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Dépénalisation du cannabis : pourquoi le débat revient à chaque élection ?


Depuis une trentaine d'années, les débats se multiplient en France autour de la question de la dépénalisation du cannabis sans pour autant nous donner une image nette des véritables enjeux que soulève ce sujet. La question est relancée en période d’élection présidentielle. Un point s’impose.

Entreprendre - Dépénalisation du cannabis : pourquoi le débat revient à chaque élection ?

Depuis une trentaine d’années, les débats se multiplient en France autour de la question de la dépénalisation du cannabis sans pour autant nous donner une image nette des véritables enjeux que soulève ce sujet. La question est relancée en période d’élection présidentielle. Un point s’impose.

Le débat n’est pas nouveau et il revient à chaque élection présidentielle. En France, rappelons que la consommation de cannabis est considérée comme un délit depuis 1970, et passible d’un an de prison et/ou d’une amende de 3 750 €.

Quelle consommation ?

En 2012, 13,4 millions de Français de 15 à 64 ans l’avaient déjà expérimenté et 1,2 million de Métropolitains (environ 2 %) se disaient déjà des utilisateurs réguliers. La France se place au quatrième rang dans l’Union européenne derrière la République tchèque, l’Espagne et l’Italie en termes de consommation mensuelle et au deuxième après le Danemark en termes d’expérimentation au cours de la vie.

Selon l’ONU, le cannabis est la substance illégale la plus consommée à travers le monde. Soixante-deux millions d’Européens (plus de 20 % de l’ensemble de la population adulte) ont déjà consommé du cannabis et vingt millions en ont consommé au cours de la dernière année. La consommation de cannabis, sous quelque forme que ce soit, s’est banalisée, devenant semblable à la consommation de cigarettes, voire d’alcool. Ces constatations reflètent l’ampleur du phénomène et entraînent plusieurs interrogations.

De quelle manière la loi encadre la consommation du cannabis ? Quel est l’impact de cette consommation sur la santé publique, et notamment sur les populations jeunes qui s’avèrent être les plus grands consommateurs ?

L’avis des Français

Plus d’un Français sur deux, 52%, est favorable à ce que la question de la législation du cannabis soit abordée dans le cadre de la prochaine campagne présidentielle, selon un sondage Ipsos diffusé dernièrement. En revanche, ils sont 47% à y être défavorables selon cette enquête réalisée à la demande de SOS Addictions, du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po et du Cnam.

Par ailleurs, la moitié des Français est favorable à une autorisation de consommation de cannabis pour les majeurs, légèrement plus que ceux qui y sont hostiles (49%). 1% ne se prononce pas. 52% jugent également que la vente de cannabis sous le contrôle de l’État serait efficace, 47% jugeant le contraire. Les Français s’accordent par ailleurs massivement, à 84%, pour considérer que la législation actuelle est inefficace, et cela pour toutes les tranches d’âge, 16% la trouvant efficace. Enfin, un quart des personnes interrogées reconnaît avoir déjà consommé du cannabis et 73% répondent « non jamais ».

Qui s’est déjà prononcé ?

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’est prononcée, en novembre 2016, en faveur d’une dépénalisation de l’usage du cannabis et d’une contraventionnalisation de l’usage des autres produits stupéfiants, jugés « plus addictogènes ».

Cette prise de position est intervenue alors que la ministre de la santé, Marisol Touraine, s’est dite favorable, le 11 octobre dernier, à la tenue d’un « débat sur la nature de la sanction » pour simple usage de cannabis, aujourd’hui passible d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende. Ce à quoi le CNCDH répond : « Le statu quo ne saurait être une option envisageable, au regard de l’échec du dispositif répressif actuel et de l’indigence des politiques de prévention et de santé publique actuellement en vigueur », et en appelle à l’organisation d’une « vaste conférence de consensus » associant experts, responsables politiques et usagers pour « présenter cette modification législative importante » et « en renforcer l’acceptabilité sociale ».

Dans un avis, dévoilé en août, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues se prononçait en faveur de la mise en place d’une amende de cinquième classe de l’ordre de 300 euros pour usage de stupéfiants, sans distinguer le cannabis des autres stupéfiants.

Légaliser le cannabis en l’encadrant comme les jeux en ligne, c’est par ailleurs la proposition du club de réflexion Terra Nova, dans un rapport publié en octobre 2016. Le « think tank » propose notamment la création d’une « Autorité de régulation du cannabis (ARCA) » calquée sur l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) pour « assécher le marché criminel d’un côté » et « prendre en compte un problème de santé publique de l’autre ».

En janvier 2017, 150 personnalités de Marseille (avocats, magistrats et de nombreux médecins), ont appellé à une « légalisation contrôlée » du cannabis. Car selon elles, la prohibition est « directement responsable de réseaux, de trafics très organisés, qui brassent des sommes considérables et gangrènent de nombreux quartiers (…) Les règlements de comptes sont très majoritairement liés au trafic de cannabis. 20 % de l’activité policière concerne le trafic de cannabis. » Les signataires souhaitent par cet appel lancer dans la période électorale actuelle le débat sur la légalisation du cannabis. 

Ils en pensent quoi les candidats ?

Candidat très attendu lors de la prochaine élection à la présidentielle, Emmanuel Macron se montre favorable à la dépénalisation du cannabis et non à sa légalisation. Dans son ouvrage «Révolution», l’ancien locataire de Bercy se montre très clair sur le sujet : «Je plaide pour une dépénalisation de la détention en petite quantité du cannabis afin de désengorger les tribunaux. »

Jean-Luc Mélenchon

déclarait pour sa part en 2016 : « Je sais bien que la question de la dépénalisation et, encore plus, de la légalisation du cannabis pose d’autres questions. Parfois des questions morales qui doivent être respectées à condition qu’elles n’empêchent pas le débat rationnel. Parfois, les questions posées sont très lourdes, notamment en ce qui concerne la crainte d’un report vers d’autres drogues plus dures, tant du côté des consommateurs que des dealers et réseaux mafieux. Pour ma part, je n’y crois pas. Le prix et les conditions sociales de l’usage jouent un très grand rôle dans la consommation. Évidemment, il faut aussi tenir compte aussi de l’impact en matière de sécurité routière. Une question à vrai dire déjà posée. Au final, l’expérience de l’alcool, dont les effets d’addiction et de morbidité ne doivent jamais être oubliés, montre que la prohibition n’est pas la solution pour contrôler les risques avec le plus d’efficacité. »

Benoît Hamon

, le candidat du Parti Socialite est de ceux qui sont favorables à la légalisation du cannabis : « Je veux faire en sorte que demain, plutôt que de laisser des jeunes acheter des produits dangereux à des inconnus, on sorte de ce système qui ne marche pas. Nous sommes les champions d’Europe de consommation du cannabis. »

François Fillon

, le candidat de la Droite et du Centre, est nettement plus partagé : « La politique suivie en France n’est pas forcément la meilleure, mais celle conduite dans d’autres pays qui ont dépénalisé le cannabis n’a pas les résultats qu’on veut bien lui donner. Aux Pays-Bas, la question fait débat. On ne peut pas dire que là où c’est dépénalisé il y a moins de consommateurs. »

Des positions différentes

Au Parti radical de gauche,

Sylvia Pinel

, souhaite sa légalisation, expliquant : « Il s’agit d’un enjeu de santé publique et de sécurité. Les réseaux, les trafics, polluent la vie d’habitants de quartiers. Il faut encadrer la distribution de cannabis en pharmacie. Cela permettra d’assécher ces trafics et ces réseaux. »

Jean-Luc Bennhamias

se prononce, lui aussi, en faveur de légalisation du cannabis, et souhaite tester cette mesure pendant 5 ans : « Il n’y a pas que les jeunes qui fument du cannabis, un certain nombre de personnes âgées voire même très âgées. »

Cécile Duflot est pour : « La légalisation des drogues dites douces et la dépénalisation des autres permettra de faire cesser les trafics, les violences et de lancer un travail de prévention et de soins ambitieux ».

Chez Les Républicains,

Nathalie-Kosciusko-Morizet

a déclaré : « Notre système actuel n’est pas efficace, il y a deux voies pour le faire  évoluer (…) la légalisation et la dépénalisation. Je suis plutôt pour la dépénalisation, ça permet de continuer à envoyer un  signal à la jeunesse, de continuer à dire c’est interdit parce qu’on pense que c’est problématique en terme de santé. »

Finaliste des primaires de la Droite et du Centre,

Alain Juppé

, le maire de Bordeaux est contre : « Je considère depuis toujours la drogue comme un terrible fléau. Pour ceux qui la consomment. Pour la société tout entière qu’elle mine de ses trafics maffieux. Il faut donc la combattre avec détermination. C’est pourquoi je suis et reste hostile à la dépénalisation du cannabis dont la consommation est hélas! particulièrement répandue en France. » 

Jean-Christophe Lagarde

, président de l’UDI, est plus partagé : « Poser le problème de façon morale ne règle rien, ne sert qu’à se donner bonne conscience. Il s’agit simplement d’être réaliste. Après cinquante ans de pénalisation du cannabis, il n’y a jamais eu autant de consommateurs. »

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