« Nous grandissons avec des rêves, les plus grands hommes sont des rêveurs », Woodrow Wilson, Président des Etats-Unis de 1913 à 1921, et père de la Société des Nations
Cette catastrophe planétaire qu’est la pandémie Covid-19 a infligé de profondes blessures à chacun d’entre nous, et, qu’elles soient physiques ou psychologiques, nous commençons seulement à en mesurer toutes les conséquences. Mais, ce qui est certain, c’est que nous aurons tous profondément besoin de pouvoir nous dire que tous ces sacrifices consentis ne l’auront pas été en vain, et que nous en ressortirons aguerris et plus performants. C’est ce qui fera que nous surmonterons, ou non, nos traumatismes. Comment ? C’est ce qu’explique ce dossier.
La clé de cette réussite, c’est un processus psychique que Sigmund Freud a appelé la sublimation, une sorte d’alchimie mentale qu’on peut résumer en une formule choc, « faire de l’or avec de la merde » ! Il y a quatre façons d’agir qui donnent un sens positif à nos expériences et mènent à la sublimation : créer, se dévouer, témoigner et partager. Chacune de ses actions sera illustrée par des cas, aussi bien d’hommes et de femmes connus, que de patients ayant fréquenté mon cabinet. Certains cas ont un lien direct avec la pandémie et d’autres moins, mais tous ont été choisi pour leur valeur universelle d’exemple, et, quel que soit le contexte, nous verrons comment nous en inspirer pour notre propre vie et notre propre équilibre.
Ce processus, on le rencontre au sein même de la famille de Freud. En 1914, il a cinquante-neuf ans, et est trop âgé pour être mobilisé, mais ce ne sera pas le cas de ses trois fils, Martin, Ernst et Oliver, qui vont tous les trois servir dans l’armée austro-hongroise. Freud va vivre les années de guerre dans l’angoisse d’entendre la sonnette de la porte d’entrée, et de voir s’y présenter un inconnu en uniforme lui annonçant la mort d’un de ses enfants. Cette douloureuse expérience va lui inspirer un livre, « Deuil et mélancolie » ; il y distingue le « deuil », une réaction de tristesse, normale après une perte, et s’estompant avec le temps, de la « mélancolie », un état qui , lui, s’installe dans la durée , et modifie en profondeur la personnalité .
Le psychisme devient alors semblable à un champ dans lequel une armée ennemi aurait dissimulé des mines anti personnelles avant de se retirer ; en surface, c’est un terrain comme un autre, le danger y est invisible, et il ne s’y passera rien, aussi longtemps que vous n’aurez pas posé le pied sur l’un des détonateurs enfouis ; vous pourrez ainsi traverser le champ des milliers de fois en toute sécurité. Mais à la minute où vous aurez marché sur une mine, tout sautera, et vous avec !
Dans l’inconscient, les engins explosifs, ce sont les souvenirs traumatisants, et, une fois refoulés, ils fonctionnent de la même façon ; ils peuvent rester invisibles et ne produire aucun symptôme pendant très longtemps, mais si nous subissons un choc émotionnel, ou si quelque chose dans le présent nous rappelle brutalement ce passé douloureux, alors notre personnalité, parce qu’envahie de trop d’émotions trop intenses, risque de se briser, provoquant alors un syndrome de stress post-traumatique. Comment l’éviter et l’éviter aussi à ceux que vous aimez ? Vous en trouverez des éléments de réponse dans chacun des chapitres de ce livre.
Le 11 novembre 1918, l’armistice est signé, c’est la fin de la guerre, et, ses trois fils étant rentrés sains et saufs à la maison, Freud a toutes les raisons de se sentir rassuré . Ce répit ne sera, hélas, que de courte durée, et ce ne sera pas à Vienne, mais à Hambourg, que la tragédie va frapper ; ce n’est pas un fils qu’il va perdre, mais l’une de ses fille, Sophie. Il l’avait surnommée son « enfant du dimanche », parce que le dimanche en allemand se dit « le jour du soleil », et que cette fillette était ravissante et resplendissait de bonheur.
En janvier 1913, Sophie avait épousé à Hambourg Max Halberstadt, le photographe « à la mode », à qui les riches familles d’aristocrates confiaient le soin de les immortaliser sur pellicule. Les jeunes mariés étaient beaux et très amoureux, et menaient la vie aisée des privilégiés de l’époque. Freud se réjouissait pour sa fille, dont il voyait le bonheur, et ne tarissait pas d’éloges sur son gendre , qu’il décrivait comme « quelqu’un de responsable et de sérieux, un être tendre et raffiné et pourtant fort ». Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, et aurait dû le rester.
Mais, alors que Max se consacre avec succès à son art, et que Sophie se livre aux joies de sa maternité toute neuve, à plus de mille six cents kilomètres de là, le destin vient d’étendre son ombre sur eux comme sur l’Europe toute entière. Le 28 juin 1914, l’archiduc d’Autriche est assassiné à Sarajevo, et avec lui va mourir aussi la Belle Époque et ses vœux de progrès universel, laissant place à une très sombre période de cris et de souffrances.
Max, mobilisé dans l’armée allemande, va prendre part à la bataille de la Somme, une des plus meurtrières de l’Histoire, plus meurtrière que celle de Verdun, et qui fera plus d’un million de morts. Blessé à la tête en 1916, il sera réformé, mais le jeune homme qui rentre chez lui ne ressemble en rien à celui qui en était parti ; il souffre, et pas que de migraines dues à son traumatisme crânien, il a mal aussi dans son âme et tente, difficilement, de se remettre de la perte de sa vie facile d’avant la guerre. Mais il n’en aura pas le temps, le destin s’acharne sur lui !
Alors que le conflit vient tout juste de prendre fin, que l’espoir renaît dans son cœur, sa femme adorée est emportée par la grippe espagnole. Il se retrouve seul, et ruiné, avec deux petits garçons dont l’un va mourir très vite de tuberculose, et ne survit que grâce à une pension que lui verse son beau-père ; il ne s’en remettra pas, et cet homme qui fut autrefois si charmant et si élégant va se défouler, comme un soudard, sur le seul fils qui lui reste, le petit Ernst.
Ainsi, à peine âgé de neuf ans, cet enfant est un condensé des malheurs que le monde a subi à cette époque ; orphelin de mère à cause de la pandémie, et victime collatérale de la « névrose de guerre » de son père, il est aussi particulièrement emblématique de mon propos. Devenu un très grand psychanalyste d’enfants, il va consacrer sa vie à veiller sur ses jeunes patients, faisant des conférences un peu partout et écrivant des articles sur la petite enfance, sa spécialité . Il a ainsi transformé les épreuves de sa vie en parcours initiatique, les a sublimées, et ce qui aurait pu le plonger dans le désespoir lui a donné la force de construire, pour lui et pour les autres, un avenir plus heureux.
Et ce que sa vie nous apprend, c’est que sublimer réclame d’agir, et de façon concrète et déterminée. Henri Dunant avait fait le même choix, quand, se trouvant par hasard à Solferino au lendemain de la bataille, il est bouleversé par les cris des soldats blessés et agonisants, et parcourt la campagne pour trouver de quoi faire des pansements ; il va aussi improviser un hôpital de fortune dans la plus grande église du coin. Selon ses propres confidences, il s’est « jeté dans l’action » pour « échapper à son désarroi », et c’est l’origine de la Croix-Rouge, dont on va retrouver les volontaires aux avant-postes de toutes les étapes de l’actuelle pandémie.
Qu’avons-nous pu apprendre et que pourrons nous appliquer dans l’avenir de cette expérience inédite dont nous sommes les acteurs obligés ? Que si l’homme est mortel, sa part d’humanité est indestructible ! Même si, en presque deux ans maintenant de mesures sanitaires, dont une bonne partie en confinement, nous avons perdu toutes nos certitudes, l’édifice de connaissances que nous avions érigé s’est effondré, et nous avons compris, dans toutes sortes de restrictions et de frustrations, que nous ne sommes ni aussi beaux ni aussi intelligents que nous l’avions cru.
Et même si les dernières nouvelles du front de la Covid ne sont pas encore excellentes, et, qu’au moment où nous croyions la pandémie sur sa fin, un nouveau variant est apparu, le variant Delta, qui pourrait à nouveau aggraver la situation. Mais, comme le démontre ce livre, nous sommes maintenant entraînés à gérer les crises les plus graves, ayant pu tester en vrai notre étonnante capacité à ne pas vaciller sous les coups du destin, et à aller de l’avant, avec au moins une certitude, « le monde d’après » sera un monde de défis, et nous aurons tous un rôle à y jouer. Quel qu’il soit, il sera essentiel !
Catherine Muller
Docteur en psychologie
Member of the World Council of Psychotherapy
Member of the American Psychological Association