La pandémie COVID-19 et le confinement ont marqué un arrêt brutal dans la formation des salariés. Toutes les formations en présentiel ont été annulées et reportées à une date indéterminée. La reprise s’annonce en outre compliquée à mettre en œuvre aux vues des contraintes de distanciation à respecter.
En contrepartie, de nombreuses offres de formations à distance sont apparues sur les réseaux sociaux ces dernières semaines (conférences en ligne, tutoriels, MOOC…). Si ce type de formation apporte une réponse intéressante à la crise actuelle, les salariés peuvent vite se noyer dans l’offre pléthorique et passer à côté de leurs objectifs d’apprentissage. Il est donc important qu’ils construisent une démarche structurée et entament une réflexion sur leur auto-formation. La crise actuelle représente en effet une occasion unique de développer une compétence rare, mobilisable tout au long de la vie : apprendre à apprendre.
Qu’est-ce que l’auto-formation ?
D’après Hélène Bézille, professeure en Sciences de l’Éducation, l’auto-formation « correspond à la formation que la personne se donne à elle-même » (BEZILLE Hélène, « De l’apprentissage informel à l’autoformation dans l’éducation « tout au long de la vie » », in L’éducation tout au long de la vie, dirigé par Lucette Colin et Jean-Louis Le Grand, Economica, 2008). Elle est complémentaire de l’hétéro-formation, qui « désigne la formation « par » les autres », menée dans un cadre institutionnalisé (école, université, institut de formation…).
L’auto-formation est donc une forme d’apprentissage conduit par soi-même, pour soi-même. Mais s’auto-former ne signifie pas forcément se retrouver seul devant une page blanche. L’auto-formation s’appuie sur les ressources disponibles dans l’environnement (livres, articles, MOOC, interactions sociales…). Elle est en outre nourrie par cet environnement. A titre d’exemple, la crise actuelle et le confinement, par leur caractère inédit, font émerger de nouvelles connaissances (connaissance de soi-même, de sa capacité à vivre confiné, à créer de nouveaux liens sociaux…), qui vont venir influencer l’auto-formation d’une manière ou d’une autre. On parlera alors d’auto-éco-formation, la formation par soi-même, en interaction avec son environnement.
Notons enfin que l’auto-formation offre la possibilité de choisir ses propres sujets d’étude mais également les moyens mis en œuvre pour se former. L’auto-formation apporte donc une véritable liberté d’apprentissage et amène l’apprenant à une « prise de pouvoir […] sur sa formation et le sens qu’il […] entend lui imprimer ».
Comment mettre en place un dispositif d’auto-formation ?
1. Prendre conscience de ses capacités
L’auto-formation est pratiquée par les bébés dès le plus jeune âge, notamment lorsqu’ils apprennent à parler leur langue maternelle (probablement dès le troisième trimestre de grossesse). Ces derniers isolent les mots entendus dans des phrases (par exemple, isoler le mot « voiture » lorsque sa maman lui dit « je t’installe dans la voiture ») puis ils les associent à un sens (association du mot et de l’objet
« voiture »). Ils ancrent ensuite ces connaissances dans leur mémoire grâce à la répétition (en prononçant le mot « voiture » à chaque fois qu’ils voient une voiture).
Mais plus l’enfant avance en âge, plus l’auto-formation est remplacée par de l’hétéro-formation, menée dans le cadre scolaire puis dans la vie professionnelle. La pratique de l’auto-formation est ainsi diluée.
La première étape du dispositif d’auto-formation consiste donc à « réactiver » cette pratique en prenant conscience de ses capacités personnelles. Chacun pourra ainsi établir la liste des connaissances acquises grâce à l’auto-formation : sa langue maternelle dans un premier temps, mais également la pratique d’un instrument de musique, du jardinage, ou la connaissance de la physique quantique. Le tout est d’identifier le chemin déjà parcouru.
2. Dégager des méthodes d’apprentissage personnelles
Une fois établie la liste des connaissances acquises par soi-même, l’auto-apprenant peut mener une analyse réflexive afin d’identifier les outils et méthodes mobilisés lors de ces apprentissages : Quel était son moteur ? Comment a-t-il évalué sa progression ? Comment a-t-il articulé théorie et pratique ? Quels outils a-t-il utilisés ? Comment a-t-il pu mobiliser ses connaissances dans des situations inédites ? En quoi ces connaissances ont modifié sa perception de lui-même ?…
Comme indiqué précédemment, l’auto-formation constitue une « prise de pouvoir » de l’apprenant sur sa formation, mais également sur les méthodes employées. Elle questionne son « « rapport au savoir », c’est-à-dire sa manière d’apprendre et de se former, les méthodes et les chemins que la personne aime prendre pour atteindre les objectifs d’apprentissage qu’elle se donne, et qui ne correspondent pas nécessairement à une méthodologie « standard », académique. »
Or, plus l’auto-apprenant se connaîtra, plus il pourra mobiliser efficacement ces outils et méthodes en vue de nouveaux apprentissages. C’est pourquoi l’auto-formation consiste autant, si ce n’est plus, à analyser ses propres méthodes d’apprentissage qu’à acquérir de nouvelles connaissances.
3. Apprendre et mettre en pratique
La troisième phase de l’auto-formation consiste bien sûr à apprendre, en mobilisant les outils et méthodologies identifiés lors de l’analyse réflexive. Elle peut être complétée par des mises en pratique permettant de confronter les savoirs théoriques à la réalité du terrain.
Sur ce point, l’auto-formation présente un avantage considérable par rapport à l’hétéro-formation. En effet, l’auto-apprenant étant libre de choisir ses sujets d’étude, il peut privilégier des thèmes mobilisables facilement et rapidement. Dans le cas de l’hétéro-formation, les sujets d’étude sont au contraire déterminés par l’enseignant, selon une progression qui lui est propre. L’apprenant n’a donc pas toujours l’occasion de les mettre en pratique immédiatement, d’où l’ajout d’exercices et de simulations.
Or, alterner apprentissage et production permet d’affiner la théorie, de progresser et d’enclencher une dynamique d’amélioration continue.
Une fois cette dynamique lancée, la rigueur consistant à chercher et apprendre toujours devient une habitude, un trait de l’esprit. L’auto-formation se nourrit elle-même. Tant que l’auto-apprenant maintiendra cette « vigilance continue » (RANCIERE Jacques, Le maître ignorant, Fayard, 1987, p.58 ), il apprendra toujours, même s’il n’est plus en confinement.
Mathilde Dégremont
Senior manager chez Square, auteure du livre Le management en pratique. Comment construire votre propre méthode ?