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Cryptomonnaies : « Le fisc peut revenir trois ans en arrière pour vous demander des comptes »


Alors que 8% des Français possèdent des cryptomonnaies, de nombreuses zones d’ombre planent encore sur la fiscalité de cette nouvelle classe d’actifs. Éléments de réponse avec Ronan Journoud, avocat spécialisé sur les enjeux liés aux cryptoactifs. Le ministère des Finances possède-t-il un département dédié aux cryptomonnaies ? Selon nos informations, il...

Entreprendre - Cryptomonnaies : « Le fisc peut revenir trois ans en arrière pour vous demander des comptes »

Alors que 8% des Français possèdent des cryptomonnaies, de nombreuses zones d’ombre planent encore sur la fiscalité de cette nouvelle classe d’actifs. Éléments de réponse avec Ronan Journoud, avocat spécialisé sur les enjeux liés aux cryptoactifs.

Le ministère des Finances possède-t-il un département dédié aux cryptomonnaies ?

Selon nos informations, il n’existe pas encore de cellule dédiée aux cryptomonnaies à Bercy. Certes, l’administration fiscale a apporté des commentaires administratifs sur les dispositions législatives et réglementaires de portée fiscale applicables en matière de cryptomonnaie, mais elle ne dispose pas d’une direction centralisée sur ce point. L’attitude de l’administration fiscale vis-à-vis des cryptomonnaies dépend donc du sujet et des individus en fonction de l’état de leur connaissance dans ce domaine. Mais il ne fait pas de doute que cette cellule verra le jour dans le futur.

Cela témoigne-t-il d’un désintérêt de Bercy pour ce secteur ?

Non. Il y a au contraire une vraie prise de conscience de l’importance du sujet au sein de l’administration fiscale. Il existe de plus en plus de d’agents sensibilisés et qualifiés en interne sur ce sujet, notamment parmi les jeunes, et, comme tout contribuable français, certains sont également investisseurs en cryptomonnaies à titre personnel.


« Les gains en cryptomonnaies générés en 2022 pourront être redressés
jusqu’au 31 décembre 2025 »


L’administration a-t-elle les compétences en interne pour traiter ces sujets ?

Oui. Mais il faut laisser aux membres de l’administration le temps de développer leurs compétences sur un sujet complexe qui nécessite un temps non négligeable de formation et d’adaptation. N’oublions pas que l’administration bénéficie d’un avantage dans le temps sur les contribuables : le délai de reprise de trois ans qui lui permet de contrôler un exercice fiscal jusqu’à la fin de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due.

Par exemple, les gains en cryptomonnaies générés en 2022 pourront être redressés jusqu’au 31 décembre 2025. Ce délai de reprise peut même être prorogé en cas de fraude fiscale ou d’activités occultes, ce qui ne manquera pas d’arriver dans le domaine des cryptomonnaies, comme dans tout autre domaine. L’administration n’avait donc pas besoin de lancer des contrôles fiscaux tout de suite.

On a tendance à penser que l’administration fiscale a un a priori négatif au sujet des cryptomonnaies. Est-ce vraiment le cas ?

Comme partout, certains y sont moins favorables que d’autres, mais ils n’ont pas un avis définitif et caricatural. Comme dans la population française générale, les jeunes générations sont plus intéressées par ce sujet, et l’administration fiscale française n’y échappe pas.

L’administration a-t-elle des données fiables à sa disposition ?

C’est le cœur du problème. Il n’existe aujourd’hui, à ma connaissance, aucun indicateur développé par l’administration fiscale pour évaluer l’impact financier des cryptomonnaies. Ce manque d’études fait défaut aux responsables politiques. A l’heure actuelle, personne ne peut, par exemple, répondre à cette question centrale : quelles seraient les pertes ou les gains fiscaux pour l’Etat si ce dernier mettait en place une législation plus favorable aux cryptomonnaies ?

Comment se déroule un contrôle fiscal relatif aux cryptomonnaies ?

Il existe une problématique liée au traçage de l’historique des transactions. Les échanges centralisés comme Binance ou Coinbase proposent des fichiers CSV qui permettent de retracer l’historique. Ce type de document peut être soumis à l’administration fiscale en cas de contrôle.

L’administration se base également sur la déclaration fiscale des contribuables dans laquelle ils doivent lister les transactions ayant donné lieu à un évènement imposable (la conversion d’une cryptomonnaie en euro ou en dollar, ndlr). L’administration peut ensuite prendre contact avec le contribuable pour lui demander davantage d’informations.

Quels sont les principaux éléments déclencheurs d’un contrôle ?

La principale raison tient aux montants importants qui font apparaître une nette différence d’une année sur l’autre. En cas de mouvement majeur, l’administration fiscale peut donc essayer d’en savoir un peu plus…


« De nombreux contribuables se retrouvent dans l’impossibilité de tout déclarer en bonne et due forme »


Quid des portefeuilles non-custodial comme Metamask ou Phantom, qui permettent à leurs utilisateurs de détenir leurs clés privées ?

En premier lieu, notons que les plateformes d’échanges décentralisés (DEX) ne donnent pas lieu à une déclaration des comptes à l’étranger, comme on doit le faire pour des échanges centralisés (CEX) comme Binance, Kraken ou Coinbase. En revanche, le contribuable doit bien prendre en considération l’ensemble des fonds présents sur ses différents portefeuilles, dont Metamask, pour déterminer le montant de son éventuelle plus-value.

L’administration fiscale a-t-elle les moyens de suivre des transactions effectuées hors des plateformes centralisés (Binance, Coinbase, FTX…) ?

Certaines équipes spécialisées sont capables de retracer des transactions sur la blockchain. L’administration en a-t-elle la capacité ? Le fait-elle en matière de fiscalité ? Je l’ignore à ce stade. Il est possible d’imaginer que les agents, dans un premier temps, travaillerons en collaboration avec les échanges centralisés pour obtenir des informations sur les contribuables. Ensuite, il faudra analyser quel degré d’information leur sera communiqué par les plateformes. Mais quoi qu’il en soit, ils auront avec ces documents une plus grande visibilité pour tracer les transactions d’un utilisateur.

Comment les utilisateurs de la finance décentralisée, la « defi », qui ont l’habitude de mettre en place des stratégies de dépôts et d’emprunt successifs pour générer du rendement à partir de leurs cryptomonnaies, doivent-ils déclarer leurs gains ?

C’est un sujet important. Dans les faits, la complexité est énorme. Il faut théoriquement s’astreindre à un suivi draconien pour pouvoir isoler les différents types de revenus, car tous les revenus ne sont pas imposés selon le même régime d’imposition. Certains sont imposés en bénéfices non commerciaux, d’autres à 30 %… Il faut, par exemple, différencier le staking, le mining, les plus-values traditionnelles…

De nombreux contribuables se retrouvent donc dans l’impossibilité de tout déclarer en bonne et due forme car ils n’ont pas élaboré un suivi suffisamment précis qui, à leur décharge, était difficilement imaginable il y a quelques années. Il serait donc judicieux de prendre dès à présent des mesures visant à régulariser la situation de nombreux contribuables qui n’ont pas pu, par manque de connaissances, faire les choses dans les règles de l’art.

Pour lancer un contrôle, le fisc pourrait-il potentiellement retracer des transactions ayant eu lieu plusieurs années en arrière ?

L’administration fiscale peut revenir trois ans en arrière pour regarder ce que vous avez fait et vous demander des comptes. Dans certains cas, notamment en cas de fraude, la prescription peut même être étendue. Si le contribuable n’a rien déclaré, il s’expose à des redressements potentiellement très importants…

Les protocoles décentralisés ont pour habitude de distribuer gratuitement des tokens à leurs utilisateurs, les fameux « airdrops ». Quelle fiscalité s’applique à ce type de gains ?

La législation actuelle n’étant pas très claire, il y a beaucoup de confusion au sujet des airdrops. Pour faire simple, on pourrait imaginer retenir une valeur d’acquisition à 0 et déclarer l’opération sur la base du prix de cession avec une imposition à 30 % pour les particuliers selon la formule applicable.


« On peut considérer le régime français
comme relativement avantageux »


La fiscalité française est-elle plus stricte qu’ailleurs ?

Je ne pense pas. Quelques pays n’imposent pas les cryptos ou laissent un vide juridique, mais il faut faire la part des choses : si ces pays peuvent être intéressant actuellement, il suffit qu’une loi soit votée pour changer complètement leur régime fiscal.

En France, le régime peut paraître sévère sur le papier avec la flat tax à 30 %, mais il n’est pas le plus défavorable car il ne pénalise pas trop les particuliers dans la gestion de leur patrimoine. En tant que non professionnel, vous n’êtes imposé qu’en cas de conversion cryptos-euros, ou en cas d’achat d’un bien ou d’un service. Tant que vous restez en cryptos, il est ainsi possible de ne pas générer d’imposition pendant des années. On peut donc considérer ce régime comme relativement avantageux.

La situation n’est évidemment pas du tout la même pour les professionnels, ces derniers pouvant subir une imposition jusqu’à 66 % en cas de gains importants. Les particuliers peuvent être requalifiés en tant que professionnels sur des critères très subjectifs, ce qui alimente une grande incertitude en France et provoque des départs à l’étranger. Principalement des départs à l’étranger de particuliers actuellement en France, nous assisterions à des départs d’entreprises si le projet de Règlement MiCa était adopté en l’état.

Le projet de règlement « Market in Crypto Assets » (MiCA) a été adopté par le Parlement européen, mais l’amendement visant à interdire le « proof-of-work », au coeur de la validation des transactions sur la blockchain Bitcoin, n’a lui pas été voté. Est-ce partie remise ?

La situation va évoluer. Tous les députés n’ont pas le même niveau de connaissances. Lors des débats, on entend souvent des images d’Epinal sur les cryptos. Il y avait notamment une interrogation sur les cryptomonnaies fonctionnant sur le « proof-of-work », dont le bitcoin qui était pris pour cible dans ce règlement. Fort heureusement, cet amendement n’a pas été adopté, mais il peut y avoir d’autres propositions venant pénaliser ce secteur, ce qui n’est pas souhaitable. Enfin, même si tout n’est pas parfait, notons que l’industrie crypto a pris le virage vert à une vitesse beaucoup plus impressionnante que les secteurs traditionnels.

Les futures régulations française ou européenne peuvent-elles mettre un coup d’arrêt à l’innovation ?

Je pense que les députés devraient se garder de légiférer trop rapidement au risque de pénaliser un secteur stratégique pour l’avenir. L’industrie crypto est en pleine effervescence, et nous avons potentiellement sous nos yeux les futures GAFAM européens.

Le dernier texte du projet de règlement (MiCA), qui prévoit d’assujettir les acteurs crypto à des obligations draconiennes (obligation de signaler tous les transferts de plus de 1 000 euros aux autorités, KYC à réaliser dès un euro…), risque de pénaliser un secteur pourtant florissant en Europe, et plus particulièrement en France, au bénéfice d’acteurs étrangers comme Coinbase ou Binance.

Comme lors du virage de l’internet dans les années 90, l’Europe bénéficie des entreprises les plus innovantes et les plus avancées dans le domaine, mais risque de se voir dépasser dans les années à venir par les pays anglo-saxons à cause d’une législation trop pénalisante et inadaptée.

Quelle imposition s’applique aux NFT ?

Officiellement, lorsqu’on achète ou vend un NFT, et tant qu’on reste en actifs numériques, on n’a pas de raison d’être imposé. Cela dit, il y a un débat en France. Les NFT sont soumis à la flat tax avec un taux d’imposition à 30 %. Mais la définition communément admise d’un NFT n’est pas en adéquation avec la définition d’un actif numérique établie par le législateur… Il y a encore des débats. Le gouvernement a d’ailleurs reçu des propositions pour imposer les NFT en fonction du sous-jacent qu’il représente. C’est un sujet important, car de nombreux acteurs dépendent de ce secteur.

La législation va-t-elle évoluer ?

C’est certain. Le régime fiscal va changer, car il n’est pas viable sur le long terme. A terme, les NFT seront imposés en fonction du sous-jacent qu’ils représentent. Ainsi, si un NFT est attaché à une œuvre d’art, il faudrait l’imposer comme une œuvre d’art.


« A terme, les NFT seront imposés en fonction
du sous-jacent qu’ils représentent »


A quels types de problématiques fiscales font face les détenteurs de cryptomonnaies ?

Ils se posent des questions à propos de la législation. Ils veulent notamment savoir quel est leur profil : investisseur occasionnel ou professionnel. Répondre à cette est la seule manière de connaître leur régime d’imposition.

Etes-vous également sollicité par des entreprises ?

Absolument. Nous sommes très sollicités par les entrepreneurs pour structurer juridiquement leur projet (création de structure, obtention d’agrément auprès de l’AMF…). Aujourd’hui, l’adoption au sein des entreprises est forte. Des projets lèvent des fonds et l’écosystème est bouillonnant. De nombreuses entreprises traditionnels souhaitent également rémunérer, au moins en partie, leurs salariés en cryptomonnaies. Par ailleurs, la « NFTéisation » des entreprises est très rapide, de nombreuses entreprises mondiales et notamment du CAC40 réfléchissent actuellement en interne à associer leurs produits à des NFT.

Des entreprises étrangères à l’industrie des cryptomonnaies font-elles appel à vous ?

Oui. Il s’agit d’entreprises dont le virage vers la crypto revêt un intérêt stratégique. Par exemple, les entreprises vendant des collectibles physiques auront vocation à vendre leurs collections sous forme de NFT. En ratant ce virage, ils savent qu’ils peuvent disparaître dans les prochaines années en raison de la concurrence.

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