A la tête d’Azimuth Productions, productrice de spectacles et organisatrice de tournées, Geneviève Girard est l’une des très rares productrices françaises indépendantes. Rencontre avec une créatrice de plusieurs festivals, à la tête d’un catalogue artistique pointu réunissant des têtes d’affiches incontournables à de jeunes artistes de la scène musicale et humoristique, mais aussi une chef d’entreprise découvreuse de nouveaux talents.
Quel a été votre parcours avant de monter votre entreprise de production ?
Geneviève Girard :
Je viens d’une famille de huit enfants où l’on a tous rapidement appris l’autonomie, aux côtés d’un père psychiatre. Après des études d’Histoire, à l’âge de 21 ans, j’ai immédiatement voulu travailler et ai démarré en régie presse comme chef de publicité.
Après 15 ans passés dans le secteur du marketing et de la publicité, au sein de Metrobus où j’ai gravi un à un tous les échelons, j’ai démissionné parce que j’avais fait le tour de ce métier et que je ne me projetais plus dans la vente d’espaces publicitaires. En rentrant d’un voyage aux Etats-Unis qui m’a donné un punch incroyable, j’ai monté mon entreprise en novembre 1986, Azimuth Productions, une société de production et d’organisation de spectacles.
J’ai commencé par m’occuper de mon frère aîné, Bruno Girard, violoniste du groupe Bratsch. J’ai trouvé quelques fonds, des lieux de spectacles de plus en plus grands et trois ans plus tard, le groupe se produisait une semaine à l’Olympia.
J’ai su, à côté de ce groupe qui fête maintenant ses 40 ans de carrière, que j’avais trouvé ma voie. Peu après, l’un des plus beaux cadeaux de mon parcours a été ma rencontre avec Cesaria Evora avec laquelle j’ai eu la chance de travailler pendant 5 ans dans le monde entier.
En plus d’avoir produit des artistes aussi célèbres que Cesaria Evora, Michel Fugain, Lynda Lemay…, pourquoi avoir choisi de monter vos propres festivals de musique ?
D’une part parce que le fil conducteur de ma carrière de productrice, c’est de sans cesse dénicher de nouveaux talents et d’autre part, parce qu’on ne peut pas faire ce métier sans avoir soi-même la fibre artistique et créatrice.
Monter un festival de A à Z est une aventure artistique, humaine et économique incroyable qui permet non seulement de produire les artistes auxquels on croit et de leur donner un tremplin médiatique majeur, mais aussi de se faire plaisir avec de très belles rencontres.
J’ai commencé en 1994 avec le festival Tout Azimuth à L’Européen, consacré au développement des artistes de mon propre catalogue, qui a permis de lancer la carrière de Mano Solo, Clarika et Rachel des Bois. La même année, mon entreprise Azimuth a racheté Programe, la société de production de spectacles dirigée par Bernard Batzen, manager de la Mano Negra, qui est devenu mon associé et m’a apporté toute son expertise et son carnet d’adresses à l’international.
En 1995, nous avons créé ensemble le label d’édition musicale Rue Bleue, puis le festival Les Méditerranéennes, d’abord à Céret dans les Pyrénées-Orientales, puis à Argelès-sur-Mer, et enfin à Leucate dans l’Aude jusqu’en 2010. Notre festival, réunissait plus de 15 000 personnes en trois jours.
Comment définiriez-vous votre catalogue ?
Depuis 30 ans, avec notre équipe de huit personnes, nous avons construit une image solide autour d’Azimuth, reconnue comme une entreprise majeure du spectacle vivant français.
Nous proposons un catalogue artistique à la fois éclectique et très pointu. Après avoir été à l’origine du développement de carrière du groupe Bratsch et de Cesaria Evora dans le monde entier, nous nous sommes occupés notamment de Raul Paz, Kent, les Têtes Raides, Wampas, Les Innocents. Mais notre catalogue réunit également Lynda Lemay, La Maison Tellier, Julian Perretta, Nits, In The Canopy, Bjørn Berge, Bombino, Buika, Den Sorte Skole, Marc Perrone, Ringo Jets, Fred Pellerin, Cristina Branco (fado)…
Pourquoi existe-t-il si peu de femmes productrices en France dans le monde musical ?
Parce que c’est un métier où le risque financier est constant, qui nécessite une présence de tous les instants, donc extrêmement chronophage, où l’on se déplace beaucoup sur les concerts et où l’on travaille de jour comme de nuit !
Je n’ai pas d’enfants et je pense que ce choix de vie m’a permis de me consacrer pleinement à mon métier. Le fait d’être une femme est pourtant un atout car la plupart des artistes ont souvent besoin d’une écoute attentive et de beaucoup d’attention Ils sont fragiles et émouvants mais il faut toujours garder à l’esprit que ce que nous faisons est un métier à ne pas confondre avec notre vie.
C’est cette attitude juste vis-à-vis d’eux qui nous permet de les aimer, de les comprendre et de profiter pleinement de leurs talents et de la part de rêve qu’ils nous apportent. Tout au long de mon parcours, j’ai grandi et je me suis construite avec eux.
Quels sont vos nouveaux projets ?
J’ai fait dernièrement une très belle rencontre en la personne de Papy, l’homme qui a découvert et lancé Jamel Debbouze (cf. notre encadré). Il cherchait un producteur et moi à diversifier mon catalogue sur la scène humoristique. Nous avons décidé de travailler ensemble, dès cet été à Avignon avec Monsieur Fraize, puis à la rentrée.
Notre idée est de monter une pépinière d’humoristes prometteurs, une sorte de « Papynière de l’humour » ! A lui de dénicher les talents et à moi de les produire sur scène. Je crois beaucoup en notre projet. Par ailleurs, actuellement, je suis très ouverte à une levée de fonds et à l’entrée de nouveaux investisseurs dans le capital, pour développer cette nouvelle branche autour du rire.
Est-il vrai que votre secret pour tenir dans ce métier difficile c’est le yoga ?
(Rires !) D’une certaine manière, oui. Vous savez, la production de spectacles, c’est mon métier, ce n’est pas ma vie. C’est une profession où l’on n’a pas droit à l’erreur et où il faut sans arrêt prendre des décisions qui impactent notre économie et où les répercussions financières peuvent vite être catastrophiques.
Je me suis tournée vers le yoga parce que je voulais être plus centrée et que mes décisions soient les plus justes possibles. Je voulais également garder la distance nécessaire pour ne pas me laisser envahir par l’émotionnel, toujours très présent avec les artistes. C’est vrai que le yoga m’aide énormément au quotidien.
Geneviève Girard et le projet de « Papynière »
Geneviève Girard a rencontré il y a moins d’un an le célèbre « Papy », alias Alain Degois, le fondateur de Déclic Théâtre, l’association de théâtre d’improvisation de Trappes.
C’est grâce à lui que Sophia Aram, Tsamère, Laurent Ournac ont fait leurs premières gammes, avant d’être propulsés sous les feux des projecteurs. Mais le plus emblématique de tous ses poulains est bien entendu Jamel Debbouze, qui est rapidement devenu la star de l’improvisation que l’on connaît.
Ensemble, Geneviève Girard et Papy ont décidé de monter une « Papynière » de jeunes talents humoristiques, à l’image de Monsieur Fraize présenté à Avignon cet été (du 4 au 26 juillet à 21h50 au Petit Louvre) et à Paris à la rentrée aux Feux de la Rampe.