Isophrène, linalol, géraniol : ces molécules créées à partir de ressources fossiles tarissables étaient menacées d’extinction… Jusqu’à ce que l’entreprise montpelliéraine Deinove imagine un procédé pour fabriquer ces précieux composés. Au coeur de la «machinerie» Deinochem, des bactéries : les Déinocoques.
Aujourd’hui, la majeure partie des molécules utilisées dans l’industrie est pétrosourcée. Fabriqués à partir de ressources fossiles tarissables, le pétrole notamment, dont l’approvisionnement dépend de pays tels que l’Arabie saoudite, la Russie, le Nigeria et la Libye, ces composés dits isophrénoïdes sont à terme menacés d’extinction.
Or, l’isophrène, le linalol et le géraniol entrent dans la composition de produits essentiels à la bonne marche de nombreuses industries, parmi lesquelles le pneumatique, la détergence, le cosmétique et la parfumerie. Ces éléments de contexte posés, on prend aussitôt conscience de l’importance des enjeux (environnementaux, économiques et géopolitiques) que sous-tend le projet Deinochem.
Porté par Deinove, société fondée en 2006 à Montpellier, spécialisée dans la production de biocarburants, le projet Deinochem ambitionne de créer une nouvelle génération de molécules chimiques biosourcées, issues de biomasses non alimentaires (drêches, paille de blé, épis de maïs, cultures énergétiques dédiées et déchets organiques), susceptibles de se substituer aux actuels composés pétrosourcés. Au coeur de ce procédé biotechnologique révolutionnaire, la bactérie Deinococcus .
Un procédé reposant sur l’exploitation de la bactérie Deinococcus
Les procédés de bio-production développés par Deinove, multiples selon la molécule recherchée, reposent sur l’exploitation de la bactérie Deinococcus .
Un micro-organisme aux propriétés exceptionnelles, auquel la revue Biofuels Digest a récemment décerné le titre de Microbe de l’année 2014. Emmanuel Petiot, directeur général de Deinove, continue à s’enthousiasmer pour ces organismes vivants : «Les Déinocoques présentent divers atouts. Ils sont capables de produire naturellement des caroténoïdes [pigments végétaux solubles dans la graisse et antioxydants, responsables de la couleur rouge, jaune, orange ou verte des plantes], des vitamines et des enzymes à partir de sucres simples.
Les propriétés de Deinococcus sont hors du commun
Thermophiles et robustes, ces bactéries sont en outre capables de résister à des niveaux de concentration en composés chimiques très élevés». Les propriétés de Deinococcus (robustesse hors du commun, dégradation de la biomasse, fermentation, stabilité génomique, thermophilie…) lui permettent de faire l’objet d’un procédé solide, reproductible et extrêmement rentable. On comprend mieux pourquoi l’entreprise de « cleantech» aux commandes du projet Deinochem conserve 6.000 micro-organismes, dont « 2.500 Déinocoques et 3.500 bactéries d’autres espèces», précise Emmanuel Petiot, dans sa banque de souches.
Afin de produire des molécules chimiques bio sourcées qui serviront à fabriquer des produits pour un coût environnemental moindre, les Déinocoques sont collectées au sein d’une banque de souches, sélectionnées en fonction des attentes des industriels, éventuellement modifiées génétiquement afin d’améliorer leurs performances naturelles et, enfin, placées dans un fermentateur.
De la R&D au démonstrateur
Démarré en 2010, le projet isophrénoïdes à partir duquel a été initié le programme Deinochem se concentre sur l’identification des souches de Déinocoques les mieux adaptées à la fabrication de molécules chimiques d’intérêt industriel, ainsi que sur le développement de la plateforme d’ingénierie métabolique et fermentaire de Deinove. Son dirigeant annonce que «l’efficience de la plate-forme, autrement dit, sa capacité à produire les molécules recherchées en grande quantité et à moindres coûts, sera démontrée fin 2014 » pour que Deinochem continue de bénéficier du soutien financier de l’Ademe (une enveloppe de 5,9 M€ ).
Débuté en 2013, le projet s’articule autour de 2 étapes-clés, allant de la recherche à la construction d’un démonstrateur. Dans un premier temps, Deinove a sélectionné 3 espèces d’isophrénoïdes (les caroténoïdes, l’isophrène et un ensemble de molécules fabriquées à partir du caoutchouc ou du pétrole, dont le linalol et le géraniol), afin de construire des souches productrices et d’optimiser les capacités d’expression de la voie des isophrénoïdes au niveau des 2 molécules ciblées. Ces dernières seront choisies en fonction de leurs performances économiques et environnementales.
Dans un second temps, Deinove optimisera son procédé fermentaire de production des molécules sélectionnées jusqu’au stade d’un réacteur de 20 litres. Ce réacteur jouera le rôle de démonstrateur de recherche. À terme, «les composés d’intérêt industriel seront produits dans des fermenteurs de plusieurs centaines de litres », assure Emmanuel Petiot. «Cette étape nécessitera la mise en oeuvre de partenariats de mise à l’échelle, à l’instar de celui conclu entre Deinove et le Michigan Biotechnologies Institute pour la fabrication d’éthanol par fermentation ».
Des retombées considérables
En proposant aux industriels une alternative aux molécules pétrosourcées qui, issues de la combustion du pétrole, participent à l’accentuation de l’effet de serre, donc au dérèglement climatique, le projet Deinochem contribue à la construction d’un monde propre et responsable.
Outre l’amélioration des bilans énergétiques et environnementaux des composés biochimiques d’intérêt industriel (caroténoïdes, linalol, géraniol…), qui pourront désormais être produits à partir de ressources organiques renouvelables, les procédés développés par Deinove ont d’importantes répercussions économiques. La technologie de Génoplante-Valor, à partir de laquelle est élaborée la souche de Deinococcus utilisée dans le procédé de conversion de biomasses en composés isophrénoïdes, et dont Deinove détient la licence, sera commercialisée auprès d’industriels. Selon l’Ademe, le marché de ces composés pèsera 340 Mds€ en 2017.