La chronique économique hebdomadaire de Bernard Chaussegros
Enfin ! Les théâtres et autres lieux culturels ouvrent à nouveau leur porte et retrouvent publics, salariés, comédiens… Un souffle retrouvé alors que le spectacle vivant se meurt à petit feu. Jauges réduites, expériences en espace public, numérique : les arts de la scène ont jonglé avec les mesures sanitaires pour se maintenir depuis le début de la crise sanitaire.
Le difficile passage des années Covid-19
Le rythme de croissance annuel du secteur de la culture en France était avant la crise d’environ 6 % selon le Prodiss. Le monde du spectacle accuse encore aujourd’hui le coup d’une crise qui s’est prolongée et qui, à coup sûr, marquera de son empreinte, et certainement durablement, les modes de consommation et les modes de vie de notre société. La phase de croissance de cet environnement s’est en effet stoppée nette, avec une perte évaluée par une étude EY à 1,8 milliard d’euros en 2020 pour l’environnement culturel..
C’est la raison pour laquelle il est temps de prendre un virage important et de continuer à réinventer le modèle, notamment économique, pour construire une offre pérenne. En effet, pour survivre à la crise, la créativité des entrepreneurs du spectacle va jouer un rôle majeur.
Alors que le secteur se réouvre progressivement, certaines expérimentations en cette période sanitaire doivent être pérennisées et sans doute, ouvrir de nouvelles voies ? Pour l’instant, c’est plutôt l’option numérique qui a été la voie des investissements. Plusieurs aides ont été débloquées dans ce sens, et le sont encore, alors même que les résultats d’un an de livestream n’ont pas encore pu être précisément évalués, et encore moins ses effets sur l’écosystème actuel – l’instrumentalisation de la facilité, les effets de marque et de concentration des publics, les éventuels cas où il y aurait risque de substitution, etc.
Des initiatives montrent l’ampleur de l’enjeu
Aujourd’hui, en raison des enjeux du numérique, nombre de questions relatives au fonctionnement, à l’organisation et à la diffusion des spectacles se posent. Le monde du numérique est très évolutif voire surabondant. Il évolue sans cesse et de nouvelles initiatives digitales émergent tous les jours. Les structures et organismes culturels peuvent alors, face à ces innovations et ces bouleversements, se sentir à l’écart, déposséder de leur faculté de proposer de la nouveauté dans un monde aussi changeant avec une offre culturelle en ligne sans cesse démultipliée.
Devant ces deux axes diamétralement opposés et symétriquement créatifs, il devient urgent de construire une stratégie numérique propre à l’art et à la culture. La nécessité de développer les outils utiles à cette nouvelle audience : il faut considérer les internautes comme un public à part entière qui vient compléter les consommateurs habituels d’offre culturelle. Il ne s’agit plus de penser le numérique seulement comme un moyen de communiquer, mais comme une évolution, une mutation profonde s’opérant dans notre société, dans nos vies, et surtout dans notre manière de nous comporter et de consommer, et cela s’applique également à ces biens immatériels.
Le milieu culturel et du spectacle a conscience de l’importance de ce virage, de cette « nouvelle vague ». Mais subsiste la sensation que le retard est grand et que certains acteurs du web occupent, d’ores et déjà, une grande partie des places via leurs outils numériques à la pointe et à leurs investissements massifs. Il est alors difficile de rivaliser pour les acteurs du monde culturel traditionnel souvent en demande de ressources extérieures, pour utiliser et de mettre en place ces techniques. Le déséquilibre manifeste est patent ! sans doute le revers de la médaille de « notre exception culturelle à la française »… Un pluralisme de petits acteurs face aux « mastodontes du digital ». Le combat est singulièrement déséquilibré… mais nos « petits français» ne rendent pas les armes, et face à l’adversité, ils fourmillent d’idées.
D’ailleurs, les idées se sont depuis multipliées pour relever ce défi et pas seulement sur le territoire: par exemple, concerts à écouter depuis l’intérieur de sa voiture en Allemagne, un opéra joué dans l’atrium d’un hôtel avec les spectateurs aux fenêtres de leur chambre, des spectacles d’humour live face à un public d’écrans… certaines de ces représentations sont évidemment ponctuelles et expérimentales, pour des raisons organisationnelles, communicationnelles ou de rentabilité… mais la plupart pourraient s’inscrire durablement dans notre quotidien, car c’est déjà demain.
Focus sur L’Apollo Théâtre qui bouleverse le modèle classique
Alors que les salles de spectacle étaient fermées, un théâtre parisien a réussi à conserver une interaction avec son public : L’Apollo Théâtre et son duo de choc : Majda et Philippe DELMAS, le rempart contre la morosité et les apôtres du système D. L’Apollo Théâtre a fait figure de précurseur dans la diffusion des spectacles en live streaming, filmés depuis le théâtre. Grâce à un système de streaming live, les spectateurs peuvent s’entretenir avec les humoristes sur scène. Le principe consiste à voir des spectacles en direct et à les partager avec un public par écran interposé. C’est de l’interactivité culturelle.
Dès avant le premier confinement, alors que seuls les rassemblements de moins de 100 personnes étaient encore autorisés, l’Apollo Théâtre avait déjà commencé à réfléchir à un dispositif de streaming live afin que les spectateurs puissent assister à des spectacles en direct depuis chez eux !
Ce dispositif, alors inédit, a donc été lancé il y a un an, inauguré devant un public à distance de plus de 500 personnes. Pour information, ce nombre représente plus que la jauge de la grande salle de l’Apollo Théâtre. Concrètement, les artistes jouent leur spectacle sur la scène de la grande salle de l’Apollo Théâtre, en présence seulement d’un régisseur, pour le son et la lumière, et d’un réalisateur pour la captation vidéo.
Mais l’innovation réside surtout dans l’interaction avec les internautes, à l’aide d’écrans fixés devant et derrière les artistes sur scène. 20 spectateurs privilégiés, choisis parmi la communauté du web, assistent au spectacle comme les acteurs d’une visioconférence, webcam allumée : leurs visages apparaissent sur des écrans installés sur scène. Les artistes peuvent ainsi percevoir leurs réactions en direct et interagir avec eux !
Cela permet d’ajouter du vivant à ce monde du spectacle à distance qui en a tant besoin…. Et pour les autres spectateurs, il suffit d’acheter un ticket sur le site de l’Apollo Théâtre pour ensuite recevoir le lien et assister à la représentation.
A ce jour, 70 spectacles ont été joués, 30000 spectateurs dans le monde entier ont ainsi pu y assister ..la démocratisation de la culture et la « livraison à domicile » des émotions ..
Le spectacle vivant de demain, c’est celui où les publics se mélangent, peu importe leur situation géographique. C’est donner la possibilité aux individus d’interagir. C’est leur offrir, toujours plus avides de nouveauté, de se retrouver tous autour d’outils et de produits qu’ils auront adopté. Il faudra sans doute encore expérimenter mais nul doute que nous projetons dans le monde culturel 4.0… Thomas PESQUET, de sa station spatiale, interagissant dans un spectacle de Bigard. Le monde est… digital