notre part de linéaire est fonction de nos parts de marché. Mais c’est une décision qu’on assume. Pour fabriquer de la gavotte nature, il faut compter une heure pour produire 50-60 kilos – en chocolat, on atteint 100 kilos à l’heure. Avec la galette ou le petit-beurre, vous pouvez monter jusqu’à une tonne. Dans le cas du cookie, il est possible d’atteindre 1,5 tonne.
Notre performance industrielle ne peut pas être analysée sur les mêmes critères que celle des grands groupes. Lorsqu’ils investissent sur un produit, les grands groupes prévoient un retour sur investissement sur 2 ans. Nous, on fonctionne sur 5 ou 7 ans. Nous avons choisi une option : nous ne sommes pas dans le mass market. C’est à nous d’être excellents dans le périmètre qu’on a choisi. Je pars du principe que la petite entreprise peut devenir une PME, puis une ETI… C’est ainsi que le marché bouge. Il faut rechercher la performance et l’innovation.
Quelle est l’ambition du groupe dans les années à venir ?
A horizon 2025, notre objectif est de faire 45 % du chiffre d’affaires à l’export. En parallèle, on doit continuer à fortifier nos marchés actuels.
Combien représente le marché américain dans votre performance à l’export ?
Les Etats-Unis représentent 15 % de notre CA à l’export, c’est le premier pays. On est donc très attentif à la politique américaine. Jérôme a d’ailleurs créé une filiale aux Etats-Unis il y a 3 ans (le groupe en possède également une à Hong Kong depuis 2017, NDLR).
En tant qu’industriel, que vous inspire les mesures protectionnistes prises par Donald Trump ?
Je m’abstiendrai de faire de la politique et dirai juste ceci : lorsqu’il y a des règles de marché, il faut les respecter. C’est à nous de nous adapter en équilibrant les investissements pour ne pas être mis en danger du jour au lendemain. Nous ne sommes pas craintifs, juste très attentifs.
La politique a-t-elle déjà eu des conséquences sur le groupe Galapagos ?
En 2000, suite à l’affaire de la « banane dollar » – l’Europe avait taxé les bananes issues de certains pays alliés des Etats-Unis (Equateur, Honduras, Guatemala et Mexique, NDLR) –, les Américains avaient pris des mesures de rétorsion en taxant un certain nombre de produits, dont le roquefort. La gavotte a donc été taxée pendant un an ! Cela nous a perturbé…
D’autant qu’en 1997-1998, en plus de ces taxes, nous avons aussi été impactés par la salmonelle. La leçon à en tirer, c’est qu’au-delà de la problématique politique, la question sanitaire est également centrale.
Que vous inspire les prises de position et les décisions relatives à la consommation de sucre, jugée excessive ?
C’est un autre problème. Le pourcentage de sucre dans nos gâteaux peut nous valoir d’être attaqué par des lobbyistes. Tout comme le petit papier alu qui recouvre la gavotte depuis près de 100 ans et qui est un des marqueurs de notre histoire.
Avez-vous finalisé le processus de transmission du groupe à vos enfants ?
Il est enclenché depuis très longtemps (Jérôme Tacquard est DG de la filiale Loc Maria Biscuits depuis 2012, Aurélie Tacquard directrice développement et innovation depuis 2015, NDLR). Le passage de témoin sur la partie biscuits a été entériné depuis la création de la nouvelle usine à Dinan et le transfert du siège de Loc Maria – Galapagos est resté à Rennes. On se voit régulièrement, on fait un point par mois au niveau des résultats.
Quelles étaient vos craintes lors de la préparation de cette succession ?
Le problème n’est pas d’ordre financier, la question centrale est de transmettre l’entreprise dans de bonnes conditions. L’entreprise doit être saine et le financier ne doit pas menacer son développement. Les bases de l’entreprise devaient donc permettre à Jérôme et Aurélie de travailler sereinement.
Leur axe de performance est axé sur l’innovation et la conquête de nouveaux marchés. Ils doivent marquer leur territoire comme je l’ai fait.
Le facteur émotionnel joue-t-il un rôle ?
Je n’oserai pas parler d’ange-gardien, mais Gavottes, c’est presque comme un bébé (rires). Je n’affirme pas que la transmission est difficile, loin de là, mais il y a une attention particulière… Je pose sans doute plus de questions sur Gavottes que sur les autres sociétés du groupe, mais sans tomber dans l’interventionnisme, car le groupe est entre de bonnes mains.