Le créateur de Business Objects et de Kiala, fondateur du parti Nous Citoyens, se lance un nouveau défi en prenant la direction d’une entreprise spécialisée dans le stockage d’énergie.
Quel parcours ! En 1990, Denis Payre, jeunediplômé de l’ESSEC créé avec Bernard Liautaud Business Objects, éditeur d’une solution révolutionnaire permettant d’extraire des données des systèmes d’information des entreprises sans passer par le département informatique.
La PME, implantée dans 54 pays, est devenue leader mondial sur son marché, doublant son CA tous les ans et s’introduit au Nasdaq en 1995, première société française à y parvenir, ce qui vaut à Denis Payre et Bernard Liautaud d’être distingués en 1996 dans la liste des «Meilleurs entrepreneurs de l’année» par le magazine américain Business Week, aux côtés de Steve Jobs et Steven Spielberg, rien de moins. Business Objects rachetée en 2008 par SAP (leader mondial des applications d’entreprise) pour 4,8 Mds€, l’entrepreneur vogue définitivement vers d’autres horizons.
Retour en France
Dès 1997, Denis Payre décide de se retirer de l’opérationnel et de rentrer en France, pour se consacrer à sa famille et investir dans des entreprises françaises. Le serial entrepreneur cofonde et préside également l’association Croissance Plus.
Sa fortune, virtuelle car constituée d’actions de Business Objects, le rendant redevable de l’ISF alors qu’il ne dispose pas des liquidités nécessaires, le conduit à quitter une nouvelle fois la France pour la Belgique en 1998. Business angel dans différentes entreprises comme Compex (racheté par HP) ou Netonomy aux États-Unis, il crée à Bruxelles avec Marc Fourrier, un spécialiste en économie de la logistique, un service de distribution de colis dans des points relais pour la vente à distance : Kiala.
Le concept rencontre le succès que l’on connaît. L’entreprise, qui se développe dans toute l’Europe, atteint 50 M€ de CA avant d’être rachetée en 2012 par l’américain UPS.
Sur les traces d’Elon Musk
Aujourd’hui, après une année passée à la tête de Nous Citoyens, parti politique qu’il a créé en octobre 2013, Denis Payre se lance donc dans une nouvelle aventure entrepreneuriale. Sa nouvelle société, Nature & People First, se positionne sur le secteur des énergies propres et adresse une problématique porteuse, celle du stockage de l’énergie. «Je m’intéresse au sujet depuis plusieurs années.
Les batteries, qui constituent la solution la plus courante, posent des problèmes environnementaux de durée de vie et de toxicité. Lyonnais d’origine, j’ai grandi à côté du barrage de Grand’Maison, dans l’Isère. Je me suis rapproché de spécialiste du secteur, HPP (HydroPowerPlant), pour miniaturiser la technique du pompage-turbinage et l’adapter à un environnement urbain». La solution développée par la nouvelle entreprise peut s’implanter sur de nombreux sites.
«Il suffit d’un dénivelé d’une centaine de mètres avec une pente de 6 à 7% et de deux réservoirs de quelques dizaines de milliers de litres, installés dans le sous-sol du bâti, pour produire plusieurs centaines de Mégawatts, assez pour assurer la consommation de plusieurs milliers de foyers».
Écologique et rentable
Le modèle économique est classique : il s’agit de revendre de l’énergie à des opérateurs pour faire face aux pics de consommation, notamment pendant les périodes de pointe entre 18h et 21h. «En Californie, qui a beaucoup investi sur les énergies renouvelables et a été récemment confronté à des problèmes de blackout, l’État a mis en place une politique très incitative.
En France, ce n’est pas encore le cas, parce que la production en solaire et en éolien est encore limitée, mais nous discutons avec EDF pour l’équipement dans les DOM». En outre, les réservoirs peuvent être utilisés par des pompes à chaleur, générant ainsi des revenus complémentaires. L’entreprise n’en est qu’à ses débuts, puisque Denis Payre est seul et que l’ouverture du premier site pilote n’est pas encore finalisée.
Mais l’entrepreneur ne cache pas ses ambitions : en l’absence de concurrents internationaux, le potentiel est mondial. La technologie développée pour ce projet fait d’ailleurs l’objet de plusieurs brevets, en France mais aussi aux États-Unis et, récemment, en Indonésie. «Le marché est considérable et je suis convaincu que cette technologie va s’imposer comme l’une des trois ou quatre solutions de stockage d’énergie dans les prochaines années !».
Dimension sociale
Nature & People First, la dénomination n’a pas été choisie au hasard : en anglais pour la dimension mondiale, «nature» pour l’aspect environnemental et «social» pour exprimer un engagement fort de l’entreprise. «Dans mes entreprises précédentes, j’ai créé plus de 7.000 emplois, ce qui a évidemment une valeur sociale. Mais cette fois, j’ai souhaité donner une dimension plus grande au projet dans ce domaine. Une partie au moins des embauches, que ce soit pour la construction ou l’exploitation des sites, sera effectuée en insertion. Et 30% des bénéfices sera réinvesti dans des projets locaux».
Si cette implication a évidemment motivé l’entrepreneur pour relever ce nouveau challenge, ce n’est pas la seule. «J’aime entreprendre, c’est ce qui me passionne. Le fil conducteur entre mes différentes entreprises, c’est l’innovation et la rupture. C’est la raison pour laquelle j’ai abordé à chaque fois des domaines très différents, je ne me voyais pas refaire quelque chose que j’avais déjà fait. C’est peut-être plus risqué… mais nettement plus stimulant».
L’incursion politique de Denis Payre
En octobre 2013, Denis Payre surprend tout le monde en créant un «mouvement politique coopératif», baptisé Nous Citoyens, en réponse à la célèbre anaphore de François Hollande, «Moi, Président» : «Il me semblait évident que, pour faire valoir des idées, il ne suffisait pas d’être un think tank mais qu’il fallait entrer dans le jeu politique», explique l’entrepreneur.
Pour autant, dès l’origine, Denis Payre affirme que «l’engagement politique ne doit pas être un métier durable» et milite pour «des élus issus de la société civile et qui y retournent à terme». Ce n’est donc pas une surprise si, après les élections européennes de 2014 en France, l’homme annonce son retrait du parti, dont la présidence est désormais assurée par le député européen Jean-Marie Cavada.
«Ce qui me passionne, c’est l’entrepreneuriat et l’innovation. Et c’est aussi une activité qui est plus compatible avec une vie de famille. J’ai deux jeunes enfants de 10 et 13 ans, j’essaie de rentrer le plus souvent possible chez moi le soir». Pour autant, Denis Payre n’a pas rompu les pontsavec son parti : «Même si je suis moins impliqué au quotidien, je suis toujours vice-président de Nous Citoyens. J’interviens régulièrement pour présenter nos idées, notamment devant des étudiants ou des dirigeants d’entreprise».
En revanche, il ne sera «probablement pas» candidat à l’élection présidentielle de 2017, pas plus que Jean-Marie Cavada d’ailleurs.