La PME franc-comtoise, premier fabricant d’articles culinaires inox haut de gamme, a su renaître de ses cendres. Aujourd’hui, Cristel s’invite même dans les cuisines des chefs étoilés avec une gamme professionnelle.
Il y a 30 ans, sans l’intervention du couple Dodane, c’en était terminé de Cristel ! Placés trois fois en redressement judiciaire en 8 ans, les ateliers de Fesches-le-Châtel (Doubs), qui fabriquent des casseroles depuis 1826, vont très mal. L’historique entreprise, devenue une coopérative ouvrière (Coop Cristel), cherche alors un repreneur pour poursuivre son activité.
À l’époque, Bernadette Dodane est une comptable de renom, formatrice et conseillère en entreprise, mandatée pour effectuer une étude de faisabilité. Très impliquée, elle sollicite l’expertise de son mari, dessinateur et technicien chez Peugeot, pour l’aider dans sa mission.
Après une longue visite des ateliers, Paul Dodane a l’idée qui va tout changer : le cuisson-service, c’est-à-dire la fabrication d’ustensiles à poignées amovibles pouvant passer de la cuisine au salon grâce à un design élégant. Après le franc succès de la présentation d’un prototype au salon Bijorhca, les salariés et la direction de la PME en péril demandent au couple de reprendre les rênes.
En 1987, les Dodane foncent, hypothéquant leur maison pour constituer le capital de la nouvelle SA Cristel avec «23 associés, ni financiers, ni spéculateurs. J’avais refusé deux fois par le passé car, selon moi, Cristel était une ruine, une friche industrielle. C’est mon mari qui a voulu y croire et m’a convaincue. Nous avions 47 et 48 ans, pas vraiment l’âge de faire un saut dans le vide, surtout vu nos carrières confortables», se souvient Bernadette Dodane. 12 M€ de CA plus tard, la PME est leader sur son secteur !
Tout reprendre à zéro
Le couple repense toute l’organisation de Cristel, qui vendait à ses deux seuls clients en-dessous du prix de revient. Si les machines sont capables de faire des merveilles, elles ne peuvent en revanche assumer d’importantes cadences de production. Les Dodane décident donc de ne pas fabriquer un produit banalisé, et optent pour un produit à plus forte valeur ajoutée. Leur choix est celui du moyen et haut de gamme, une stratégie immuable depuis 30 ans.
«Faire du haut de gamme, c’est être précis. Nous avons ainsi une opération de contrôle à chacune des 13 étapes de fabrication». Cristel fait parler d’elle, au point que, très vite, les ustensiles raffinés imaginés par Paul Dodane s’invitent à table grâce au concept cuisson-service. Mieux encore, en 1992, la PME franc-comtoise révolutionne les habitudes des Français en inventant la compatibilité induction.
«Depuis le début, notre objectif est de proposer des nouveautés chaque année. L’innovation est notre cœur de métier et nous y consacrons d’ailleurs 7% de notre CA annuel», souligne Bernadette Dodane. Et chez Cristel, le made in France est une évidence, pas une obligation.
«Notre taux d’intégration de fabrication française est de 90,25%. Nous sommes la première entreprise industrielle labellisée Origine France Garantie», explique fièrement la dynamique septuagénaire, qui ne manque pas de vanter les mérites de son époux, concepteur et designer de toutes les gammes d’ustensiles.
«Mon mari est un homme talentueux. Il sait tirer parti de tout avec un minimum de moyens. C’est un travailleur infatigable, il a toujours énormément d’idées». La complémentarité du créatif et de sa compagne gestionnaire est loin d’être un détail dans le succès de cette PME de 90 salariés où le turnover n’existe pas.
Opération déploiement
En 2016, Cristel met en place un plan d’investissement de 4,3 M€ pour un déploiement industriel. L’entreprise injecte ainsi 1,5 M€ dans une ligne de production destinée aussi bien à assurer la pose de revêtement sur les casseroles neuves, que permettre à ses clients de «rechaper» leurs anciennes poêles.
Une technique propre à allonger la durée de vie des produits. «Environ 25% de l’activité de la ligne est consacrée à cette prestation. Le revêtement n’a pas une durée de vie illimitée, mais, pour certaines de nos collections, nous sommes proche de l’orfèvrerie.
Comme Hermès rénove ses sacs, nous voulons faire durer nos produits», détaille Bernadette Dodane. Il suffit aux particuliers d’envoyer leur casserole par la poste et l’entreprise la remet à neuf pour environ un tiers de sa valeur. Cette année, la PME de Fesches-le-Châtel a également investit dans des presses hydrauliques automatisées capables de produire de plus gros gabarit pour les besoins de la gamme Castel’Pro, dédiées aux professionnels des fourneaux.
«Les chefs utilisaient déjà nos produits dans leur sphère privée, mais nous réclamaient une gamme pour leurs restaurants. Nous avons donc modifié notre circuit de production. En amont, nous avons invité des professionnels dans nos ateliers afin qu’ils définissent leur produit de rêve.
Castel’Pro est ainsi née du désir et des souhaits des chefs», commente la présidente, optimiste quant au succès de cette ligne qui s’étoffera dès septembre. Il faut dire qu’elle a déjà reçu des commandes de Joël Robuchon, Alain Ducasse, Éric Frechon et Pierre Gagnaire.
Se renforcer à l’export
Distribuée dans plus de 40 pays, la marque souhaite augmenter ses cadences pour poursuivre son expansion à l’international. Aux côtés du Japon, marché historique à l’export avec le même distributeur depuis 1991, Cristel mise sur les États-Unis. En 2011, la PME a d’ailleurs créé une filiale de commercialisation outre-Atlantique, ce qui lui permet d’être distribuée dans une vingtaine de magasins Bloomingdale’s et la célèbre chaîne Williams-Sonoma.
«Une consécration», se réjouit Damien Dodane, directeur général adjoint, qui s’échine depuis 4 ans à imposer ses produits sur cet immense marché. «Le développement aux USA est très lent car nous avons un concept difficile à vendre. En France, la cuisson et le service sont importants, alors que les Américains s’en fichent complètement car ils cuisinent peu.
On ne fait pas bouger les lignes du jour au lendemain, mais nous avons pour objectif de faire connaître Cristel au grand public», souligne Bernadette Dodane, avant d’ajouter : «Nos revendeurs américains attendent la collection professionnelle à la rentrée afin de convaincre les chefs de leur circuit. Cette collection professionnelle légitime tous nos produits dans le domestique !».
Avec une santé financière rayonnante et de belles perspectives, la PME du pays de Montbéliard intéresse d’ailleurs les holdings comme LVMH ou Edmond de Rothschild… mais c’est bien mal connaître les valeurs de la famille Dodane.