Le prochain quinquennat pourrait être l’occasion d’entamer la baisse du nombre de mandats et leur cumul, pour réaliser des économies mais aussi renouveler la démocratie.
Notre pays compte 645.124 élus (577 députés, 348 sénateurs, 74 députés européens, 1.880 conseillers régionaux, un nombre resté inchangé malgré la réduction du nombre de régions), 4.108 conseillers départementaux, 36.000 maires et 521.661 de conseillers municipaux, sans compter les 80.400 élus intercommunaux…
Face à ces chiffres qui donnent le tournis, il est clair qu’il va falloir réduire le nombre de mandats pour réorganiser le mille-feuille français. Dans le cadre des élections présidentielles, les candidats commencent à parler d’une baisse du nombre de parlementaires. La réduction du nombre de députés à environ 350 et du nombre de sénateurs autour de 150 est devenue une évidence. Mais la France ne doit pas être en reste et le prochain quinquennat sera l’occasion d’entamer avec courage la baisse du nombre de strates et du nombre de mandats locaux.
À commencer par les communes ! Il faudra réduire le nombre de conseillers dans les grandes villes mais aussi fusionner les communes de moins de 5.000 habitants avec, d’ici à 2020, 10.000 supercommunes de 5.000 habitants au lieu des 36.000 communes que l’on compte actuellement. Cette refonte de la carte communale s’accompagnerait d’une suppression de l’échelon intercommunal.
Pratique quasi généralisée du cumul des mandats
Cela permettrait aussi de renforcer l’indemnisation des conseillers municipaux pour ne plus les inciter à multiplier les mandats. La France se singularise encore par une pratique quasi généralisée du cumul des mandats. 80% des parlementaires français cumulent leur mandat avec une fonction exécutive locale, contre 24% en Allemagne et 3% au Royaume-Uni.
Il sera nécessaire également de réduire le très grand nombre de conseillers régionaux aujourd’hui au nombre de 1.880. Le bon objectif serait d’arriver à environ 660 conseillers régionaux, soit une cinquantaine par région. Avec de telles réformes, le nombre d’élus baisserait substantiellement de 645.124 à 114.000 élus et ramènerait la France dans un taux de représentation équivalent à celui de l’Allemagne ou des États-Unis, soit environ un élu pour 600 habitants.
Le cumul des mandats vertical et horizontal
On doit distinguer le cumul vertical de mandats, c’est-à-dire le cumul d’un mandat de parlementaire national avec des fonctions locales, et le cumul horizontal de mandats au niveau local, y compris le mandat de député européen. Le cumul du mandat de parlementaire national et d’un ou de plusieurs mandats au niveau local est une pratique relativement commune depuis le XIXème siècle en France. Cependant elle s’est largement renforcée à partir de 1958.
Ainsi le cumul était de 36% en 1936 à 64% en 1958. En 2012, environ 82% des députés (476 sur 577) et environ 77% des sénateurs (267 sur 348) exerçaient au moins un autre mandat électif. Cette pratique du cumul, majoritaire en France, fait figure d’exception en Europe. En effet, dans la plupart des pays européens, la proportion d’élus en situation de cumul ne dépasse pas 20%.
Comme l’a souligné l’étude réalisée en 2012 par Laurent Bach pour le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), les députés français détiennent en particulier des mandats locaux de grande ampleur. Ainsi, plus de la moitié des mandats de maire détenus par les députés concernent des villes de plus de 9.000 habitants, alors que la proportion de villes de plus de 9.000 habitants en France métropolitaine n’est que de 2,5%.
Trois comités différents ont préconisé d’interdire le cumul entre un mandat parlementaire et des fonctions exécutives locales :
– en 2000 un comité présidé par Pierre Mauroy ;
– en 2007 le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, présidé par Édouard Balladur ;
– en 2012, la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, qui a également proposé de proscrire le cumul d’une fonction ministérielle et l’exercice de toute fonction locale (mandat exécutif ou simple).
Selon ces missions de réflexion, l’interdiction du cumul permettrait d’accroître la disponibilité des parlementaires, d’accompagner le renforcement du poids du Parlement au sein des institutions de la Vème République, de restreindre les situations de conflits d’intérêts que crée le cumul des mandats, et de favoriser le renouvellement du personnel politique.
Deux textes ont été élaborés : une loi organique concernant les députés et sénateurs et une loi ordinaire pour les députés européens. Ces textes, promulgués le 14 février 2014, prévoient d’interdire aux députés et sénateurs d’exercer certaines fonctions. Le nouveau texte de loi autorise qu’un député ou sénateur démissionnaire pour cause de cumul de mandats soit remplacé par son suppléant. Jusque-là, une élection partielle devait être organisée.
Les règles de remplacement actuelles auraient pu conduire à de nombreuses élections partielles avec la crainte d’une déstabilisation des assemblées et d’une lassitude des électeurs. Les nouvelles dispositions doivent s’appliquer lors des élections législatives, sénatoriales et européennes qui se tiendront après le 31 mars 2017. Les premières élections à se dérouler selon ces nouvelles modalités devraient être les législatives de juin 2017, puis les sénatoriales de septembre 2017 et les européennes de 2019. L’article 6 de la loi organique impose que le parlementaire en situation de cumul doive conserver le dernier mandat qu’il a acquis. Chaque parlementaire qui sera élu au cours de son mandat à une fonction exécutive locale devra nécessairement concéder son mandat parlementaire à son suppléant. La suppléance est ainsi indéniablement revalorisée.
Certaines possibilités de cumul perdureront toutefois après cette réforme. À chaque mandat, une possibilité de cumul restera ouverte. Il sera ainsi possible pour un parlementaire de cumuler son mandat avec un mandat local simple : conseiller municipal, communautaire, départemental ou régional.
En outre, le projet de rendre complètement incompatibles la fonction de ministre et une fonction exécutive locale a été abandonné. Par ailleurs, aucune limitation n’a été formalisée quant au cumul des mandats dans le temps. Un amendement prévoyant que les députés et sénateurs ne pourraient exercer plus de 3 mandats successifs n’a pas obtenu l’aval gouvernemental et a été retiré en séance. Cette proposition semblait pourtant de nature à atteindre l’objectif de renouvellement de la classe politique. François Hollande a d’ailleurs déclaré, lors de son discours à la salle Wagram, vouloir limiter le cumul des mandats dans le temps «afin que la démocratie soit renouvelée».
Le cumul de mandats locaux
La loi du 5 avril 2000 proscrit le cumul de 2 présidences d’exécutifs locaux et de plus de 2 mandats locaux simples mais ne vise pas les mandats exercés au sein d’un conseil communautaire. Depuis 2000, les règles de non-cumul concernant les mandats locaux sont les suivantes :
– il est interdit de cumuler 2 présidences d’exécutifs locaux : maire, président de conseil régional, président de conseil général ;
– il est interdit de disposer de plus de 2 des mandats suivants : conseiller régional, conseiller général, conseiller municipal.
En revanche, il n’est pas tenu compte des responsabilités exécutives liées aux regroupements de communes, devenus pourtant de plus en plus importants en termes de budget et d’effectifs. Il est par ailleurs fréquent que les élus locaux disposent de mandats dans les entreprises publiques locales (EPL), les sociétés d’économie mixte (SEM) ou les syndicats mixtes (SM).
Concernant les députés européens, outre le fait qu’ils ne peuvent pas être titulaires d’un mandat de parlementaire national, ils ne peuvent pas exercer plus d’un mandat parmi les suivants : conseiller régional, conseiller à l’assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d’une commune de plus de 3.500 habitants.
Il leur est donc encore possible de cumuler plusieurs mandats. La réforme de 2014 sera en application seulement à partir des prochaines élections de 2019. Le cumul concerne aujourd’hui 40,5% des 74 représentants français au Parlement européen. Ce cumul est 2 fois plus élevé que la moyenne des 6 pays européens relevée par la fondation Robert Schuman (Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Pologne, Espagne et France) qui atteint 19,6% de députés «cumulards». En Allemagne, le taux de cumul s’élève à 22,2% alors que l’Espagne affiche seulement 11,1% et le Royaume-Uni 4,1%.
La loi sur le non-cumul votée en 2014 laissera donc aux députés européens une possibilité de cumuler leur mandat avec un mandat local simple. Pour les élus locaux, une possibilité de cumul restera également ouverte. En effet, les présidents d’exécutifs locaux tout comme les membres d’exécutifs locaux, conserveront la possibilité d’un cumul avec un autre mandat local, y compris avec une fonction exécutive locale. Les lois anti-cumul devraient avoir pour conséquence une hausse du nombre d’élus, en dépit des possibilités de cumul qui subsistent encore.
Le cumul des indemnités
Dans la législation française sur le sujet du cumul, on distingue, d’une part les règles qui déterminent le nombre maximal de fonctions et de mandats dont on peut disposer simultanément, et, d’autre part, les règles qui déterminent le montant maximal des indemnités dont peuvent disposer les élus au total.
– Les parlementaires.
La limitation du cumul des indemnités perçues par les élus est apparue en 1992 seulement. Depuis, un élu ne peut plus percevoir plus de 1,5 fois le montant de l’indemnité parlementaire de base au titre de ses différents mandats. Actuellement, un parlementaire ne peut donc pas percevoir plus de 2.757,34 € au titre de ses mandats locaux, cette somme s’entendant déduction faite des versements obligatoires aux régimes d’assurance-maladie et d’assurance-vieillesse.
Cette limite concerne l’indemnité parlementaire de base et l’ensemble des indemnités des élus locaux, mais aussi les rémunérations perçues au titre de la présidence de sociétés d’économie mixte et de groupements de communes. Ainsi les mandats intercommunaux ne sont-ils pas compris dans le cumul des mandats mais sont compris dans le cumul des indemnités.
La loi de 1992 ne prévoit pas que le montant des indemnités qui dépasse la limite maximale soit nécessairement reversé au Trésor public. Des textes ultérieurs ont précisé que l’élu peut redistribuer ces sommes aux élus locaux de son choix, si ces élus font partie de la même assemblée, et si le reversement est approuvé par cette assemblée. Ce système de «l’écrêtement» a été modifié par la loi de 2013 sur la transparence dans la vie publique.
Désormais, la part écrêtée résultant d’un cumul d’indemnités de fonctions est reversée au budget de la personne publique au sein de laquelle le conseiller exerce le plus récemment un mandat ou une fonction. On peut par ailleurs noter que la réglementation sur le cumul des indemnités perçues par les élus semble considérer les frais effectifs de chaque mandat comme totalement indépendants les uns des autres puisqu’ils sont cumulables, tout comme les frais des ressources humaines et techniques.
– Les indemnités des mandats locaux.
Si les fonctions électives sont gratuites en principe, les élus peuvent bénéficier d’indemnités de fonction. Le montant des indemnités de fonction est fixé en pourcentage du montant correspondant à l’indice brut 1015 de rémunération de la fonction publique, et varie selon l’importance du mandat et la population de la commune. Au niveau des communes, les indemnités de fonction des élus sont fixées par le conseil municipal qui délibère dans les trois mois suivant son installation.
Ces indemnités de fonction constituent une dépense obligatoire pour la commune.
Une indemnité de représentation peut également être allouée au maire par le conseil municipal, cette dernière n’étant ni imposable ni plafonnée. Les conseillers municipaux de l’ensemble des communes, quelle que soit leur population, peuvent bénéficier d’une indemnité maximale de fonction brute mensuelle égale à 6% de l’IB1015, soit 228,09 €, cette indemnité étant comprise dans l’enveloppe budgétaire «maire et adjoints».
Le cumul des indemnités des fonctions locales est plafonné, tout comme pour les parlementaires qui cumulent plusieurs mandats. L’ex-présidente de l’intercommunalité de Fécamp et actuelle secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales, Estelle Grelier, cite le cas d’un maire d’une commune dont la responsabilité ne s’exerce que devant 300 habitants alors qu’il cumule les fonctions de président d’agglomération, du syndicat des rivières, du syndicat de l’eau, de celui de l’assainissement, et de vice-président du syndicat de l’énergie. Avec une indemnité maximale de 711,25 € par mois pour le président d’un syndicat mixte «fermé», on comprend mieux cette boulimie de fonctions. Outre des conseillers municipaux ou communautaires, on trouve dans les conseils syndicaux «des personnalités qualifiées» recasées après des défaites électorales. On peut légitimement se demander comment un maire peut cumuler autant de postes de présidence ou de vice-présidence. Soit il s’agit de postes à temps très partiels, qui sont dans ce cas-là très bien rémunérés, soit ce sont effectivement des postes à temps complet que l’élu local néglige, précisément en raison de ses cumuls.
Le montant des indemnités versées aux élus s’élevait à plus de 2 Mds€, dont 1,2 Md€ pour les élus locaux.