Par Jean-Philippe DELSOL, avocat et essayiste français. Il est président et administrateur de l’Institut de recherches économiques et fiscales.
Le niveau de la dette des entreprises est élevé en France. Elle représentait 81,7% du PIB en mars 2022 contre 53,8% au Royaume Uni, 51, 75% aux Etats-Unis et 50,8% en Allemagne.
En France, les entreprises, et en particulier les PME (petites et moyennes entreprises), se financent en majeure partie auprès des banques. Dans bien d’autres pays, anglo-saxons notamment, le financement e fait principalement auprès du marché financier en actions, obligations ou autres instruments.
Ces titres sont achetés par des investisseurs particuliers ou des intermédiaires institutionnels qui placent l’épargne des ménages. Cette épargne est drainée vers les entreprises en particulier au travers des fonds de pension dans les pays où ceux –ci ont grandi pour collecter et gérer la retraite par capitalisation des actifs. Les actifs des fonds de pension représentaient, en 2021, 98,2% du PIB aux Etats-Unis, 120% au Royaume Uni, 147,6% en Australie, 158,6% en Suisse, 204,2% aux Pays-Bas. Tandis qu’en France où la capitalisation est honnie, les actifs des fonds de pension ne comptaient que pour 2,85% du PIB.
Dans les pays où elles bénéficient des financements de leurs fonds de pension, les entreprises sont moins dépendantes des banques, donc moins soumises aux risques de deleveraging du secteur bancaire en cas de crise. Les fonds de pension investissent majoritairement leurs actifs dans les entreprises ce qui consolide leurs fonds propres et favorisent leurs investissements de long terme autant que le développement d’activités innovantes.
La transformation progressive de notre système de retraites par répartition en un système mixte intégrant de la capitalisation, via la création de fonds de pension, permettrait donc de renforcer notre économie. En même temps, les actifs cotiseraient moins et les retraités percevraient de meilleures retraites. Parce que la capitalisation a un meilleur rendement que la répartition. En effet le rendement de la répartition, qui dépend du taux de croissance de la masse salariale sur laquelle sont assises les cotisations et du volume de pensions à servir, a tendance à décroitre quand le nombre d’actifs baisse inexorablement par rapport au nombre de retraités. Différemment, le rendement de la capitalisation, qui dépend du taux d’intérêt auquel est placée l’épargne recueillie par les fonds de pension est relativement stable. Sur le long terme, qui est la mesure de l’épargne retraite, le placement en bourse bénéficie d’un rendement moyen de plus de 5% dont les placements immobiliers ne sont pas très éloignés. Et par la magie des intérêts composés, un placement de 100 euros à un taux de 5% double sa valeur en 14,2 ans. Ce qui permet d’expliquer qu’un régime par capitalisation a un rendement très supérieur à un régime par répartition.
En témoigne l’exemple des régimes de capitalisation néerlandais, chiliens, danois, australiens… qui offrent aux retraités des pensions sensiblement supérieures à celles des Français avec des taux de cotisation moindre. Dans le régime danois qui est très largement fondé sur la capitalisation, des cotisations équivalentes à celles que payent les Français donneraient aux Danois, qui partent en retraite à 65 ans, des retraites de 109% de leur dernier salaire alors qu’en France il est de l’ordre de 65 à 75% en moyenne. Aux Pays-Bas, le taux de remplacement brut calculé sur le salaire constant durant toute la vie dans les mêmes conditions que ci-dessus pour le Danemark est de 96,9.
Les Français sont encore majoritairement persuadés que la répartition est favorable aux plus modestes et que la capitalisation encourt trop de risques. Pourtant la moitié des pays de l’OCDE pratiquent déjà la capitalisation et s’en portent mieux. Au Danemark, où le taux de cotisation aux régimes de retraite obligatoires est de 12,8% du salaire brut (contre 27,5% en France), grâce aux systèmes de solidarité de base, les plus bas salaires bénéficient d’un taux de remplacement de 123% du dernier salaire.
En réalité la France s’enferme dans une posture syndicale et idéologique qui préfère la répartition parce qu’elle permet à l’Etat et aux partenaires sociaux de continuer à gérer la retraite des Français, à leur détriment, plutôt que de leur donner la liberté de le faire, à leur profit. En effet, dans les systèmes de capitalisation, il n’y pas besoin d’un âge légal de départ en retraite. Au-delà du moins d’un âge minimum, chacun peut gérer son départ en retraite comme il veut en fonction du niveau de retraite qu’il souhaite.
C’est dommage parce que la capitalisation serait profitable à tous, y compris aux contribuables qui n’auraient plus à assurer l’énorme contribution publique annuelle aux systèmes de retraites qui était en 2021 de 119 Md€ (cf. le rapport Bayrou) sous forme de sur-cotisation au profit des fonctionnaires, des régimes spéciaux et autres prises en charge d’avantages divers. Souhaitons que les mentalités évoluent pour que tous soient gagnants/gagnants.
Jean-Philippe Delsol, avocat, président de l’IREF, Institut de Recherches Economiques et Fiscales.