L’Europe est en effet le premier continent qui devrait faire son « point de bascule » et voir sa population active diminuer dans les deux ans à venir. D’ici 2033, elle pourrait perdre 5% de sa population en âge de travailler.
Face à cette évolution, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. La France devrait voir le nombre de ses actifs stagner ou croître légèrement, tandis que l’Allemagne devrait perdre 5 millions de salariés d’ici 10 ans, soit 10% de sa main d’œuvre totale.
Les conséquences de cette évolution seront multiples : pénuries de main d’œuvre, perte de compétitivité, détérioration des comptes public… Certains secteurs, comme l’énergie ou l’industrie lourde, pourraient connaître un triple choc, avec le départ à la retraite d’un salarié sur cinq, des difficultés de recrutement et des politiques migratoires de plus en plus restrictives.
Cette perspective pousse les grandes entreprises de ces secteurs à investir largement pour numériser et automatiser leurs opérations, mais aussi assurer la transmission des connaissances.
Le Japon pour inspiration
Si l’Europe est le premier continent à perdre des habitants, d’autres pays ont déjà des décennies d’expérience dans le domaine. C’est notamment le cas du Japon qui a vu sa population active fondre de 86 à 73 millions d’individus en 25 ans.
Les entreprises de l’archipel ont ainsi dû apprendre à fonctionner avec moins d’employés, à sauvegarder l’expérience de leurs salariés âgés et à faire évoluer les postes administratifs rendus obsolètes par le numérique.
C’est par exemple le cas au sein du géant du pétrole et du gaz Eneos. Face au départ à la retraite en nombre des opérateurs de ses terminaux de Kiire, l’entreprise a numérisé l’ensemble de ses processus de partage d’informations et de connaissances, comme les inspections, relèves d’équipes et instructions. L’opération a également permis d’éliminer de nombreuses tâches qui demeuraient manuelles, telles que la création de rapports ou les relevés de compteurs.
Au Japon comme en Europe, l’élimination de ces tâches administratives sans valeur ajoutée est cruciale face au déclin démographique : elle représente à la fois un moyen d’optimiser les recrutements, de gagner en productivité et de garder plus longtemps les employés en poste.
Davantage de missions accomplies à distance
Autre levier important : reconsidérer quelles missions doivent être accomplies sur place et lesquelles peuvent être menées à distance.
Délocaliser n’a bien sûr rien de nouveau, mais la pandémie a servi d’accélérateur en obligeant les entreprises à investir pour autoriser le travail à distance. En outre, de nouvelles technologies, comme les drones, lasers scanner haute définition et jumeaux numériques des installations, permettent aujourd’hui d’avoir une vision claire des installations et équipements sans être présent physiquement.
Cela signifie que de plus en plus de tâches de surveillance ou d’optimisation peuvent être accomplies à des milliers de kilomètres. Harbour Energy, le plus grand exploitant pétrolier en Mer du Nord, a par exemple utilisé ce cocktail technologique pour accomplir certaines missions sur ces plateformes pétrolières depuis l’Inde. Cette distanciation permet souvent, de surcroît, de gagner en sécurité en limitant le nombre de personnes présentes sur des sites à risque.
L’IA peut-elle rendre les nouvelles recrues plus productives, plus vite ?
Ce genre de stratégies s’intègre dans une tendance de fond : dans un contexte de déclin démographique, des besoins de main d’œuvre élevés vont représenter des coûts croissants, mais aussi un risque pour l’activité. D’où l’importance d’optimiser ces interventions, notamment via l’intelligence artificielle (IA).
L’un des usages les plus « mûrs » de l’IA est le passage à la maintenance prédictive, où un technicien se voit prescrire des interventions à exécuter en priorité sur la base des données émises par les équipements plutôt que de réagir simplement aux pannes. Le cabinet Deloitte estime que cette évolution pourrait amener des gains de productivité de l’ordre de 25%.
Mais l’essor actuel de technologies comme ChatGPT amènent certaines entreprises à voir plus loin. L’association des interfaces conversationnelles, du jumeau numérique et de procédures organisées par l’IA, par exemple, laisse entrevoir la possibilité d’un salarié « augmenté » par un accès constant à l’information et à la connaissance opérationnelle – ce qui permettrait au jeune salarié de se hisser rapidement au niveau d’un employé senior.
Cette perspective ne va naturellement pas de soi. Elle demande notamment un effort résolu de documentation, de numérisation des procédures, de gestion de l’information et d’expérimentation technologique. Mais, face au défi démographique à venir, elle paraît néanmoins prometteuse.
Le déclin à venir de la population active européenne va en effet demander aux industriels européens de rivaliser d’imagination pour transformer leurs opérations et mener la chasse aux gaspillages de productivité – qu’il s’agisse de procédures papier, d’information en silos ou de tâches administratives chronophages. Le chantier est considérable, mais il sera essentiel pour la compétitivité de l’industrie européenne.
Adrian Park
Vice président de la région EMIA au sein de la division Asset Lifecycle Intelligence d’Hexagon