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Covid : comment on maltraite l’inconscient collectif ?


Tribune. Il y a un an maintenant, le 11 janvier 2020, la Chine annonçait officiellement qu’un nouveau coronavirus avait fait un mort à Wuhan. Il sera suivi de nombreux autres partout dans le monde, près de deux millions à ce jour, et depuis, l’humanité toute entière subit les aléas de...

Entreprendre - Covid : comment on maltraite l’inconscient collectif ?

Tribune. Il y a un an maintenant, le 11 janvier 2020, la Chine annonçait officiellement qu’un nouveau coronavirus avait fait un mort à Wuhan. Il sera suivi de nombreux autres partout dans le monde, près de deux millions à ce jour, et depuis, l’humanité toute entière subit les aléas de la pandémie. Tout se passe comme si nous étions en train de revivre l’Odyssée, et que, tel Ulysse quittant les côtes troyennes pour rentrer chez lui dans l’île Ithaque, nous allions d’épreuve en épreuve, chaque épreuve ne faisant qu’en annoncer une autre plus dure encore !

Au début, on se croirait en effet dans le même scénario : Ulysse embarque sur son bateau, persuadé que le voyage ne lui prendra pas plus d’un mois, et qu’il pourra très vite reprendre ses habitudes et contempler la Grande Bleue de la terrasse de son palais.  Quant à nous, nous investissons au printemps nos lieux de vie, finalement pas si mécontents de ce temps de pause qui nous est offert, et surtout  convaincus qu’à l’été, tout sera rentré dans l’ordre ! Mais chez les antiques grecs comme chez nous, ce n’est pas du tout comme ça que ça va se passer ; Ulysse va errer d’île en île tout autour d’une  Méditerranée peuplée de monstres pendant dix ans, et nous, nous allons de confinement en reconfinement pour échapper aux variants du coronavirus, de plus en plus incontrôlables, sans que quiconque sache vraiment jusqu’à quand ça va durer, pas même le directeur général de l’OMS, qui, lors de son point presse du 5 janvier dernier, a prévenu que  la traversée serait longue, et, « pas facile, ce sont de durs kilomètres que nous devons parcourir ensemble ». 

Ulysse et Carl Jung

L’image du héros accomplissant un voyage initiatique et devenant de plus en plus fort à chaque épreuve remportée sur l’adversité,  est présente dans toutes les cultures du monde. On le retrouve aussi bien dans les contes perses avec Sindbad le marin, que dans la Bible avec Jonas, ou chez les Vikings avec Erik le Rouge, premier capitaine à avoir mené une flotte de drakkars jusque dans les mers arctiques. On le rencontre même en Chine avec le légendaire explorateur Zheng He, dont le nom vient d’être donné à la prochaine sonde spatiale chinoise.

Cette figure universelle avec ses nombreuses déclinaisons,  c’est ce que le psychanalyste Carl Jung a défini comme « un archétype de l’inconscient collectif », au rang desquels il met Ulysse, peut-être parce qu’enfant il a lu et relu l’Odyssée d’Homère, et qu’il a vu dans ce récit mythique le symbole des transformations d’un individu en quête de sa vérité. Dans la dernière interview qu’il a donnée deux ans avant sa mort, il parlera de ces archétypes  comme « des événements par lesquels le monde éternel fait irruption dans le monde éphémère »,  une sorte de « banque de données » où sont archivées des images et des expériences transmises de génération en génération au cours de l’Histoire, auxquelles nous allons tous donner le même sens, et qui entraîneront chez nous les mêmes émotions.

Le marketing de l’Inconscient collectif

C’est sur la base de ce postulat que Georges Hénaut, professeur à l’Université d’Ottawa, a réfléchi sur les possibles applications au marketing international des découvertes de Jung sur la  psychologie des profondeurs. Dans son livre « Marketing international, synergie, éthique et liens », il cite une étude de l’agence Young and Rubican qui a interrogé plus de cent vingt mille consommateurs sur plus de treize mille marques et conclut que l’appel à des archétypes augmente incontestablement la valeur d’une marque aux yeux de ses clients. Il les présente ainsi comme « le Saint Graal de la stratégie, permettant d’établir ce qui est commun à l’humanité et ainsi de rejoindre de façon harmonisée les publics de tous les continents sur la base d’une programmation, notamment commerciale, uniformisée ».

La Reine des Sirènes

Parmi les archétypes de l’inconscient collectif, on trouve l’Ombre, la partie sombre de nous-même, représentée par  Dark Vador ou Mister Hyde, l’Anima et l’Animus, expressions de la part féminine de l’homme ou de la part masculine de la femme,  et surtout La GrandeMère, qui symbolise toutes les femmes à la fois, la Fée Clochette comme Wendy, Scarlett O’hara comme Mère Teresa, ou encore Jeanne d’Arc et Simone Veil. Mais celle qu’on voit le plus, déjà présente dans l’Odyssée, et encore de nos jours chez Walt Disney, c’est la Sirène. Et c’est visiblement cette créature fantastique qui a inspiré Dior pour communiquer sur son parfum Dior J’adore. Dans la déclinaison en eau de parfum, Charlize Theron, sculptée dans un long fourreau en or pailleté, sort d’un bain oriental suivie, comme à la parade, par d’autres sirènes à son image, et toutes aussi tentatrices qu’elle.

Les champs Elysées d’Homère

 Dans la pub pour le parfum, c’est un autre événement extraordinaire de l’Odyssée qui a été mis en scène ; Ulysse se rend dans les champs Elysées, cette partie enchantée du monde des morts où séjournent les héros. Roi lui-même, il y rencontre d’autres rois encore plus fameux,  dont Agamemnon et Minos, qui vont, en quelque sorte, lui transmettre leurs immenses pouvoirs. C’est cette idée d’héritage spirituel qui fait la trame de la pub ; on y voit Charlize Theron arriver au château de Versailles, transformé en backstage pour un défilé. Elle y croise d’autres femmes iconiques, Marilyn Monroe, la « femme-enfant », Marlène Dietrich, la « femme fatale » et Grace Kelly, la « Princesse Charmante » ; en les embrassant, elle devient, comme elles, immortelle ! Et, si l’on en croit les travaux de Georges Hénaut, ce serait parce que ces pubs font appel à un imaginaire et des sentiments « d’un âge immense », comme l’a écrit Jung, que le parfum Dior J’adore est le deuxième parfum le plus vendu au monde.

L’inconscient collectif, c’est une histoire qui se réécrit mais en s’adaptant aux goûts du jour, c’est aussi une force et une énergie qui nous gardent concentrés sur l’avenir, et la croyance un peu magique que ce qui a réussi hier pourra tout aussi bien réussir demain. C’est la bonne nouvelle que l’on peut voir écrite dans l’Odyssée ! Comme, après de nombreuses péripéties, Ulysse a fini par rentrer victorieux chez lui, où il a  retrouvé son trône et l’amour de sa femme Pénélope, nous pouvons espérer qu’il en soit de même pour nous. Bientôt,  nous devrions pouvoir laisser toutes les difficultés présentes loin derrière nous, et profiter à nouveau de la vie que nous aimons. Heureux qui comme Ulysse…

Catherine Muller
Docteur en psychologie
Member of the World Council of Psychotherapy
Member of the American Psychological Association

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