Rendre l’eau accessible dans des zones isolées ou arides, grâce à des énergies renouvelables, voici le formidable défi de Jean-Philippe Compain avec Aguasmart.
Des panneaux photovoltaïques sur le toit d’un container ou muni d’une petite éolienne, voici ce qui permet de faire fonctionner une pompe solaire. Le traitement d’eau peut ainsi s’effectuer, soit par osmose inversée ou ultra-filtration en fonction des caractéristiques et de la pollution de l’eau d’origine, qui est ensuite restituée apte à la consommation. Cette unité autonome a bien des qualités. Zéro carbone grâce au soleil et au vent, dépolluante, simple à installer et entretenir sans oublier qu’elle est totalement autonome. Une formation sur le terrain est fournie par l’entreprise afin de pouvoir la réparer le cas échéant, son fonctionnement étant facile à appréhender.
Aller encore plus loin
Mais l’offre d’Aguasmart est aussi plus que cela. Si son but initial est de fournir de l’eau potable dans des zones sans énergie, ou à énergie intermittente, l’unité peut également être utilisée pour d’autres services comme le (re)chargement d’appareils électroniques. Par exemple, pour des smartphones ou ordinateurs utilisés dans le cadre de l’éducation à distance.
Un fonctionnement B2B
L’offre d’Aguasmart s’adresse aux distributeurs et non pas aux particuliers, il s’agit d’une activité BtoB. Le réseau de partenaires est identifié, et les distributeurs susceptibles de collaborer sont d’ores et déjà connus. Car l’entreprise vise des milliers de micro-marchés, des zones rurales qui ne peuvent pas être fournies par les grandes compagnies énergétiques, éloignées des centres urbains ou difficiles d’accès. Les banlieues de grandes villes sont aussi concernées, car bien souvent, les réseaux d’eau ne sont pas présents. Comme dit le fondateur « Nous ne jouons pas dans la même cour que des Véolia, Suez, qui ne sont pas intéressés par ces marchés de niche ».
Comment est née votre innovation ?
Jean-Philippe Compain : J’ai beaucoup voyagé, habité en Afrique et Amérique du sud, j’ai rencontré les populations confrontées aux problèmes de l’eau et des déchets. Cela fait trente ans que je suis dans le secteur de l’eau, en tant que consultant, et conseil pour des entreprises locales étrangères. Un jour, lorsque je vivais au Venezuela, je suis allé du côté de l’Amazonie. Je constate qu’il n’y a pas du tout d’eau potable, ce qui me semblait incroyable pour un pays riche en gaz et en pétrole, qui disposait de ressources énergétiques.
L’un de mes amis me répond que si cela est possible techniquement, c’est tout à fait impossible étant donné les distances, car d’un point de vue économique, le coût serait énorme. Une amie me fait remarquer « mais ton énergie, elle est là » en montrant le soleil. Dès mon retour en France, j’ai contacté des ingénieurs pour faire une étude et mettre en place un prototype grâce à un financement OSEO à l’époque. L’entreprise a été créée en 2011. Elle a été référencée par l’ONU en quinze mois seulement grâce à Business France, avant d’obtenir le label Innovation BpiFrance.
Comment se sont passés les débuts ?
J-P. C. : Après cette première phase, j’ai commencé à prendre mon bâton de pèlerin, et mis sur internet notre prototype. J’ai immédiatement reçu quelques 500 demandes par semaine, car il existe des millions de sites isolés, avec une énergie intermittente ou chère. Un obstacle majeur a été rapidement identifié : il était impossible pour les clients d’obtenir les financements nécessaires pour acheter, ni même obtenir des garanties.
Les partenaires d’Aguasmart ont soutenu l’activité pendant quatre ou cinq ans avec constance. Ils se sont finalement retirés, même si la demande était toujours là. Finalement, nous avons modifié notre offre en ne vendant plus des unités, mais en vendant de l’eau. L’installation des unités, le pompage, la potabilisation et la mise en bonbonne réutilisable ou contenant recyclable doivent être financés, permettant de vendre l’eau directement aux distributeurs.
Par exemple à Kinshasa, dans les banlieues éloignées où l’eau potable n’est pas disponible, une bouteille d’eau d’1,5 litre est vendue à 1 euro. Avec une unité de 180 000 litres par jour, notre distributeur peut la proposer entre 5 et 7 centimes le litre. Mais il faut déjà avoir l’argent disponible pour installer ces unités complètes qui coûtent chacune entre 700 000 et 800 000 euros.
Quels sont les écueils que vous rencontrez en matière de financement ?
J-P. C. : Nous nous heurtons à un problème récurrent en France, les financements, pourtant nos besoins sont peu importants. Peut-être pas assez, car je constate qu’il est plus simple de trouver un organisme qui prête des millions que 200 000 euros ! De même, on trouve des financements pour les TPE, pour installer un fast food ou un salon de coiffure. Mais dès que l’on évoque le développement durable, l’exportation ou l’ Afrique, les banques ne suivent pas. Or, dans les pays africains, il est quasiment impossible de trouver les financements locaux, et croyez-moi, j’ai frappé à toutes les portes !
Vous annoncez pourtant une rentabilité de 8 à 10% net par an ?
J-P. C. : Bercy me connaît bien, et même au niveau européen, le projet plaît mais n’est pas assez important. BPI a pourtant financé à hauteur de 200 000 euros pour le prototype, mais ne peut pas prêter 1 million d’euros. Ces types d’aides ne sont pas faites pour les PME et PMI à l’exportation.
J’ai contacté tout le monde, mon surnom est devenu « le chasseur de primes ». Je contacte aujourd’hui uniquement des investisseurs privés qui acceptent de prendre un risque « calculé ». Je suis en relation avec un fonds à Dubaï, avec un investisseur chinois, mais pas de partenaire d’origine européenne. Dommage, car c’est un projet modeste, mais très porteur pour l’image de la France. Il est difficile de parler avec des gens qui n’ont pas l’esprit d’entreprise et n’ont aucune idée de la création, encore moins lorsque l’activité se fait à l’étranger.
De plus, l’eau n’est pas une énergie comme une autre, elle joue un rôle important dans différents domaines, parfois surprenants. Ainsi, Veolia a dû par le passé renoncer à l’implantation d’une usine au Vietnam, alors que le gouvernement avait donné son feu vert, mais sans savoir que ce lac était considéré comme sacré. La rentabilité est excellente, car l’eau est chère dans ces pays, notamment en Afrique. Une fois la première unité installée, l’autofinancement est possible dès la seconde. Les comptes prévisionnels sont à disposition des investisseurs.
Vous commercialisez également une « Solar Froz-Box », une unité de réfrigération et congélation ?
J-P. C. : Oui, il s’agit d’un container autonome réfrigérant, qui peut être utilisé pour les aliments, les médicaments, à destination des populations de zones reculées, des bases de vie, en bord de mer, etc. Nous proposons à la location une unité faite par un Français.
Par exemple, sur les ports africains, les pêcheurs arrivent à la criée, et s’ils disposaient d’un container froid avec des panneaux solaires pour leur arrivée (pas de congélation, car trop gourmand en énergie), ils pourraient garder les surplus de leur pêche pendant 3 ou 4 jours. J’ai constaté personnellement les volumes de poissons jetés au port de Dakar et les tonnes d’aliments jetés les jours de marché à Ouagadougou. Nous avons un boulevard pour proposer des produits intéressants. Nous devons y arriver !
A.F.