Tribune de Frédéric Champalbert, Corporate Vice- President – Strategy and M&A chez Prodware
Parmi les leviers de croissance les plus en vue, l’acquisition d’une entreprise n’est jamais une opération anodine. Complexe, longue, chronophage, elle implique tous les domaines de l’entreprise. La transversalité de cette démarche fait aujourd’hui logiquement de l’Intelligence Artificielle (IA) une alliée précieuse pour sa réussite.
En effet, si l’IA est partout, elle peut certainement participer à l’amélioration du processus de croissance externe… mais comment ?
Une étude menée par Le Lab de Bpifrance auprès de plus de 650 dirigeants et dirigeantes de PME en France révèle que plus de 80% d’entre eux ont envisagé un projet d’acquisition d’une entreprise au cours des 5 dernières années. À l’évidence, la croissance externe fait partie des moyens principaux envisagés pour assurer le développement d’une entreprise.
Pourtant, seuls 34% ont effectivement mené à bien leur projet. L’Intelligence Artificielle a sans doute aujourd’hui les moyens de faire croître ce ratio de manière significative. En amont, pendant, ou en aval de ces étapes complexes, les progrès de la technologie peuvent fluidifier le parcours. Au risque de déshumaniser la transition entre trois entités : le convoiteur, le convoité et le fruit du rachat ? Pas nécessairement.
Sélectionner les entreprises candidates au rachat / à être rachetées
La décision est prise, la croissance passera principalement par une acquisition. Décidé, volontaire, ambitieux, le comité de pilotage de l’opération n’a plus qu’à retrousser ses manches, et passer à l’action. Par quoi commencer ? Où regarder ? Quel est le prix du marché ? Qui contacter ? Les premières questions peuvent paraître si vastes, les directions potentielles si nombreuses, qu’il est parfois difficile d’initier le mouvement.
C’est le premier aspect bénéfique de l’intervention de l’Intelligence Artificielle dans le processus d’acquisition. En analysant un marché, son évolution récente et sa tendance, en compilant un nombre colossal de données et d’autres indicateurs, l’IA peut parfaitement détecter des opportunités structurelles. L’équipe dédiée aura alors la charge d’arbitrer en décidant de la direction la plus pertinente et la plus cohérente à suivre. Analyses de transactions passées, tendances de consommation, traitement de données de sources innombrables (parmi lesquelles réseaux sociaux, rapports financiers, communiqués de presse etc.), le volume d’indicateurs est sans commune mesure avec un traitement humain, aussi pertinent et professionnel soit-il. L’Intelligence Artificielle offre ainsi une nouvelle frontière à l’évaluation du champ des possibles.
Modéliser à l’infini (ou presque)
La sélection et le filtrage des opportunités et des entreprises candidates ainsi facilités, la deuxième phase du processus d’acquisition peut commencer. Là encore, l’Intelligence Artificielle peut s’avérer un outil déterminant pour améliorer la pertinence des analyses effectuées et de la due diligence.
Les experts capables de voir certaines synergies et créations de valeur ne sont pas légion. De leur côté, les capacités de calcul et de modélisation de l’IA dépasseront largement celles des analystes, y compris les plus reconnus. Survitaminée aux données, boostée aux indicateurs, saupoudrée de paramètres prédéfinis d’analyses, la machine est capable de modélisations presque infinies. Dans un processus complexe aux évolutions incertaines, cette exhaustivité potentielle est un atout précieux. Le machine learning peut en outre tourner à plein régime pour améliorer sans cesse la pertinence de l’analyse fournie.
La collaboration humain-machine peut agir ici comme un entonnoir à risques. En prédisant les évolutions potentielles d’une acquisition, telle une scénariste surdouée, l’IA peut proposer (presque) tous les scripts possibles. Un bémol cependant : les variables sont si nombreuses que l’exhaustivité est, dans les faits, impossible. Elle l’était déjà avant l’arrivée de l’IA, elle l’est toujours après. Mais à l’instar de toute science ou technologie prédictive, elle est en mesure de donner des critères tangibles pour évaluer les grandes lignes d’évolution, les risques majeurs, les points fondamentaux.
Basée sur des corrélations issues de faits, l’analyse proposée par l’IA est une référence objective que l’humain peut ainsi adapter et compléter à la lumière de sa connaissance d’autres facteurs plus subjectifs, de sa propre ambition, de ses convictions. Machiavélique, dans les termes : « Pour prévoir l’avenir, il faut connaître le passé, car les événements de ce monde ont en tout temps des liens aux temps qui les ont précédés », analysait le célèbre humaniste florentin.
Mieux servir la composante humaine de cette nouvelle entité
Et l’humain, dans tout ça ? Un processus d’acquisition, c’est un changement souvent radical pour les équipes de l’entreprise rachetée comme pour celles de l’entreprise « rachetante ». Or, ce paramètre, pourtant prépondérant, est régulièrement relégué trop bas dans la liste des priorités d’attention. Parce qu’il dépend de critères moins objectivables, parce que l’on ne sait pas toujours comment bien le qualifier, parce qu’il semble moins important que l’évolution de la création de valeur, que la croissance des revenus récurrents, du CA et de l’EBITDA. L’IA pourrait là aussi chang
er la donne. Elle permet en effet de mettre en place quantité d’indicateurs pour évaluer la réussite d’une opération de croissance externe envisagée par le prisme de l’humain. À la manière de l’IDH venu compléter le PIB, ces nouveaux éléments peuvent enrichir l’analyse en s’ajoutant aux indicateurs financiers, économiques ou commerciaux. Projections de turnover des équipes, synergies potentielles, indicateurs de performance, doublons ou conflits potentiels à anticiper, l’IA peut proposer une analyse complète de la dimension humaine de cette transition vers une nouvelle entité.
De nombreuses interfaces ou applications mises en exergue par l’IA, tels que les outils de planification ou de gestion de projets automatisés, peuvent également intervenir pour faciliter le processus de transition lui-même, et son acceptation par les collaborateurs. Grâce aux évolutions récentes des technologies d’interface humain-machine, les chatbots peuvent aussi les accompagner pour répondre à toutes leurs questions et remarques sur le processus de transition. L’instabilité psychologique générée la plupart du temps dans les équipes par ces étapes cruciales de changement est souvent liée à l’opacité qui accompagne souvent le processus. Or, pour susciter l’adhésion, rien de mieux que la transparence. Cette dernière peut être fortement facilitée par l’IA.
Ce qui pourrait initialement apparaître comme un paradoxe devient alors un raisonnement d’une logique implacable : grâce à l’IA, c’est la technologie qui peut devenir le meilleur garant d’une considération favorable à l’humain dans les processus d’acquisition. Bien utilisée, justement dosée, elle peut en effet faciliter les synergies, améliorer l’expérience collaborateur et rendre ainsi optimales les conditions de la création de valeur. Dans un monde parfois tancé pour sa froideur et son manque de considération du facteur humain, c’est un grand pas en avant. D’autant que, davantage que les KPIs, la dimension humaine est absolument fondamentale dans la réussite d’une opération de croissance externe. Même les plus artificielles des intelligences vous le diront.
Frédéric Champalbert
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Frédéric Champalbert est Corporate Vice-President – Strategy and M&A. Diplômé de l’Insead (2011), Frédéric Champalbert a réalisé sa carrière dans des fonctions commerciales dans de grandes sociétés de services informatiques (SSII) et chez SAP France, il a également une très forte expérience dans les fonctions exécutives internationales chez des éditeurs de Software Américains.
Sa connaissance des nouvelles technologies, sa vision business et son mode de management sont des atouts pour accompagner la stratégie de leader de Prodware dans la transformation digitale des entreprises.