La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS
« Rappelons-nous la tragédie du 4 août 2020 vers 18h00 occasionnée deux explosions successives dans le port de Beyrouth, au Liban. La première explosion semble avoir été déclenchée dans une usine de feux d’artifices causant un incendie qui s’est immédiatement propagé au bâtiment voisin qui contenait 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées depuis 2013 dans des conditions approximatives. Ce nitrate d’ammonium, en explosant, a causé des dégâts humains et matériels considérables à travers la ville. Le bilan final établi un an plus tard fait état de 215 morts et de 6.500 blessés, et de dégâts matériels estimés à près de quatre milliards d’euros par la Banque mondiale.
Le nitrate d’ammonium, principalement utilisé comme engrais, s’il n’est pas inflammable sous sa forme pure, devient explosif s’il est chauffé, car il libère de grande quantité de gaz et crée une réaction en chaîne, aboutissant à une explosion. Il faut savoir que le nitrate d’ammonium est d’autant plus explosif qu’il est mélangé avec des composés de carbone tels que le mazout, ou la poussière de charbon, présentes sur le port ».
Eh bien, on en est là aujourd’hui en France, et plus globalement en Europe ! Tous les ingrédients sont en stocks et réunis pour provoquer à termes des « explosions » qui pourraient bien balayer nos vieilles démocraties.
Trois événements majeurs ont fragilisé l’économie mondiale
- Crise financière de 2009, autrement dit « crise des subprimes » où la titrisation par les banques a failli emporter l’équilibre global des monnaies et des économies. Écarter la valeur « travail » au profit de la spéculation financière était un comportement irresponsable, prôné par un capitalisme fondé sur le seul profit et non sur la création de valeur.
- La crise sanitaire du Covid, depuis 2020, qui a bloqué le fonctionnement des économies mondiales et créé des pénuries dont le poids reste sensible sur une activité qui semblait redémarrer au début de l’année 2022.
- Le déclenchement de la guerre en Europe par l’invasion de l’Ukraine par les troupes barbares de la Fédération de Russie.
Trois causes qui ont pour conséquence de faire vaciller notre planète. Comme on l’a connu en 1970, nous entrons dans une période de stagflation qui caractérise une situation économique où une inflation élevée, c’est-à-dire une hausse généralisée du niveau des prix, coexiste avec une stagnation de la croissance économique.
Face aux risques existants, doit-on attendre l’explosion, puis appeler les pompiers au secours pour qu’ils éteignent les incendies et relèvent les morts et les blessés ? En réalité, tout dirigeant sensé doit travailler à des solutions et agir immédiatement en pleine connaissance de cause ? Le président de la République Française, récemment réélu, a certainement pris conscience des risques et des enjeux qui vont s’imposer à lui. Il va devoir travailler les éléments qu’il avait développé dans son programme de candidat, et imaginer comment l’exécutif pourra tenir les engagements pris dans le cadre du projet « France 2030 ». Une grande ambition qui est conditionnée par une inconnue : quel parlement pour voter les mesures à prendre ?
Dans un tel contexte, si les solutions ne pourront être que politiques, la France laborieuse et inventive doit également retrouver la foi en ses valeurs et redévelopper ce qui en fait a richesse, afin qu’elle retrouve la prééminence qui était la sienne dans les décennies passées et qu’elle a perdue dans l’illusion de la course au profit de la mondialisation.
La démocratie et des projets en « faux semblant »
Le président réélu (par près de 59 % des suffrages exprimés, contre 41% à son adversaire) aura pris, espérons-le, pleine conscience des résultats réels de l’élection.
Intitulés | Pourcentages |
Emmanuel Macron : | 38,52 % |
Abstention | 28,01 % |
Marine Le Pen | 27,28 % |
Votes blancs | 4,57 % |
Votes nuls | 1,62 % |
Total | 100,00 % |
Face au constat d’un pays partagé au quatre parties à peu près égales qui s’étaient dégagées du 1er tour (le centre, deux extrêmes et un parti de l’abstention), et après avoir fait le constat figurant dans le tableau ci-dessus, le président devra s’engager effectivement, c’est-à-dire réellement, sur le chemin des réformes attendues par les électeurs. Il convient de rappeler que les citoyens de ce pays sont las de voir prendre des décisions qu’ils jugent inégalitaires et prioritairement favorables aux milieux financiers.
Les décisions seront politiques et tout dépendra des majorités qui se dégageront des législatives prochaines. Mais les citoyens ont également un rôle à jouer, en étant acteurs et en participant, avec leur inventivité et leur esprit d’entreprise, à la refondation sociale et économique du pays.
Quel est le programme du nouveau président ?
Lors de son meeting à Marseille le 16 avril dernier, le futur nouveau président, alors candidat pour la seconde fois a particulièrement insisté sur une nouvelle stratégie dite de « planification énergétique » qui se caractérise création de deux nouveaux ministères qui seront dédier à cette problématique. Élu désormais pour un second mandat, il entend prochainement nommer un 1er ministre qui soit « attaché à la question sociale, à la question environnementale et à la question productive ».
L’Europe restera son fil conducteur et il est très attaché à ce que notre pays joue un rôle plus important dans la construction européenne. Au sortir des six mois de présidence française du Conseil de l’Europe débutée en janvier et compte tenu de l’action diplomatique qu’il a déployée pour gérer la guerre en Ukraine, il persistera dans son ambition de réformer l’espace Schengen, par exemple en créant un conseil pilotant Schengen et un dispositif intergouvernemental d’urgence d’aide à Frontex. Il persistera aussi dans son ambition d’assurer l’autonomie stratégique et militaire de l’UE par un renforcement important des armées européennes.
Au plan social, il va devoir dompter le vieux serpent de mer de la réforme des retraites qui ne s’est pas laissé faire en 2017, et ce, dans les tous premiers mois du quinquennat. Moins ancré dans ses rigidités de l’époque, le président réélu va proposer un âge de départ à la retraite qui sera toujours fixé à termes à 65 ans, mais selon une approche progressive en partant d’une étape fixée à 61 ans et à raison d’un décalage progressif de 4 mois par an. Il a d’ailleurs ouvert une « porte de négociation » en évoquant une « clause de revoyure » à 64 ans en 2027-2028. Globalement, le système par répartition serait conservé et les « carrières longues » comme « la réalité des métiers et des tâches » afin de prendre en compte la pénibilité de façon individualisée. En tout état de cause, il envisage d’augmenter la pension minimale à taux plein à 1.100 € par mois. Promesses ou réalités, dépendront largement comme projet de consultation des Français par référendum, de la composition de la prochaine Assemblée nationale.
Autre sujet qui suscitera plus que des débats, la réforme du RSA dont le versement serait subordonné à la l’obligation d’une activité d’insertion.
Dans notre démocratie, mais c’est une évidence que j’ai déjà évoquée dans ces colonnes, la vie et l’identité individuelle doivent se recentrer autour de l’emploi et du travail. Il faut donc redonner toute sa valeur au « travail ». Et le nouveau président a un objectif réaffirmé, le plein emploi en 2027, ce qui sous-entend que le chômage, selon les analyses de l’Organisation internationale du travail (OIT) doit être inférieur à 5 %. Rappelons qu’il est actuellement de 7,4 %.
Le constat a été fait que près d’un million d’offres d’emploi sont en attente. Pour pallier aux problèmes de cohérence entre l’offre et la demande, les projets sont nombreux, transformation de Pôle emploi en un guichet unique dénommé « France Travail » pour simplifier les démarches et limiter les interlocuteurs, poursuite de la réforme de l’assurance chômage et de celle des comptes épargne-temps. En outre, le président prévoit que les prestations sociales seront directement versées sur le compte bancaire des intéressés notamment afin de lutter contre les fraudes.
Dans le domaine social, pas besoin d’être grand clerc pour déterminer que les principales revendications des électeurs auront été, durant cette campagne présidentielle tournées vers la défense du pouvoir d’achat. Les propositions faites par le président réélu avant les élections laissent un peu sceptique, puisqu’elles évoquaient d’une part le triplement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, familièrement appelée la « prime Macron » d’un montant de 6000 € maximum exemptée de charges pour les entrepreneurs et défiscalisée (mais les entrepreneurs n’auront sans doute pas une activité bénéficiaire pour la distribuer) et le maintien de la remise de 18 cts par litre de carburant lancée en avril, dans le cas (fort probable) où les prix à la pompe continuaient sur leur progression parabolique.
La question du pouvoir d’achat ne peut pas être simplement tranchée par deux primes aléatoires et incertaines dans leur durabilité. Il en est d’ailleurs de même s’agissant de la question des impôts et de la fiscalité, puisqu’aux demandes récurrentes de baisse de la fiscalité émanant de la population, il est répondu par un projet d’augmentation de l’abattement fiscal sur les successions (150.000 € par enfant et 100.000 € pour les autres membres de la famille) et suppression de la redevance télévision qui s’élève à 138 € par an !
L’un des grands enjeux actuels est la prise en compte des aléas climatiques, sujets qui sensibilisent l’ensemble des citoyens et de nombreux scientifiques, dont les membres du GIEC. En dépit des affirmations trompeuses des climatosceptiques, l’écologie et l’environnement sont, avec le pouvoir d’achat, la grande inquiétude des Français. Le président réélu entend conjuguer ce thème avec les impératifs nés de la guerre en Ukraine en mettant en œuvre une politique destinée à assurer l’indépendance énergétique de notre pays, mais aussi de l’Europe dans son ensemble, les avenirs des 27 étant liés. Dans cet objectif, il envisage un développement parallèle du nucléaire, du solaire et de l’éolien, en construisant six centrales nucléaires de nouvelle génération et en implantant en mer cinquante parcs éoliens, et ce à échéance de 2050.
Il évoque entre autres des mesures ponctuelles comme l’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, le développement des voitures électriques, y compris pour les ménages modestes et une politique d’isolation des logements pour économiser les énergies.
Après la crise du Covid qui a fortement impacté l’économie de notre pays, un constat alarmant a été fait sur l’état de l’hôpital public. La question figure dans le programme du président, qui promet, après son premier quinquennat marqué par la crise sanitaire, un « renfort massif » dans les déserts médicaux et une nouvelle réforme donnant aux infirmiers et aux pharmaciens la possibilité de procéder au renouvellement des ordonnances. Outre des promesses de recrutement d’aides-soignants et infirmiers dans les EHPAD et dans les hôpitaux, les propositions reprennent ce qui n’a jamais été réussi jusque-là, le développement des téléconsultations, une meilleure répartition des médecins sur le territoire, et la relocalisation de la production de médicaments sur notre sol.
Il va de soi que les projets du président vont intéresser les secteurs de l’éducation et de la culture. S’agissant de l’éducation, on en revient aux priorités mises en exergue dans un nombre infini de réformes depuis cinquante ans, le renforcement des matières fondamentales, français et mathématiques, l’importance de l’éducation physique et la sensibilisation aux métiers du monde du travail, tous sujets rebattus et réformés sans succès jusqu’à présent. Il entend aussi rassurer les enseignants en augmentant leur rémunération, mais en leur imposant de nouvelles missions, et donner davantage d’autonomie aux établissements, notamment une plus grande liberté dans le recrutement des professeurs.
En matière culturelle, on retrouve les propositions habituelles destinées à donner un accès à la culture à un plus grand nombre de citoyens (pass culture, horaires d’ouverture des bibliothèques, investissement dans les industries créatives et culturelles françaises).
En résumé, les propositions relativement floues qui ont été faites durant la campagne électorale ne sont que des évidences que les citoyens réclament depuis des décennies et qui n’ont jamais abouti. On ne voit d’ailleurs pas, dans le cadre de la situation sanitaire, économique et géopolitique actuelle comment tout cela pourrait, enfin, trouver à être réalisé, et notamment à être financé.
Le plan « France 2030 »
Qui plus est, dans un raisonnement sain sur l’avenir de notre démocratie, il convient de rappeler les termes du projet « France 2030 » qui se veut être un plan d’investissement pour bâtir la France de demain. Ce dispositif amitieux veut répondre aux grands défis de notre temps, faire émerger les futurs champions technologiques et accompagner les transitions des secteurs d’excellence tels que l’énergie, l’automobile, l’aéronautique ou encore l’espace.
« Il s’agit d’argent que nous lèverons sur les marchés et qui sera sanctuarisé. Et là, je pense qu’il faut être très modeste. […]. Et donc, dans la méthode, il faut garder, un, le fait que c’est un investissement nouveau – c’est du vrai argent, nouveau, en plus des PIA déjà décidé – deux, il sera sanctuarisé, et trois, on doit garder les éléments de méthode que les différents programmes d’investissement d’avenir ont appris à l’écosystème français. »
Ces mots du président, le 12 octobre 2021, doivent être pris comme une déclaration d’intention qui se heurtera à la réalité têtue. Néanmoins, ce plan sous-tend de réelles ambitions car il se déploiera à travers un prisme d’objectifs et de valeurs clairement établi et largement inspiré du Programme d’investissements d’avenir (PIA) :
- Une doctrine inscrite dans la loi avec des cofinancements public-privé ;
- Des procédures ouvertes et transparentes, une sélectivité et une exigence ;
- 50 % des crédits de France 2030 sont consacrés à la décarbonation, aucune dépense n’étant défavorable à l’environnement, avec une attention portée à l’émergence ;
- Des investissements dans l’innovation et dans l’industrialisation ;
France 2030, dans le sillon tracé par les précédents PIA, se veut un grand programme d’investissement transformant, au service de la compétitivité et de l’avenir des futures générations. Son leitmotiv est « Mieux comprendre, mieux vivre, mieux produire ». Il sera doté d’un budget de 34 milliards d’euros déployés sur 5 ans et visera à développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir. Le plan sera décliné en 10 objectifs :
- Objectif 1 : Faire émerger en France des réacteurs nucléaires de petite taille, innovants et avec une meilleure gestion des déchets (1 md €) ;
- Objectif 2 : Devenir le leader de l’hydrogène vert, avec la construction d’au moins deux « gigafactories » d’électrolyseurs qui produiront massivement de l’hydrogène et permettront le développement de technologies dérivées ;
- Objectif 3 : Décarboner notre industrie, en faisant baisser de 35 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2015 ;
- Objectif 4 : Produire près de 2 millions de véhicules électriques et hybrides ;
- Objectif 5 : Produire le premier avion bas-carbone (près de 4 mds €) ;
- Objectif 6 : Développer une alimentation saine, durable et traçable (2 mds €) ;
- Objectif 7 : Produire 20 biomédicaments contre les cancers, les maladies chroniques dont celles liées à l’âge (3 mds €) ;
- Objectif 8 : Placer la France à nouveau en tête de la production des contenus culturels et créatifs (la « French Touch » sur l’Arc méditerranéen, l’Île-de-France et le Nord) ;
- Objectif 9 : Prendre toute notre part à la nouvelle aventure spatiale ;
- Objectif 10 : Investir dans le champ des fonds marins.
L’ambition et les moyens semblent réunis, 30 mds € sanctuarisés pour 2030, et un plan construit avec l’Europe qui est présenté comme devant commencer dès 2022.
Une réalité qui risque d’être tout autre
Un contexte mondial fragile
Comme je l’ai évoqué en introduction, le monde libéral entre en stagflation. La preuve en est que l’élection du nouveau président français a été quelque peu éclipsée par la crainte de ralentissement en Chine liée au Covid. La Bourse de Paris a perdu 2 % lundi 25 avril 2022 et, de leur côté, les banques centrales envisagent un durcissement monétaire, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. La Chine, frappée en effet par la recrudescence de pandémie du variant OMICRON, envisage d’étendre ses mesures de confinement dans plusieurs grandes villes face à l’explosion des infections (certains quartiers de Pékin désormais après Shangaï), ce qui renforce le risque d’une diminution de la demande dans le pays. Les consommateurs chinois s’affolent en vidant les stocks des magasins, ce qui ouvre des perspectives inquiétantes sur un ralentissement malheureusement prévisible de la deuxième économie mondiale. Les analystes économiques craignent que les mesures de soutien mises en place par le gouvernement n’aient finalement aucun effet à cause de la politique anti-Covid.
À la Bourse de Paris, les valeurs liées aux matières premières sont directement touchées. ArcelorMittal a ainsi perdu plus de 7 % dans le sillage des contrats concernant le minerai de fer en Chine. Le secteur de l’énergie est également fragilisé, TotalEnergies comme Technip Energies.
En plus du contexte international et des risques de regain de la pandémie en Chine, les résultats de l’élection présidentielle, telles qu’ils ont été évoqués en introduction au présent article, montre que le président réélu est en régression et qu’il doit notamment son succès à des reports de voix venus de l’opposition qui voulait faire barrage à l’extrême droite. En réalité, sur une base aussi fragile, le président se retrouve à devoir diriger une France divisée comme jamais, fragmentée et où les partis traditionnels qui gouvernaient le pays depuis 70 ans, se sont noyés corps et biens. Sa marge de manœuvre, déjà est étroite, risque de se transformer en piège institutionnel selon les résultats des élections législatives prochaines.
L’absence de la croissance attendue
Les taux de croissance espérés aux alentours de 4 % sont désormais au plus bas, un temps autour de 2 % et désormais nuls. On craint même que les taux passent en négatif. Selon les chiffres publiés par l’Insee, l’activité économique française a stagné au 1er trimestre de 2022, avec une croissance nulle (0 %), en premier lieu du fait du recul de la consommation des ménages inquiets des conséquences attendues du retour de l’inflation et de la guerre en Ukraine.
L’activité économique ralentit donc fortement après la croissance de 0,8 % enregistrée au 4ème trimestre 2021 et la reprise énergique de 7 % que la France avait connue sur l’année.
Les économistes savent que la consommation des ménages est le moteur de la croissance française. Or celle-ci s’est nettement ralentie au 1er trimestre 2022 alors qu’on s’attendait à ce qu’elle résiste beaucoup plus. La diffusion du variant Omicron du Covid, très forte en janvier, la hausse des prix, à commencer par ceux de l’énergie qui a été amplifiée par les craintes liées à la guerre en Ukraine, dès février, ont ainsi contraint les dépenses des ménages.
L’inflation est de retour
L’inflation dont chacun s’accorde à dire qu’il s’agit d’un casse-tête mondial, ne va pas épargner la France. Certes, malgré une forte augmentation ces derniers mois, l’indice des prix à la consommation ne s’élève qu’à 4,5 % en France en mars, ce dont les dirigeants nationaux semblent se glorifier. Mais c’est une bonne nouvelle trompeuse et temporaire. Partout dans le monde, l’inflation prend de l’ampleur, dans une envolée hétérogène. Dans le contexte global de la reprise post-Covid et de la guerre en Ukraine, les prix à la consommation grimpent désormais partout dans le monde. Prudemment, le FMI table sur un taux d’inflation de 5,7 % cette année pour les pays avancés et 8,7 % pour les économies émergentes et en développement. Mais, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux Pays-Bas, pour nous en tenir qu’à l’Europe, le taux se rapproche et dépasse même parfois les 10 %.
Répétons-le, en France, l’indice des prix à la consommation s’élève progressivement, 2,8 % en décembre 2021 et pour 2022, 2,9 % en janvier, 3,6 % en février, 4,5 % en mars, mais dit-on déjà 4,8 % en avril. Un niveau jamais vu depuis les années 1980, et la courbe ne fait que s’envoler.
Selon les analystes, les pays européens seraient en train de vivre une inflation qualifiée « d’énergétique » parce qu’elle serait principalement alimentée par le conflit en Ukraine qui fait flamber les prix de l’énergie et ceux de l’alimentation, par l’effet conjugué de l’augmentation des coûts de transport et de la pénurie réelle ou crainte. Et si l’on cesse de regarder la France pour s’intéresser à la zone euro, on peut constater que l’inflation a explosé en atteignant, en mars 2022, un taux de 7,5 % sur un an, ce qui représente, pour qui sait lire sans crainte, près de quatre fois plus que l’objectif de 2 % visé par la BCE.
Quel avenir ?
Le FMI se veut optimiste et affirme qu’il n’y aura pas de récession mondiale, mais que les pays, de façon très variée d’un continent à l’autre, connaitront une croissance ralentie.
Autant dire que les conditions sont réunies, en France comme en Europe, et comme partout dans le monde avec des nuances importantes, pour que la crise soit dramatique et que toutes les prévisions et les plans, quels qu’ils soient, n’aient pas les effets escomptés.
Ce qui va caractériser le contexte de notre pays après l’été est inquiétant :
- Des taux inflation prévisibles entre 10 et 15% pour 2022 ;
- De possibles nouveaux confinements en septembre/octobre 2022 ;
- L’incertitude qu’une majorité parlementaire se dégage des législatives de juin : une future cohabitation, assez floue à envisager pour le moment, et avec elle des combats entre des programmes peu conciliables
Pour s’en tenir aux problèmes de la France, il faut se souvenir que la crise de la COVID a mis provisoirement fin à des manifestations citoyennes spontanées, les Gilets jaunes, qui s’élevaient contre la hausse des prix des carburants et le projet de réforme des retraites.
Il convient donc de faire remarquer que les prix des carburants n’ont jamais été aussi haut, en dépit de l’aide de 18 cts octroyée par le gouvernement (aide dont il entend modifier les modalités d’attribution) et que la réforme des retraites est le premier projet que le président réélu entend engager. Les citoyens ne manqueront pas de manifester à nouveau leur colère.
Dans un contexte inquiétant de hausse du coût de la vie, et donc de perte du pouvoir d’achat, l’inflation galopante qui traverse le monde entier semble pouvoir tuer dans l’œuf toute velléité de réforme. Néanmoins, tout va dépendre des résultats des élections législatives et des réelles ou fragiles majorités qui en sortiront. Mais on peut assez logiquement parier sur un renouveau de la contestation citoyenne, d’autant plus lorsque l’on voit la photographie précise de la répartition de l’électorat en trois groupes principaux, un centre indistinct et deux extrêmes, l’un à droite l’autre à gauche.
Quoi qu’il en soit de la situation politique en France après le 19 juin, on doit également craindre que la pandémie qui pousse la Chine à se reconfiner, ne nous envahisse à nouveau comme en 2020. La reprise qui semblait se dessiner a déjà été sérieusement bridée par la guerre en Ukraine. Et outre les effets économiques désastreux auxquels la guerre contribue, les preuves au quotidien des exactions criminelles commises par les envahisseurs ne font que développer une atmosphère à la fois anxiogène et porteuse de haine, qui sera longuement un obstacle à un développement harmonieux et mondial des échanges économiques.
La somme de tous ces facteurs ne permet pas de croire, pour la rentrée de septembre, en l’avènement d’une période faste et enthousiasmante, dans les secteurs de la santé, de l’économie et de la politique.
Il va pourtant falloir réagir et envisager des solutions. Il ne faut toutefois pas se leurrer, face à l’immense crise qui s’annonce, la mise en œuvre des réponses prendra du temps.
Améliorer son indépendance énergétique implique des investissements importants, par exemple pour l’implantation de parcs marins d’éoliennes, ou des recherches sur la rentabilisation et l’utilisation de l’énergie des marées. Mais il faudra aussi compter sur les débats parfois d’arrière-garde qui se développent pour s’opposer à de tels projets.
Toujours dans le domaine des énergies nouvelles, le passage ambitieux du développement de l’automobile électrique rencontrera les mêmes oppositions. Qui plus est, il s’agit d’une véritable révolution technologique et industrielle. Les usines ne sont pas suffisamment dotées des machines nécessaires, les ouvriers spécialisés ne sont pas encore formés. Il faudra du temps pour réformer ce secteur qui s’est développé depuis près de 150 ans autour de la conception de moteurs fonctionnant avec des produits pétroliers, soutenus et défendus en cela par les lobbies des « pétroliers » qui n’entendent pas perdre le contrôle.
Autre fleuron de l’économie française, son agriculture qui nourrissait aisément sa population et une partie de l’Europe. Les effets conjoints de la PAC et de la mondialisation ont « détruit » les spécificités polyvalentes de la paysannerie française, par des remembrements qui remettent en cause les équilibres naturels, par une mécanisation qui a jeté les agriculteurs dans le surendettement, par des spécialisations qui empêche désormais notre pays d’être autosuffisant comme il l’était jadis. Là aussi, il faudra du temps, des moyens, des formations et des réformes pour se dégager d’un jacobinisme kafkaïen.
Reprendre la main sur la production des semi-conducteurs dont la technologie a été inventée en France puis bradée aux pays émergents à la main d’œuvre bon marché, sera un défi difficile à gagner, si la course aux profits ne le ralentit pas.
Il faudra bien un jour comprendre que l’avenir de notre pays passe par la réhabilitation de la valeur « travail » !
Bernard Chaussegros