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Crypto-monnaies : révolution économique ou arnaque ?


La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS Le simple vocable de « crypto-monnaie » porte en soi, dans l’esprit du public, l’idée de quelque chose d’impur, le préfixe « crypto », issu du grec ancien, donnant le sentiment que l’on cache quelque chose. Même si l’on sait que dans ce cas précis, il signifie...

Entreprendre - Crypto-monnaies : révolution économique ou arnaque ?

La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

Le simple vocable de « crypto-monnaie » porte en soi, dans l’esprit du public, l’idée de quelque chose d’impur, le préfixe « crypto », issu du grec ancien, donnant le sentiment que l’on cache quelque chose. Même si l’on sait que dans ce cas précis, il signifie que les crypto-devises sont construites sur la base de données chiffrées, voire cryptées.

Mais de même qu’un cryptogramme est une énigme basée sur un message chiffré, les cyber-devises demeurent une énigme dans l’opinion publique, en dehors des cercles avertis. Est-ce donc une réalité nouvelle de l’économie ou un nouveau style d’arnaques en tous genres ?

La Blockchain

Les crypto-monnaies reposent sur une « Blockchain », laquelle est une technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle, une gigantesque base de données. Les informations qu’elle contient sont envoyées par les utilisateurs, liées entre elles, vérifiées et groupées en blocs.

En s’intégrant dans la chaîne, chaque nouveau bloc vient valider et authentifier le précédent, ce qui rend impossible toute modification ultérieure. Et c’est l’ensemble de la chaîne, par ses liens internes, qui est sécurisé par des outils de cryptographie. En comptabilité, on pourrait dire qu’il s’agit d’un Grand Livre, partagé et sécurisé, qui retrace toutes les informations (ou transactions) effectuées par et entre les utilisateurs, et qui sont liées entre elles, ce qui les rend « sûres » et en garantit l’intégrité.

Il s’agit d’un système décentralisé, puisqu’il n’y a pas d’autorité centrale ou de tiers de confiance.

Les crypto-monnaies

Une crypto-monnaie est une monnaie numérique émise de pair à pair (actif numérique), sans nécessité de banque centrale, utilisable au moyen d’un réseau informatique décentralisé. Elle utilise des technologies de cryptographie et associe chaque utilisateur aux processus d’émission et de règlement des transactions.

En France, les institutions (dont l’État qui détient le monopole du droit de « battre » monnaie) refusent que l’on parle de « crypto-monnaie », considérant qu’il ne s’agit pas de monnaies, celles-ci étant du ressort des banques centrales. A leur sens, il convient d’employer le terme de « crypto-actif » pour signifier que ce ne sont que « des actifs virtuels stockés sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs les acceptant en paiement de réaliser des transactions sans avoir à recourir à la monnaie légale ». Depuis 2019, le terme juridique et fiscal consacré dans la loi est celui d’actif numérique.

Objectifs et avantages des crypto-monnaies

Les crypto-monnaies ont rencontré, depuis le début des années 2000, un réel succès, notamment auprès des jeunes générations. Certains y voient matière à spéculer, d’autres espèrent y trouver moyen de faire progresser le monde économique.

Éviter les intermédiaires et sécuriser les échanges et les données personnelles sont les principaux avantages que l’on peut retirer de la mise en place des crypto-monnaies.

Avant toute chose, elles apportent une grande liberté, les utilisateurs échangeant entre eux sans intermédiaires financiers dictant des règles. Elles permettent de s’affranchir des contraintes que nous imposent les banques. Une crypto-monnaie comme le « Bitcoin » est gérée sur un réseau informatique reliant des milliers d’ordinateurs répartis sur le globe et ouvert à tous.

Comme nous l’avons précisé, les transactions sont stockées en toute transparence au sein de la Blockchain, et sont, de ce fait, garanties, sécurisées, infalsifiables et accessibles à tous. Ce système est beaucoup plus transparent que les monnaies traditionnelles dont la traçabilité des transactions hors virements est quasi-inexistante. Les utilisateurs disposent d’un pouvoir entier sur leur crypto-monnaie. La monnaie classique n’est pas sous le contrôle de ceux qui la possèdent, parce qu’ils sont contraints par les règles imposées par les intermédiaires financiers.

Les échanges de cryptomonnaies se caractérisent par leur rapidité, et par des frais bien inférieurs aux frais bancaires actuels.

Plus largement, l’utilisation des crypto-monnaies facilitent les échanges et les accélèrent. A l’inverse des monnaies d’État, les crypto-monnaies ne subissent pas les règles des taux de change, le poids des taux d’intérêt ou les frais de toute nature qu’imposent les établissements financiers. Elles permettent donc une utilisation sans réelles contraintes à l’échelle mondiale. Les utilisateurs ou les entreprises qui y ont recours économisent bien des débours et voient s’accélérer leurs échanges, en gagnant un temps précieux. De façon évidente, les crypto-monnaies facilitent aussi les transactions entre entreprises.

Ainsi, les utilisateurs demeurent-ils propriétaires de leur compte, dans la mesure où ils détiennent seuls la clé privée et la clé publique associée qui constitue leur adresse de crypto-monnaie.

Le système en est toutefois à ses balbutiements, et pour l’opinion publique, il faudra encore beaucoup de temps pour que les crypto-monnaies remplacent les devises officielles dans les échanges commerciaux. Mais le mouvement est en marche, car les crypto-monnaies proposeront aux utilisateurs de conserver un contrôle total sur leurs fonds et des transactions mondiales sécurisées, rapides et à coût moindre. Mais certains états en font, désormais , leur monnaie officielle comme au Salvador où vous pouvez acheter votre baguette avec des bitcoins..

Certains imaginent, mais n’est-ce pas utopique que ce nouveau système « monétaire » pourrait répandre la richesse dans le monde entier, tout en garantissant la pérennité des biens des citoyens ?

Les inconvénients des cryptomonnaies

On peut en revanche identifier deux inconvénients majeurs dans l’utilisation des cryptomonnaies, l’absence de toute régulation et leur complexité.

Les crypto-monnaies seront relativement difficiles à mettre en place, notamment du fait de l’absence de toute régulation (puisqu’elle est intrinsèque à la Blockchain) ce qui trouble et inquiète les potentiels utilisateurs, institutions, commerçants et citoyens qui y voient là une absence réelle de garantie. Et un tel manque de garantie, allié à la crainte, fondée ou non, de l’escroquerie, empêche le système de se développer. D’autant plus que beaucoup y voient un effet de mode, comme on en a connu souvent durant ces dernières décennies, avec le sentiment que cette « bulle » risque d’exploser.

L’augmentation fulgurante de la valeur du Bitcoin ces dernières années ne tend pas à rassurer ceux qui seraient tentés d’y souscrire. Cela explique pourquoi, en dépit des avantages qu’elles pourraient procurer, les crypto-monnaies ne sont pas encore utilisées dans la vie courante. Et il faut bien-sûr remarquer, d’une part, l’influence, dans ce domaine, des théories du complot et, d’autre part, la mauvaise qualité des informations, voire leurs interprétations partiales, diffusées par les médias.

Si les crypto-monnaies ne sont pas encore considérées comme un outil d’avenir pour le développement de l’économie mondiale, elles sont, bien au contraire, vues comme un nouveau jeu de stratégie webisé dont le but essentiel serait la spéculation.

Toujours est-il que certains signaux doivent nous alerter.

S’agissant tout d’abord de l’incroyable spéculation qui se développe autour du Bitcoin (la crypto-monnaie de référence, s’il en est), qui se souvient encore que la toute première transaction au monde a été réalisée en 2010 lorsque que deux pizzas ont été vendues pour la somme de 10.000 Bitcoins ? Si le propriétaire du restaurant ou le client avait eu la bonne idée de conserver ces Bitcoins, il serait aujourd’hui à la tête d’une fortune ahurissante de près de 600 millions de dollars. 600 millions de dollars, c’est justement peu ou prou la somme qu’un hacker a récemment réussi à temporairement détourner d’un clic en piratant une plateforme d’échange de crypto-monnaies. Pour sécuriser ses actifs, mieux vaut donc une bonne vielle banque….

S’agissant aussi de l’impact écologique du minage de crypto-monnaies, il représente aujourd’hui une consommation électrique équivalente à celle de pays entiers. En Iran ou en Chine, des fermes de minages ont créé des pénuries d’électricité et des coupures de courant parmi la population, alors qu’aux États-Unis où elles s’installent désormais en masse, depuis leur bannissement récent de Chine, elles réchauffent des lacs entiers dont elles utilisent l’eau pour refroidir leurs serveurs, et en tuent l’écosystème.

Il faut enfin relever que 0,1% des mineurs de Bitcoins, soient 50 sociétés seulement, contrôlent 50% de la production mondiale. Une telle concentration, bien supérieure à celle de la finance classique, est de nature à ce qu’un groupe restreint de mineurs puisse prendre la main sur la majorité du réseau, et donc peser à sa guise sur les cours.

Les risques d’arnaques

La promesse de gains rapides et importants séduit nombre de personnes. Rapidité et importance des gains sont les signes avertisseurs des arnaques, essentiellement des escroqueries. Et les tribunaux ne comptent plus les dossiers de ce genre, car de plus en plus de personnes malintentionnées ont mis en place des arnaques aux cryptomonnaies (notamment au Bitcoin) afin d’escroquer les particuliers et les investisseurs naïfs ou imprudents. Il est bon de rappeler que l’escroquerie est punie de 5 ans d’emprisonnement et 375.000€ d’amende (article 313-1 du Code pénal).

Ces arnaques aux crypto-monnaies commencent par les offres de paiements en ligne avec de la cryptomonnaie. Elles se retrouvent également dans le cadre d’actions de démarchage (via des publicités postées sur le Web et qui promettent des gains énormes), du recours, libre en apparence, à des plateformes d’investissement ou à des paris sportifs via de la cryptomonnaie

L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) porte une attention suivie aux plateformes qui se créent sur le marché. Elle tient d’ailleurs à jour les listes noires des sites dont il faut se méfier. Elle publie aussi des avertissements sur les risques et des conseils sur la conduite à tenir avant tout investissement ou en cas de suspicion.

Certains signes doivent alerter l’utilisateur qui cherche à investir dans les « crypto-monnaies ». Il n’est pas toujours très simple de distinguer les plateformes frauduleuses de celles qui seraient sans risque. Néanmoins, certains signes doivent alerter : absence de mentions légales sur le site, le recours à des adresses « bidon » qui ne sont que des boites postales, des coordonnées de banques difficiles à identifier.

Focus

En 2020, le cours du Bitcoin a plus que doublé en cours d’année, et il rencontre un vrai succès auprès des jeunes générations d’épargnants. En 2021, on peut estimer qu’il existe plus de 10.000 crypto-monnaies ce qui représenterait plus de 3.000 milliards d’euros.

Certaines crypto-monnaies sont réputées être des crypto-monnaies stables (stablecoins) dont l’objectif est de répliquer la valeur d’un actif, du dollar, de l’or ou de l’euro, sans être soumis à la volatilité du marché.

Mais ces crypto-monnaies stables sont une crainte pour les banques centrales qui ont identifié un risque important pour la stabilité financière mondiale et pour la souveraineté monétaire des pays. Le Conseil de stabilité financière (CSF), qui est un groupement économique international créé lors de la réunion du G20 en avril 2009 à Londres, propose d’encadrer et de réguler les crypto-monnaies stables, tout du moins celles qui posent un problème en termes de risques financiers. Cette recommandation fait suite à une position du G7 datant de 2019.

Cela sous-entend que le système monétaire international, par la voix des banques centrales, n’entend pas perdre ses prérogatives ancestrales de contrôle et de création de la monnaie fiduciaire.

En conclusion, gardons à l’esprit que le progrès est inéluctable et que la Blockchain est aux transactions électroniques, ce que l’Internet est aux communications. Elle peut servir à garantir tous types de contrats, des brevets, des consommations d’énergies, des œuvres d’art, des objets, des médicaments, et naturellement d’ores et déjà des échanges monétaires (ce qui explique pourquoi le Bitcoin, l’Ethereum, et toutes les autres crypto-monnaies mettent en œuvre la Blockchain).

NB : le succès des crypto-monnaies a contraint les banques centrales de nombreux pays à concevoir le lancement de leur propre devise numérique, c’est ce qui ressort d’une enquête de la Banque des Règlements Internationaux (BRI). Les autorités monétaires sont de plus en plus nombreuses à travailler sur une monnaie numérique de banque centrales (CBDC : central bank digital curency).

La monnaie électronique de banque centrale (CBDC) aurait cette particularité qu’elle permettrait de réaliser des transactions électroniques sans passer par le système bancaire. Les consommateurs et commerçants détiendraient un portefeuille numérique directement auprès de la banque centrale.

Le risque d’être confronté à une désintermédiation bancaire amène les autorités monétaires à envisager de fixer une limite maximale au montant de leur (future) devise numérique qui pourrait être ainsi détenu. Pour la zone euro, la BCE (Banque centrale européenne) a déjà évoqué un montant maximum possible de 3.000 euros par personne.

Bernard CHAUSSEGROS
Merci à Martine, Bertrand et Laurent

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