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Des Soeurs Soong à Xi Jinping (2/2), la révolution permanente en Chine

Le Président Xi Jinping est un dirigeant contemporain, mais aussi l’incarnation d’une permanence de la Chine, ne serait-ce que par sa gouvernance aux atours « impériaux ».

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Première partie : Visite du Président Xi (1/2) : Éducation et Révolution en Chine

Shanghaï, sulfureuse, trépidante et révolutionnaire

La Chine, malgré cette constance dans la durée, ne peut que rechercher, de manière continue, la façon de gouverner une population pléthorique qui atteint aujourd’hui 1,4 milliard d’habitants. « Il n’y a jamais de petits problèmes en Chine et les équilibres y sont toujours instables, compte tenu des défis », disent souvent les Chinois.

Le défi est aujourd’hui en particulier démographique, économique et environnemental. A l’extérieur du pays, le dirigeant souvent qualifié « d’autocrate » et le régime où le Parti communiste (PCC) conserve la direction du pays peuvent inspirer la crainte. Mais il faut sans doute voir les choses différemment: ce qui est à craindre est la force d’inertie d’une sorte de « machine » chinoise aux dimensions gigantesques et incomparable; afin d’assurer une croissance élevée garantissant la paix sociale et la stabilité politique, la Chine doit absolument conquérir en permanence de nouvelles parts de marché et ce gigantisme « nécessaire » ne peut que peser sur la société et l’environnement ainsi que sur les rapports avec le monde extérieur. Plus que Xi ou tout autre dirigeant chinois qui le remplacerait, le vrai danger est là dans la force d’inertie du gigantisme.

Dans ce contexte, le modèle mis en place par Deng Xiao-ping – qui reposait sur une ouverture économique coexistant avec le maintien du pouvoir du PCC – est-il toujours approprié ? Xi semble avoir fait le pari de le confirmer pour partie en mettant à nouveau en exergue une dimension idéologique dans sa gouvernance tout en réintroduisant l’Etat dans la gestion de l’économie, ce qui le distingue pour partie de Deng. Le pari sera-t-il réussi ? Une nouvelle révolution chinoise n’est-elle pas inéluctablement en marche que devraient réaliser les dirigeants eux-mêmes sous la pression de la population ? Qui seront les acteurs de changements qui ne manqueront pas de se produire à l’échelle de l’histoire de la Chine ? Dans cette perspective, quelques références au passé peuvent apporter un éclairage utile. La Chine reste un Empire du Milieu, centré sur sa propre histoire et elle est l’objet unique de sa politique, quels que soient les courants qui peuvent parfois la déchirer. L’histoire des soeurs Soong l’atteste notamment. Les Soeurs Soong ont largement contribué à des changements majeurs en Chine et l’on peut même dire que leur père Charles Soong les avait « programmées » pour cela.     

Les sœurs Soong

Il faut s’arrêter sur le destin extraordinaire des trois sœurs Soong – Ai-ling, Ching-ling et Mei-ling -, ce qui est aussi une manière de parler du rôle des femmes dans la politique de la Chine contemporaine. Les soeurs Soong auront finalement représenté tout l’échiquier politique chinois, du Kuomintang au communisme. Elles auront ainsi incarné, à leur manière, les Trois Principes du peuple (Nationalisme, Démocratie, Socialisme) proclamés par le Dr. Sun Yat-sen dès 1898. Mao aurait dit « La première aimait l’argent, la deuxième la Chine et la troisième le pouvoir ». Cette affirmation apocryphe est réductrice mais flatteuse pour Ching-ling.

Elles surmontèrent les différences de leurs parcours respectifs, en faisant notamment de l’éducation et de la modernisation de la Chine leur cause commune. La lutte contre l’envahisseur japonais rassembla aussi l’ensemble des Chinois. Les Japonais intervinrent en 1931 en Mandchourie où ils créèrent l’année suivante l’Etat artificiel du Mandchoukouo confié au dernier empereur déchu Pu-Yi; ils occupèrent Pékin en 1937, au terme de la seconde guerre sino-japonaise, et les photographies que prirent leurs responsables militaires au Temple du Ciel ne sont pas sans rappel Hitler prenant la pose au Trocadéro end 1940.

Les Soong n’étaient pas riches, car le chef de famille Charles Soong, l’un des premiers étudiants chinois aux Etats-Unis – à l’époque où les Eglises protestantes recherchaient des missionnaires pour évangéliser l’Empire du Milieu – qui était rentré en Chine en 1881, était un ministre du culte méthodiste; leur mère descendant d’un illustre mathématicien de l’époque Ming avait été convertie au christianisme par les Jésuites. L’on n’envoyait généralement étudier à l’étranger que les garçons, mais Charles Soong – qui entretenait par ailleurs une relation d’amitié avec le Dr. Sun Yat-sen – avait un projet qui n’était rien moins que de contribuer à la libération de la Chine et cela commençait par la transformation des esprits. Il s’appuya donc sur l’organisation des méthodistes du Sud de la Chine (Southern Methodist Church) pour envoyer ses filles étudier aux Etats-Unis. Ailing alors âgée de 15 ans fut la première à partir. En 1908, Ching-ling et Mei-ling rejoignirent leur soeur aînée dans l’État de Géorgie. Elles reviendront en Chine (Shanghaï) juste avant la révolution de 1911.

Ching-ling fut la plus portée sur les études. Elle se montra déjà la plus idéaliste et la plus intéressée par les affaires chinoises. Très jeune, elle commença à écrire des pensées sur le changement de la Chine qui pourrait être opéré par les étudiants rentrant de l’étranger. Ceux-ci trouvaient au pays (NB: comme Ai-ling qui y retournera après 6 années passées aux Etats-Unis) une société conservatrice et figée. Il y avait eu l’alerte de 1898 et 1910/1911 approchait. Mais les jeunes réformateurs rapportant les idées américaines étaient souvent perçus comme un corps extérieur. En 1910, la chine pouvait être considérée comme la plus conservatrice des grandes nations; le pouvoir impérial à Pékin était engoncé dans l’isolement, des traditions surannées et l’immobilisme.

La Révolution de septembre 1911 fut d’abord fomentée à Shanghaï où était revenu le Dr. Sun, qui avait fui la Chine en 1895 et y était revenu en 1900 (NB: Ching-ling commençait alors l’école; Tchang Kaï-check n’avait que 14 ans et Mei-ling, sa future épouse avait 1 an) après des séjours en Europe et au Japon. L’impératrice douairière Tseu-hi était déjà morte et la dynastie des Tsing, tout en réalisant la nécessité de changements s’avérait incapable de les mettre en oeuvre. Cela finira par une révolution nationaliste et plus tard communiste; Tchang (NB: Kuomintang signifie « Parti du Peuple ») et Mao auront été à leur manière deux révolutionnaires visant le même objectif d’une mutation profonde de la Chine (NB: à cet égard, il est à noter que Sun et Tchang se sont connus au Japon).

Sun Yat-sen devenu le Premier président de la République de Chine en 1912, qui était Cantonais, demeura dans le Sud du pays en coexistant dans un premier temps avec le dernier empereur. Il était le héros secret de Ching-ling rentrée à Shanghaï en 1913 où elle demeurait Avenue Joffre dans la concession française. Elle l’épousa l’année suivante. Ching-ling vécut tout d’abord avec avec son mari à Shanghaï, rue Molière dans la même concession, puis à Canton en 1920. Après le décès de Sun en 1925 à 58 ans, Ching-ling ne cessa de s’occuper d’affaires publiques; comme Sun, elle montra un intérêt pour la révolution russe et se rendit à Moscou, mais elle aboutit à la même conclusion que ce dernier, selon lequel « la révolution soviétique ne pouvait être introduite en Chine ». Veuve de Sun, cela ne l’empêcha pas de donner sa caution à la République populaire de Chine après sa proclamation, le 1er octobre 1949. Elle fut même co-présidente de la République populaire et occupa plusieurs autres hautes fonctions à la tête de l’Etat, dont celle de Présidente honoraire, quelques semaines avant sa disparition en 1981.

Tchang fut aussi conseillé efficacement par les Russes (NB: Joffe et Borodine) pour réorganiser le Kuomintang; il passa même une année à Moscou pur étudier les questions militaires. Mais il rompit avec les communistes après la Commune de Canton de 1927. Cet échec de la révolution ouvrière conduisit Mao à se tourner vers le monde rural et à éloigner les communistes du Kuomintang.

C’est dans la maison du Dr Sun que Tchang rencontra Mei-ling pour la première fois. Mei-ling était rentrée en Chine en 1917, après 10 ans passés aux Etats-Unis et elle se vantait même d’en connaître chaque État; elle dut même réapprendre sa langue natale. A son retour, elle se consacra aux questions d’éducation et à des activités sociales et caritatives. En épousant Tchang, elle adhéra au Plan de l’unification de la Chine, alors en proie aux seigneurs de la guerre. Tchang Kaï-chek réalisa son projet en 1928 et devint alors chef de l’Etat. Elle fut ainsi la Première dame de la République de Chine, avant de l’être de Taïwan. Parfaitement anglophone, elles sera une célébrité aux Etats-Unis en particulier. Elle s’y retira d’ailleurs après le décès de Chiang en 1975  et définitivement  en 1991 et elle vécut à New York jusqu’en 2003, à l’âge de 105 ans.

Les soeurs Makioka

Les soeurs japonaises Makiokaka ne sont pas moins attachantes et dignes d’intérêt les soeurs Soong. Mais il s’agit d’êtres de fiction – mais plus vrais que nature – décrits dans le grand roman Sasameyuki (Bruine de neige), publié entre 1943 et 1948, de l’écrivain japonais Tanizaki. Tanazaki, sous les bombes pleuvant sur le Japon, pensait que son pays allait disparaître mais il avait fait aussi le constat d’une mutation considérable de la société japonaise, au cours des années précédentes.
L’histoire des Makioka Sisters couvre une période 1936-automne 1941 se terminant quelques mois avant l’attaque sur Pearl Harbor. Mais il est clair, compte tenu de la date de publication que le spectre de la Seconde guerre mondiale et d’une possible occupation du Japon hante l’esprit de l ‘écrivain. La description minutieuse d’un gigantesque Tsunami ravageant la province du Kansai résume l’angoisse de l’effondrement.

Les Quatre soeurs japonaises d’Osaka – Tsuruko, l’aînée, Sachiko, Yukiko et Takeo – eurent à faire face à une société japonaise en pleine transformation, dès avant le second conflit mondial, sous l’effet des évolutions économiques et sociales et du déplacement de la richesse au détriment des grandes familles traditionnelles. Les deux caractères les plus éloignés étaient Tsuruko et Yukiko. Tsuruko est la gardienne de ces valeurs qui finalement sont toujours encore vivantes au Japon malgré le modernisme apparent; Yukiko (Yuki signifie la neige), dans sa jeunesse trentenaire et libre, préfigure des lendemains différents.

La famille Makioka dans le Japon contemporain

La grande différence entre les soeurs Soong et les soeurs Makioka est que les premières réussirent à devenir des acteurs de l’histoire et de changements majeurs en Chine qui ne furent pas uniquement politiques. Les soeurs Malika subirent l’histoire mais volens nolens furent tout de même à la fois le réceptacle et les relais d’un nouveau Japon.

Les révolutions de la liberté, de l’égalité et de la fraternité

Mao Tsé-tung pratiqua la révolution permanente en Chine et en fit une véritable pratique pour gouverner la Chine, fût-ce de manière chaotique, et aussi pour conserver son pouvoir. Il suffit, pour s’en convaincre, de citer les Cent-Fleurs en 1956, le Grand Bond en avant en 1958 ou encore l’insurrection de la jeunesse (NB: Gardes rouges) qu’il suscita de 1966 à 1968 avec la violente Révolution culturelle que Chou En-laï s’efforça finalement d’endiguer. Deng Xiao-ping était au pouvoir en 1989 au moment de la révolte de Tian’anmen qui fut réprimée dans le sang, mais en 1992 étaient lancées les grandes réformes économiques qui se traduisirent par des taux de croissance à deux chiffres.

Mais la singularité de la révolution chinoise peut finalement conduire à tenter d’établir une typologie des révolutions dans le monde, fût-elle artificielle. De manière schématique, au risque de caricaturer, l’on pourrait ainsi parler – en s’appuyant sur le triptyque républicain –  des révolutions de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

« Le libéralisme est un des grands faits du XIXème siècle », souligna l’historien Réné Rémond. Il s’agit d’une philosophie globale, politique, individuelle, de l’histoire (NB: l’histoire est faite par les individus) et de la connaissance. A cet égard, la révolution chinoise n’a jamais été libérale. La religion de la liberté s’oppose par ailleurs aux religions et aux traditions et il n’en fut pas ainsi de manière prioritaire en Chine, malgré la dénonciation à partir du début du XXème siècle de l’immobilisme du pouvoir impérial.

Le libéralisme a transformé l’Europe, telle qu’elle est apparue en 1815 avec, en France, le Soleil de juillet 1830  et le Printemps des peuples en 1848; la Russie connut le mouvement décabriste en 1825 et le libéralisme y triomphera, fût-ce de façon éphémère, lors de la révolution de 1905; Le Parti du Congrès en Inde a une inspiration libérale; la révolution du Meiji (Lumières) au Japon, à partir de 1868, fut entreprise à parti du sommet par le pouvoir impérial et fut donc un mouvement élitiste: il s’agissait d’un processus de modernisation sans rupture avec le passé.

Fortune et instruction sont les deux piliers de l’ordre libéral et il y eut un temps en Chine avec Deng Xiao-ping une orientation qui n’était pas sans rappeler le célèbre « Enrichissez-vous » de Guizot; cela donna une croissance à deux chiffres pendant de nombreuses années et permit à la Chine de devenir l’un des deux premières puissances économiques mondiales.

Les révolutions de l’égalité se sont inscrites dans « l’ère de la démocratie ». Le mouvement démocratique n’a pas eu à s’attaquer à l’Ancien régime ce à quoi s’était déjà livré l’ordre libéral. Les révolutions de l’égalité sont surtout les révolutions socialistes; il s’agit le plus souvent de la démocratie associant l’autorité et un fondement populaire. Les révolutions démocratiques sont souvent antiparlementaires, anti-libérales et plébiscitaires ; elles peuvent aujourd’hui s’incarner dans des mouvements populistes.

Les révolutions socialistes se sont faites historiquement sous l’influence du marxisme. Il y eut un intérêt pour elles et le Kuomintang lui-même (NB: Parti du peuple) n’y fut pas insensible; mais le modèle chinois fut spécifique et s’appuya sur les masses rurales (cf. choix stratégique de Mao) et non pas sur l’insurrection ouvrière (cf. espérance de Chou En-lai); Staline ne crut ainsi jamais à la révolution chinoise et de là date le schisme entre les deux puissances communistes qui culmina avec de graves  affrontements militaire en 1969 le long des fleuves Amour et Oussouri.

Pour schématiser, les révolutions de la fraternité sont celles du Tiers-Monde. La Chine révolutionnaire, misérable, s’y rattache et en sera même le porte-flambeau à partir de la conférence de Bandoeng des non alignés en 1955; devenue riche et puissante, la RPC s’efforce aujourd’hui d’être l’une des figures de proue du « Sud global ».

Le fait national, trait dominant du XIXème siècle, n’est pas incompatible avec toutes ces révolutions; de libéral, il se muera en démocratique et la révolution castriste sera qualifiée de « cubaine », autre appellation d’une révolution « tropicale »; Ho Chi Minh au Vietnam associera le nationalisme au communisme. De même, il y aura une révolution » chinoise » qui ne versera pas dans le prosélytisme; si le socialisme aura contribué à l‘évolution des nationalismes, la révolution chinoise demeurera nationaliste jusqu’à nos jours.
L’Union européenne définit la Chine comme « un partenaire, un compétiteur et un rival systémique », mais ce langage est inapproprié. Sommes-nous vraiment dans une confrontation des systèmes avec Pékin? Voulons-nous convertir la Chine? Cette dernière n’a aucunement un tel projet, car elle veut avant assurer la poursuite de son développement qui passe par le commerce avec l’Ouest (NB: Etats-Unis et Union européenne).

                                                                           *

« Les révolutions sont souvent le fait de privilégiés insatisfaits », écrivit Georges Pompidou dans son ouvrage posthume Le Noeud gordien en se référant en particulier aux événements de Mai 68 en France. Mais qu’en fut-il finalement en Asie?

À l’échelle du monde – et l’on peut ici également intégrer une réflexion sur l’Ouest – pourra se poser la question suivante: des sociétés de plus en plus éduquées seront-elles exclusivement un facteur de progrès? Ou bien une source d’ébullitions destructrices car nihilistes? une partie de la réponse à la question est une autre interrogation sur la nature et les résultats des systèmes éducatifs.
Les révolutionnaires chinois étaient en quelque sorte des mandarins. Mais les privilégiés insatisfaits, identifiés et décrits de façon si pertinente par Georges Pompidou, ont désormais été rejoints par des multitudes innombrables et de plus en plus indociles, comme l’on montré des réactions plus que turbulentes à la gestion du Covid par le gouvernement chinois. La révolution en Chine risque dès lors de se poursuivre.

 Soeurs Soong: de gauche à droite, Ai-ling, Ching-ling et Mei-ling


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