Les entrepreneurs ont-ils un problème avec leur boîte mail ?
Romain Bisseret. La plupart des entrepreneurs n’appliquent pas de méthode efficace pour gérer leurs mails. Pour ne rien arranger, ils multiplient souvent les canaux de communication, comme WhatsApp, Telegram, Signal, Teams, etc., si bien que l’information leur arrive de toutes parts et se perd facilement. Je me souviens de l’un de mes clients qui suivait neuf canaux sur Telegram et autant sur WhatsApp…
Que peut faire concrètement un entrepreneur pour ne pas être noyé par ses mails ?
La routine est la meilleure amie de l’entrepreneur. Plus votre environnement est chaotique, plus cette routine est salutaire. Elle permet d’être totalement concentré sur ce qu’on fait sans avoir besoin de se soucier de ce qui vient après. Je recommande de mettre en place deux routines : ne lire chaque mail qu’une seule fois et vider sa boîte de réception au moins une fois par jour.
Une bonne pratique consiste à consacrer chaque jour deux ou trois créneaux de 20 à 30 minutes au nettoyage de sa boîte mail. Il faut à tout prix éviter de « vivre » dans sa boîte de réception, car cela anéantit toute concentration de qualité. L’autre priorité est de désactiver les notifications et la réception automatique des mails. Il faut prendre l’habitude de cliquer sur « recevoir » pour relever ses mails. Enfin, pour les échanges internes, le mail peut être remplacé par des réseaux comme Teams, Talkspirit, etc.
Pourquoi recommandez-vous de désactiver les notifications ?
Au début du Web, les notifications étaient utiles : nous n’avions pas l’habitude de recevoir des mails, il fallait donc être averti. Aujourd’hui, c’est inutile, vous savez que vous allez recevoir des mails. Les notifications vous font perdre le fil. Dans son livre BrainChains, le médecin Theo Compernolle explique qu’après une interruption, il faut entre deux et vingt minutes pour retrouver le même niveau de concentration qu’avant.
À chaque notification, votre cerveau se met en mode multitâche, vous dépensez de l’énergie pour rester concentré, mais une partie de votre concentration s’est envolée, car vous avez envie de savoir ce qu’il y a dans ce nouveau mail. Vous n’êtes plus vraiment concentré sur ce que vous faites, ce qui vous ralentit. Vous êtes donc perdant sur tous les plans.
De nombreux entrepreneurs considèrent que rater ne serait-ce qu’un seul mail risque de leur faire manquer une opportunité potentielle…
Un mail urgent, ça n’existe pas. S’il y a une urgence à traiter un sujet, le mail n’est pas le bon canal. Personne n’irait envoyer un mail aux pompiers pour leur dire qu’un feu s’est déclaré !
Si vos clients ou prospects n’ont pas intégré le fait que le mail est inadapté aux urgences, je vous recommande de leur annoncer la couleur d’entrée de jeu. Il faut définir avec eux des canaux d’informations à utiliser pour le tout-venant et d’autres pour les urgences.
Que répondez-vous aux entrepreneurs qui considèrent la gestion des mails comme superflue ?
La gestion des mails n’a rien de secondaire, c’est le centre nerveux de votre système de communication. En 2019, on recevait en moyenne 57 mails par jour. Aujourd’hui, on tourne autour de 88. Il faut entre trente secondes et une minute pour lire un mail et décider ce qu’il convient d’en faire. Avec 88 mails, on passe donc au minimum 44 minutes par jour à prendre connaissance de ses mails et à les traiter, sans avoir encore commencé à travailler…
Sans oublier que la plupart des gens lisent le même mail quatre ou cinq fois avant de prendre une décision ! Une boîte mail vide indique une chose fondamentale : vous êtes totalement à jour de toutes les demandes qui vous ont été faites. Vous n’êtes jamais aussi à jour dans votre vie professionnelle que lorsque votre boîte de réception est vide !
Certains entrepreneurs utilisent leur boîte mail comme une to-do list. Est-ce pertinent ?
Les mails sont une très mauvaise to-do list. Il faut considérer sa boîte mail pour ce qu’elle est : un point d’entrée d’informations brutes qu’il faut qualifier et ranger pour en faire de l’information organisée. Il faut sortir de sa boîte de réception tous les mails datant de plus d’un mois et se munir d’un logiciel de gestion de listes, comme « Rappels » sur iOS, « Google Tasks » ou « ToDo » sur Microsoft. Pour chaque mail nécessitant une action, il suffira ensuite de créer une action dans le logiciel, puis d’archiver ou de supprimer le mail concerné.
Recommandez-vous de classer les mails dans des dossiers pour alléger sa boîte de réception ?
Je pose souvent cette question durant mes formations : que faites-vous lorsque vous voulez retrouver un mail ? 99 % du temps, on me répond : « J’utilise le moteur de recherche. » Dans ce cas, pourquoi classer ses mails dans des sous-dossiers ? En termes d’efficacité, le classement est totalement inutile. En revanche, je lui reconnais une utilité psychologique : avoir rangé un mail dans le bon sous-dossier sécurise l’utilisateur.
Aujourd’hui, les moteurs de recherche sont suffisamment performants pour vous permettre de retrouver n’importe quel mail. Vous y passerez sans doute un peu de temps, mais à l’échelle d’une année, ce sera beaucoup moins que le temps perdu à classer vos mails. En fin de compte, je préconise de n’utiliser que deux dossiers : la boîte de réception et les archives. Quand le mail a été lu, il va soit à la poubelle s’il n’a plus d’intérêt, soit dans les archives si je dois le consulter plus tard. C’est tout.
Un mail mal rédigé peut engendrer des allers-retours inutiles. Comment éviter ces pertes de temps ?
La solution se trouve dans la rédaction de l’objet du mail. Si vous recevez un mail intitulé « Projet Durant », vous n’êtes pas très avancé. À contrario, si l’objet est « à clarifier – grille d’honoraires pratiqués – question client – projet Durant », vous savez que vous avez une action de clarification à mener au sujet des honoraires et que la demande émane du client. Une personne capable de rédiger des objets de mail avec ce niveau de précision verra toujours ses mails lus et traités beaucoup plus rapidement par ses interlocuteurs.
Un autre conseil utile consiste à toujours commencer par les questions dans votre mail, avant d’exposer le reste du sujet. Vous mobilisez ainsi la personne. Elle lira votre mail bien plus efficacement. Enfin, si au bout de trois échanges par mail, vous n’êtes parvenu à aucune conclusion, prenez le téléphone ou faites une visio. Un simple coup de fil résout souvent en quelques minutes ce qui peut nécessiter plusieurs jours d’allers-retours par mail.